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Publié : 24 mai 2007
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Les biocarburants ne sont pas si verts

Fabienne Lemarchand, Les biocarburants ne sont pas si verts

Depuis le ler janvier 2007, les pompes « vertes » fleurissent sur le territoire français. (…) Les pouvoirs publics ont en effet décidé de forcer l’allure et de devancer les objectifs européens : essence et gazole devront contenir 5,75 % de biocarburants dès 2008 (au lieu de 2010), 7 % en 2010, puis 10 % en 2015.

Les deux filières de première génération

Fig.1 - Biodiesel : Première filière (en haut), les esthers méthyliques d’huiles végétales (EMHV), ou biodiesel, sont élaborés à partir d’oléagineux (colza, tournesol, soja, palme). L’EMHV est essentiellement produit en Europe (Allemagne 44 %, France 22 % et Italie 17 %).

Bioéthanol : Seconde filière (en bas), le bioéthanot est obtenu à partir du sucre (betterave, canne à sucre), de l’amidon (céréales, pomme de terre) ou des plantes ligneuses (bois, paille). L’éthanol est généralement utilisé mélangé à l’essence (à 85 % dans l’E85 sur des moteurs adaptés « flex-fuel ») ou sous forme d’éther, l’ETBE (éthyl tertio butyl éther). Le Brésil et les États-Unis sont les principaux producteurs de bioéthanot (respectivement 52 % et 43 % du marché). (© Bruno Bourgeois d’après IFP)

Économie d’énergie et bénéfice environnemental

Leur combustion, comme celle des carburants fossiles, émet du CO2. Toutefois, elle ne fait que restituer à l’atmosphère la dose capturée par les plantes au cours de leur croissance. En théorie, le bilan devrait donc être nul. Mais pas en pratique !

La culture intensive des végétaux, l’approvisionnement des usines de production, la transformation industrielle, la synthèse des biocarburants et leur transport au dépôt avant distribution… Autant d’opérations, y compris la fabrication de pesticides et d’engrais, qui impliquent le recours à des engins mécanisés. Lesquels, évidemment, consomment de l’énergie fossile et rejettent des gaz à effet de serre. (…)

Plusieurs bilans dits du « puits à la roue » (« well to wheel ») ont été réalisés dans le monde. En France, deux font référence. Le premier, sur lequel se fonde le discours officiel, a été réalisé en 2002 par le cabinet PriceWaterHouseCoopers pour le compte de l’Ademe et la Direm du ministère de l’Industrie. Ses conclusions ? Il faut dépenser 0,49 mégajoule (Mj) d’énergie fossile pour avoir 1 Mj d’éthanol blé ou d’éthanol de betterave. À titre de comparaison, il faut 1,14 Mj pour produire 1 Mj d’essence de pétrole. Les performances énergétiques du biodiesel de colza et de tournesol sont meilleures encore : respectivement 0,34 Mj et 0,32 Mj consommés par Mj de biodiesel produit (contre 1,10 MJ/Mj de gazole). (…)

Toutefois, le second bilan, réalisé en 2005 par le Centre commun de recherche de la Commission européenne (JCR), (…) est nettement moins favorable. La production de 1 Mj d’éthanol de blé nécessite en effet d’investir 0,65 Mj d’énergie fossile. Et ce chiffre atteint même 0,80 Mj pour l’éthanol de betterave. Le bénéfice en termes d’émissions de gaz à effet de serre est lui aussi plus modeste, avec un gain de 30 % seulement par rapport à l’essence. Les performances du biodiesel sont en revanche proches dans les deux études.

(…) « Mais la source majeure de divergences tient à la façon dont on traite les coproduits générés en même temps que les biocarburants. » (…) On l’a compris : biocarburants et coproduits sont issus des mêmes procédés industriels. Il est donc impossible de connaître la quantité exacte d’énergie fossile engloutie pour l’obtention de chacun d’eux.

(…) La culture intensive du blé, du colza ou des betteraves suppose un recours massif aux engrais et aux pesticides et, surtout, d’importantes ressources en eau. Qui plus est, les composés azotés présents dans le sol sont à l’origine d’émissions de N2O, un autre gaz à effet de serre. Autant d’éléments que les bilans actuels intègrent mal.

En outre, la France doit accroître sa production. Le plan gouvernemental prévoit d’incorporer 7% de biocarburants en 2010. Selon l’ademe, produire les volumes nécessaires - quelque 3,2 millions de tonnes de biodiesel et 1,1 million de tonnes de bioéthanol - nécessite de cultiver 2,42 millions d’hectares, soit 13,3 % des surfaces cultivables. Une compétition accrue avec les cultures alimentaires en résultera.(voir : Des agrocarburants contre de la nourriture)

Biocarburants de seconde génération

On le voit, le bénéfice environnemental des biocarburants de première génération est modeste. Il devrait toutefois s’améliorer dans les dix ou quinze ans qui viennent. « Les biocarburants de seconde génération, produits à partir de la plante entière, du bois, de la paille ou encore des déchets verts urbains, réduiront les émissions de gaz à effet de serre de 75 % à 85 %, contre au mieux 60 à 70 % actuellement (étude de l’Ademe). Ces ressources, beaucoup plus volumineuses, autoriseront un taux de substitutionplus élevé », affirme Nathalie Alazard. Elle cite en exemple la belle réussite du Brésil. « La filière de la canne à sucre cumule les avantages : les rendements à l’hectare sont élevés, la plante entière est utilisée, et les résidus (la « bagasse ») sont réutilisés sur place. » (…)

Fig.2 - Exploiter la biomasse. Deux procédés permettent de transformer la cellulose des végétaux en éthanol et en hydrocarbures. Mais il est encore trop tôt pour se prononcer sur leur rentabilité. (© BRUNO BOURGEOIS D’APRÈS IFP)

Extraits de Fabienne Lemarchand, Les biocarburants ne sont pas si verts, La Recherche, mai 2007, n°408, p.54.

Voir aussi le Dossier « Biocarburants » de l’Institut français du pétrole.