Ôªø Sornettes - « Nous ne paierons pas pour vos retraites. »

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Publié : 13 juillet 2007
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« Nous ne paierons pas pour vos retraites. »

Denis Clerc, La sécession des riches

Je ne sais s’il s’agit d’un cri du cœur - je parierais plutôt pour un cri du portefeuille -, mais le refus est net et sans bavure. Il emane, selon Les Echos du 14 décembre, d’étudiants ou de jeunes professionnels du secteur financier, membres d’une association liée à une fondation « très proche des libéraux de l’UMP », au cours d’une rencontre avec trois députés (PS, UDF et UMP) autour de l’avenir des finances publiques. Sauf accident, ils feront donc partie, dans une vingtaine d’années ou avant, du trentième le mieux rémunéré de la population active. Leur souci majeur n’est pas l’emploi, c’est la main - lourde, trop lourde - du fisc et de ses affidés, caisses de retraite ou organismes de sécurité sociale. Ils ne voient pas pourquoi ils auraient à payer l’ardoise que la génération qui s’apprête à partir en retraite leur laissera, alors qu’elle s’est copieusement goinfrée.

Je pourrais leur répondre qu’ils exagèrent : en deux étapes (1993, puis 2003), la réforme des retraites a réduit de façon non négligeable le montant des retraites que les générations en activité devront verser à leurs ainés, principalement en allongeant les durées de cotisation et en indexant les pensions sur l’évolution des prix, et non plus sur celle des salaires. (…) Dans une quinzaine d’années, la pension moyenne nette représentera pour les retraités de la fonction publique comme pour ceux du régime général deux tiers du dernier salaire perçu, contre trois quarts en 2000. Près de dix points de moins, en moyenne, serait-ce si négligeable comme effort ?

Je pourrais aussi évoquer le fait que les projections démographiques pour 2040 viennent d’être sérieusement revues par l’Insee parce que, le regain de fécondité aidant, la population active sera sans doute supérieure de plus d’un million de personnes à ce qui était prévu jusqu’ici. Ce qui devrait représenter- si le chômage ne progresse pas - plus d’un million de cotisants de plus.

Mais je perdrais sans doute mon temps, car les jeunes en question se moquent comme de l’an 40 de savoir si la répartition des efforts demandés à chacun pour faire face au vieillissement de la population est juste ou pas. Ils estiment qu’ils payent, ou paieront, trop. Ce qu’ils gagneront est à eux : c’est le fruit de leur travail, de leur talent, de leurs études, pas celui des vieux. Leur en prendre une part revient à les spolier : à leurs yeux, c’est là que réside l’injustice. Ils ne doivent rien à personne, et surtout pas à la génération qui a payé leurs études, ni à la collectivité qui a financé les infrastructures dont ils profitent, ni à leurs prédécesseurs qui leur lèguent un outil de travail, des savoirs et des réseaux. L !un d’eux s’est-il déjà demandé si, naissant en Egypte, par exemple, il aurait bénéficié des mêmes atouts et pourrait espérer le même parcours professionnel ?

La génération à laquelle j’appartiens s’est gobergée de pétrole, a saccagé notre environnement, accueilli chichement les nombreux jeunes qui cherchaient à se former, conçu ou laissé faire un urbanisme détestable et des immeubles invivables, fermé les yeux sur le chômage de masse et, sous prétexte de créer des emplois, elle a incité à la multiplication d’emplois paupérisants. Cet héritage sera lourd à porter et je suis prêt à entendre les (justes) revendications de la génération qui arrive.

Mais ce que je ne peux accepter, c’est que les mieux lotis, actuellement ou virtuellement, se cachent derrière les imperfections de notre système de protection sociale pour refuser d’y participer. Sachant qu’ils ont, ou auront, les moyens de s’assurer convenablement via des mécanismes de marché. Cette sécession des riches - qu’il s’agisse de johnny ou de nos étudiants en finance - n’est pas liée au niveau de prélèvements, puisqu’il a baissé pour les plus favorisés depuis six ans et que les cotisations sociales ne progressent plus, relativement au revenu, depuis treize ans. Un peu comme Pascal Sevran, qui se croit autorisé à dire tout haut ce qu’il pensait jusqu’alors tout bas, et baptise bon sens ce qui n’est que du racisme, une partie de la fraction aisée de la population affiche désormais clairement qu’elle n’a rien à cirer de la cohésion sociale et baptise injustice ce qui n’est qu’une contribution proportionnée à ses revenus.

Denis Clerc. Extrait de La sécession des riches, Alternatives Economiques, n°254, Janvier 2007, p.106.