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Publié : 14 septembre 2006
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Les Scientifiques contribuent à réchauffer le climat

Edouard Launet, « Au fond du labo à gauche »

Couverture : dessin Daniel Pudles

Un jeune chercheur canadien l’affirme et le démontre : les scientifiques qui étudient le réchauffement climatique contribuent de façon non négligeable… à réchauffer le climat. Ces gens-là réfléchissent-ils au point de s’en faire rougeoyer le crâne ? Non. Le problème est qu’ils prennent beaucoup trop l’avion, s’alarme Lawrence Plug, de l’université de Dalhousie, à Halifax. C’est que le scientifique est un grand voyageur. Plusieurs fois par an, il lui faut aller assister à des conférences - ou en donner - dans des villes qui sont plus souvent Miami ou Hong Kong que Roubaix ou Villeurbanne. Ce n’est pas là la part la plus désagréable de son métier. Mais c’est assurément la plus nocive.

Chaque kilomètre parcouru en avion par un chercheur induit l’émission de 0,16 kilogramme de gaz carbonique, un des principaux gaz à effet de serre (Un seul aller-retour Paris New York épuise le quota moyen attribué à chaque habitant de la planète par le protocole de Kyoto).

Pour évaluer l’impact d’une grande réunion de scientifiques, Lawrence Plug a pris le cas de la conférence annuelle de l’Union géophysique américaine. Celle-ci réunit à San Francisco, chaque mois de décembre, pas moins de 10 000 chercheurs venus de toute la planète pour discuter de la santé du globe et de ses mystères, et puis faire un peu de tourisme pendant qu’on y est. Liste des participants en main, le jeune Canadien a calculé qu’un chercheur faisait en moyenne 8 000 kilomètres aller retour pour assister à cet événement. Il n’y a plus qu’à multiplier, et voilà : la réunion californienne de l’Union géophysique est responsable de l’émission de près de 13 000 tonnes de gaz carbonique ! Une goutte d’eau dans les émissions mondiales (plus de 20 milliards de tonnes), mais voyez qui l’y met.

Lawrence Plug est venu, en 2003, présenter son calcul à San Francisco devant les chercheurs concernés, au risque d’aggraver la note carbonique et de casser l’ambiance. Il a déclaré se sentir coupable, notant que l’abondance des conférences scientifiques internationales tendait à booster le trafic aérien, donc à accroître l’effet de serre. Il a proposé que les organisations scientifiques consacrent chaque année une part de leurs ressources à la protection des forêts tropicales. Pour prix de l’absolution ?

Le Canadien a également souligné que si la réunion annuelle de l’Union géophysique se tenait à Denver (Colorado) plutôt qu’à San Francisco, le parcours moyen du participant serait moindre et les émissions de gaz carbonique réduites de 7,7 %. Sans compter que l’affluence risquerait d’être en baisse, la grande ville du Colorado n’ayant pas les charmes toniques du joyau de la Californie du Nord. Mais le plus efficace ne serait-il pas de regrouper tous ces spécialistes à San Francisco de manière permanente et définitive ?

Les inquiétudes de Lawrence Plug se comprennent mieux lorsque l’on sait que ce chercheur est spécialisé dans l’étude du pergélisol (ou permafrost, sol qui reste gelé sur quelques mètres de profondeur, même en été). Le réchauffement du globe est en train de lui bouffer son sujet de recherche. Si ses collègues avaient l’amabilité de se déplacer un peu moins, il aurait peut-être le temps de terminer ses travaux avant que tout ait fondu.

Edouard Launet, Au fond du labo à gauche, Science ouverte, Editions du Seuil, 2004, p.115, 15 €.