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Publié : 15 février 2005
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Les gourous de la Bourse

Edouard Launet, Au fond du labo à gauche

Couverture : dessin Daniel Pudles

Depuis des lustres, physiciens et mathématiciens s’emploient à démontrer - avec un réel succès - que les analystes financiers sont des imposteurs, ou du moins des gens très inefficaces. En 1973 était publié un livre (A Random Walk in Wall Street) dans lequel un professeur de l’université de Princeton, Burton Malkiel, affirmait qu’un singe aux yeux bandés qui lancerait des fléchettes sur la page Bourse d’un quotidien sélectionnerait ainsi un portefeuille d’actions aussi valable que ceux des experts. En 1988, le Wall Street Journal prit Malkiel au mot et tenta l’expérience - à cette différence près que ce furent des journalistes qui manièrent les fléchettes, les singes étant rares à Wall Street. Eh bien l’expérience confirma l’intuition du professeur de Princeton, dans une large mesure. D’autres journaux économiques créèrent à leur tour des « fonds fléchettes », qui se comportèrent assez bien, et parfois mieux que le marché lui-même.

Puis voilà qu’en septembre 2003 paraissait dans Condensed Matter un article qui enfonçait la fléchette plus profondément encore. Son titre « La puissance prédictive de l’intelligence zéro dans les marchés financiers ». Des physiciens y rapportent avoir modélisé les marchés avec des outils de mécanique statistique, prenant pour hypothèse que les traders passaient leurs ordres d’achat et de ventes de manière totalement aléatoire. Puis ils ont utilisé des données du London Stock Exchange (la Bourse de Londres) pour tester le modèle. Résultat : l’hypothèse « zéro intelligence » est parvenue à simuler le fonctionnement de la place de manière très satisfaisante. Conclusion : les mécanismes du marché sont tellement complexes que prendre des décisions au hasard ou sur la base d’analyses sophistiquées ne change rien au résultat global.

Dans la revue Nature, un commentateur a eu cette belle image : « Les traders peuvent être comparés à des fourmis s’agitant de façon chaotique dans une grande pendule, sans affecter en rien son fonctionnement. » On ne saurait être plus aimable.

La Bourse ne serait-elle donc qu’un grand chaos ? Pas tout à fait, objectent trois chercheurs anglais de l’université de Leeds. Ceux-ci ont eu la singulière idée d’analyser l’impact des succès et défaites de l’équipe nationale de foot sur les performances du London Stock Exchange. Ils ont ainsi suivi l’évolution boursière des 100 plus grosses sociétés du Royaume-Uni au lendemain des grandes compétitions (210 matchs disputés par l’équipe anglaise entre 1984 et 2002). Constat : les bons résultats se traduisent par une hausse sensible des cours (0,3% en moyenne) et les mauvais par une baisse (0,4%). Plus les matchs sont importants, plus forte est la variation. Ainsi le jour où l’Allemagne a éliminé l’Angleterre durant le mondial 1990 (après tirs de penalty), la Bourse a chuté de 1%. Tout cela est détaillé dans les Applied Economics Letters, vol.10, p.783-785, sous le titre : « Impact économique des succès sportifs nationaux : éléments tirés du London Stock Exchange ».

On en conclura volontiers qu’il est plus profitable de consulter les pronostics sportifs que les analystes financiers.

Edouard Launet, Au fond du labo à gauche, Intelligence zéro, Coll. « Science ouverte », Editions du Seuil, 2004, p.58, 15 €.

Voir aussi La musique bestiale, Le pigeon et la peinture, L’idéal féminin de la playmate, Bètisier de l’économie et La religion du marché .

« Un économiste est celui qui est toujours capable d’expliquer le lendemain pourquoi la veille il disait le contraire de ce qui s’est produit aujourd’hui. » Jacques Attali. Cité dans Bernard Maris, Lettre ouverte aux gourous de l’économie qui nous prennent pour des imbéciles, Albin Michel, 1999, p.15.