Ôªø Sornettes - Dieu a créé le monde en six jours et la Terre n'a que 7 000 ans

Sornettes

Vous êtes ici : Accueil du site > Balivernes > Dieu a créé le monde en six jours et la Terre n’a que 7 000 ans
Publié : 4 juillet 2007
Version imprimable de cet article Version imprimable
Format PDF Enregistrer au format PDF

Dieu a créé le monde en six jours et la Terre n’a que 7 000 ans

Dominique Lecourt, Pietro Corsi, La Recherche

http://www.craphound.com/images/dinoadventure.jpg

La collusion entre science, politique et religion a marqué l’histoire des États-Unis. Le créationnisme y renaît périodiquement. Aujourd’hui, il s’appelle « dessein intelligent ». Une nouvelle offensive des milieux fondamentalistes protestants (les Églises évangélistes américaines) contre l’enseignement de la théorie de l’évolution dans les public schools a suivi la réélection de George W. Bush en novembre 2004. Ainsi, en janvier 2005, le conseil des écoles de Dover, une petite ville de Pennsylvanie, recommandait aux enseignants de biologie, s’ils souhaitaient traiter de la question de l’évolution, de lire à leurs élèves un préambule affirmant qu’elle n’est qu’une théorie, et non un fait. Cette recommandation a été condamnée depuis. En novembre 2005, le Kansas faisait de son côté une énième tentative pour que l’on enseigne d’autres théories que l’évolution dans les cursus de biologie.

C’est que, dès 1999, le gouverneur George W. Bush, alors candidat à la présidence des États-Unis promettait que, s’il était élu en 2000, l’on enseignerait le récit de la Genèse en même temps que la théorie de l’évolution. Il justifiait cette position par le souci que l’éducation dans les public schools ait un fondement moral. Avant lui, Ronald Reagan déclarait déjà, en mars 1981 : « L’évolutionnisme est seulement une théorie scientifique, une théorie que la communauté scientifique ne croit plus aussi infaillible qu’on l’a cru autrefois. En tout cas, si l’on se décide à l’enseigner dans les écoles, je pense qu’on devrait aussi enseigner le récit biblique de la création. »

Cette spécificité américaine pose brutalement, autour de la question de l’enseignement de la théorie darwinienne de l’évolution dans le système scolaire, la question des rapports susceptibles de se nouer dans une société moderne et démocratique entre religion, science et politique. L’offensive touche désormais une vingtaine d’États tels que le Kansas, la Pennsylvanie, la Géorgie… La liste s’allonge. Les associations des professeurs de biologie et les institutions académiques effarées s’en inquiètent. Il apparaît que, sur tout le territoire, des professeurs hésitent, sous la pression de parents d’élèves actifs dans les boards of education, au niveau des comtés, à enseigner la théorie de l’évolution, alors qu’elle joue un rôle clé dans de nombreux secteurs de la biologie.

Ne peut-on plutôt avancer que les termes du conflit sont inspirés par un très profond malentendu ? La pensée religieuse, avec ses supports théologiques, apparaît comme celle qui, par excellence, se donne la « descendance » pour objet : « Notre Père… ». Mais il s’agit d’une descendance fantasmatique : la « généalogie » proprement humaine, cette généalogie imaginaire sur laquelle chacun ne cesse de broder ses propres motifs jusqu’au délire ; grâce à laquelle aussi se distribuent les « générations » - et les patrimoines ; pour laquelle enfin les êtres humains se révèlent capables de donner leur vie. À ces questions les différents discours théologiques apportent des réponses. Et les êtres humains se confient avec gratitude ou enthousiasme à telle ou telle des « idoles » qu’on leur propose, selon que le hasard les a fait naître en Angleterre, en France ou en Amérique… Ces réponses les préservent de l’intolérable question qui met leur identité même à l’épreuve : celle de la contingence du sens de la vie ou, si l’on veut, de l’Être, celle qu’incarne pour nous notre propre mort.

Première leçon à tirer de ce drame permanent : il y a grand intérêt à ne pas confondre les valeurs de la science, de la politique et de la religion. La science ne saurait se substituer à la religion quand il s’agit du sens de la vie humaine et du salut des âmes, contrairement à ce que prétend un certain scientisme évolutionniste, qui défend une conception matérialiste réductrice de la personne humaine. Pas plus que la religion ne saurait se substituer à la science ni la subordonner à ses propres vérités quand il s’agit de produire des connaissances nouvelles !

Dominique Lecourt

TURQUIE : Le croissant et le singe

Loin d’être l’apanage des Églises protestantes américaines, le créationnisme scientifique fait aussi bon ménage avec les courants fondamentalistes islamiques. La Turquie est l’un des rares pays à la population majoritairement musulmane à être laïque, démocratique et ouvert sur l’Occident. Pourtant, elle est devenue une terre d’élection du créationnisme islamique.

Historiquement, l’Islam a plutôt bien toléré Darwin. Il l’a même en quelque sorte récupéré, considérant l’évolution comme une action divine. Certains zélotes sont allés jusqu’à juger le Coran plus darwinien, donc plus scientifique que la Bible. Or, en Turquie, avec le coup d’État militaire de 1980, qui a porté au pouvoir des musulmans très actifs, le ton a changé. Les intégristes turcs ont enfourché le cheval de bataille de l’anti-évolutionnisme pour servir leur discours politique. Les moyens d’action s’apparentent à ceux du créationnisme américain : conférences, publications d’essais, distributions de brochures. Mais son discours est plus extrémiste : Allah est grand, et Darwin est un imposteur ! Le Coran est la référence scientifique ultime : puisque le texte n’évoque pas l’évolution, c’est qu’elle n’existe pas. Darwin y est présenté comme le satan qui a conduit les sociétés modernes au bord du gouffre. Tout simplement… M.-L. T.

Pourquoi ces débats sont-ils peu présents en France ?

Pietro Corsi :«  La France est fondamentalement un pays laïque. La chose a été réglée il y a longtemps. L’Église catholique a sa pertinence, mais il y a aussi 6 millions de musulmans et 400 000 juifs, ce qui n’est pas négligeable. Ce serait un peu tard de commencer une guerre de religion pour dire que c’est la vision chrétienne de la nature de la vie qui doit dominer le débat public. En outre, même parmi les chrétiens, la position créationniste n’est que l’une des positions. C’est loin d’être la seule. »

Extraits de Dominique Lecourt, Pietro Corsi, Dieu menace-t-il Darwin ? dans La Recherche, N°396, Avril 2006.

Voir aussi Dieu comme bouche-trou, La secte des créationnistes, Créationnisme : confusion entre savoir et croire et le site charlatans.

« Il y a deux choses d’infini au monde : l’univers et la bétise humaine….mais pour l’univers j’en suis pas très sûr. » Albert Einstein. Voir Penseurs

« Mais que foutait Dieu avant la création ? » Samuel BECKETT, écrivain, poète et dramaturge irlandais d’expression anglaise et française (1906 - 1989)