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Publié : 13 novembre 2004
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L’idéal féminin de la playmate

Edouard Launet, Au fond du labo à gauche.

Couverture : dessin Daniel Pudles

Si beaucoup de chercheurs ont le nez plongé dans Playboy, ce n’est pas seulement pour combattre leurs frustrations sexuelles. Il s’agit d’étudier scientifiquement l’idéal féminin que les playmates sont censées incarner. Des travaux sérieux que l’on fait calculette en main, en évitant de baver sur le papier glacé.

Le sommet de la pin-upologie semble avoir été atteint par Martin Voracek, chercheur au département de psychanalyse de l’université de Vienne (Autriche). Assisté d’une étudiante, Maryanne Fisher, cet homme a dépouillé les 577 numéros de Playboy parus entre décembre 1953 et décembre 2001 afin de relever les mensurations des jolies centrefold models, alias les filles à poil de la double page centrale. Voracek a pu en conclure, dans le British Medical Journal (vol. 325, p. 1447-48), que l’index de masse corporelle (poids divisé par le carré de la hauteur) des modèles n’a cessé de baisser durant le dernier demi-siècle, tandis que leur rapport tour de taille sur tour de hanche devenait assez proche de la normale. Traduction brutale : les filles qui excitent les hommes sont passées du format sablier (disons Marilyn Monroe) au format longue brindille, plutôt androgyne.

Quelques mois auparavant, deux chercheurs canadiens, Peter Katzmarzyk et Caroline Davis, avaient déjà tîré la sonnette d’alarme dans l’International Journal of Obesity (vol. 25, n’4, p. 590-92). Sous le titre de « Minceur et forme corporelle des modèles Playboy de 1978 à 1998 », ils soulignaient que les playmates des temps modernes étaient sept fois sur dix d’une maigreur quasi pathologique, du moins si l’on prenait pour argent comptant les mensurations indiquées dans le journal. Or il semble qu’il faille se méfier de ces chiffres. Dans le South African Medical Journal (vol. 86, n7, p. 838-39), le chercheur Christopher Paul Szabo a noté que si ses mensurations données par Playboy amenaient à conclure (après calcul de l’index de masse corporelle) que 72 % des playmates étaient sous-alimentées, une « inspection visuelle » des modèles prouvait que cela n’était « clairement » pas le cas. Les chiffres sont bidons, regardez donc les nichons.

Du coup, elle semble bien hasardeuse, cette littérature scientifique basée sur la plastique « officielle » de la playmate (on pourrait citer encore une demi-douzaine d’articles de ce genre parus dans d’excellentes revues). Un chercheur rigoureux ne devrait-il pas aller relever lui-même les mensurations des jeunes filles concernées ? Ces dernières seraient heureuses d’offrir leur corps à la science, après l’avoir offert à la lubricité masculine. Les chiffres seraient irréprochables, et on pourrait en profiter pour faire des études complémentaires sur la femme idéale. C’est à vous tout ça ? Et on peut toucher ?

Mais c’est bien le problème avec les chercheurs aujourd’hui : ils passent leur temps dans les labos à feuilleter des revues cochonnes au lieu de se confronter au terrain.

Edouard Launet, Au fond du labo à gauche, Sciences de la pin-up, Editions du Seuil, Science ouverte, 2004, p.133, 15 €.

Voir aussi La musique bestiale, Le pigeon et la peinture et Les gourous de la Bourse.