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Publié : 16 décembre 2007
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La secte des créationnistes

Nous sommes en janvier 2007. Deux mille exemplaires d’un volumineux atlas de la création sont expédiés dans les écoles et les universités françaises, à titre gracieux. D’autres envois suivront, à destination des Pays-Bas, de l’Allemagne et de la Pologne. L’ouvrage est luxueux, magnifiquement illustré, un bonheur à consulter…

Un cadeau empoisonné, en fait. Car il suffit d’ouvrir le livre à n’importe quelle page pour s’apercevoir que tout son propos récuse la théorie de l’évolution ! (…) Son auteur, un certain Harun Yahya pseudonyme du prédicateur turc musulman Adnan Oktar -, n’en est pas à son coup d’essai. Le catalogue de sa société compte plusieurs dizaines d’ouvrages visant explicitement à combattre les idées de Darwin et à faire de Dieu l’architecte unique du vivant. A la trappe les découvertes de la génétique, qui retracent les liens entre espèces, ou l’analyse détaillée des fossiles. (…)

En résumé, le règne du vivant a été créé tel quel par Dieu et il n’a jamais évolué. Une doctrine fondamentaliste qui, aujourd’hui, ne craint pas d’avancer sous couvert d’habits scientifiques, notamment en se rebaptisant « Intelligent Design ». Ainsi, au Kentucky, s’est ouvert au printemps dernier un très officiel Musée de la création montrant, par exemple, des humains se baignant au milieu de dinosaures… Un anachronisme scientifiquement aberrant ! (…) La théorie de l’évolution a beau être le socle de la biologie du XXIè siècle, dont les bases furent posées en 1859 par Charles Darwin, elle demeure en fait largement incomprise, voire dénaturée par le prosélytisme, mais surtout par l’ignorance. A tel point que la menace la plus lourde pesant sur la théorie darwinienne pourrait bien, in fine, ne pas venir des attaques dont elle fait l’objet de la part des fondamentalistes protestants et de leurs imitateurs musulmans.

Nul besoin, en effet, de faire siennes les fadaises des créationnistes américains et de leurs épigones en France pour malmener l’histoire naturelle des espèces. Pourquoi ? Parce que celle-ci se heurte d’emblée à un fond d’incompréhension qui, au mieux, laisse libre cours à des interprétations fausses, au pire, ouvre la voie à ses détracteurs. En cause ici : le concept de hasard qui se trouve au cœur de la théorie de Darwin. Ou plutôt le fait que l’évolufion du vivant soit régie par le seul hasard et rien d’autre. Ce qui signifie l’impossibilité d’attribuer une quelconque légitimité transcendantale à la flore ou à la faune terrestre. Le sociologue Gérald Bronner, auteur de Vie et mort des croyances collectives (Hermann, 2006), explique qu’une telle conception hasardeuse du vivant constitue un défi intellectuel « qui se décline de différentes manières selon les cultures. Aux Etats-Unis, où le sentiment religieux est fort, la difficulté de perception du darwinisme s’incarne dans le créationnisme. Dans nos sociétés européennes sécularisées, nous avons une préférence pour le finalisme ». En clair la théorie de l’évolution se trouve spontanément détournée au profit d’une lecture de l’histoire naturelle dans laquelle les changements subis par les espèces vivantes au fil des millénaires sont perçus comme le signe d’un progrès continu vers un idéal dont l’homme serait l’incarnation.

Evolution

« On pense à l’image du singe qui se redresse et devient un homme », renchérit Dominique Guillo, sociologue et auteur de Qu’est ce que l’évolution ? (Ellipses, 2007). Une interprétation totalement erronée, puisque le darwinisme se « contente » d’affirmer que les espèces changent au hasard, et que survivent celles qui se trouvent les mieux adaptées à leur environnement. Si l’homme est debout aujourd’hui, ce n’est pas parce qu’un singe eut pour dessein de se transformer en homme ! C’est parce que certains de nos ancêtres, disposant d’une capacité à se tenir debout, en ont tiré un bénéfice : voir plus loin ou dépenser moins d’énergie en marchant sur de longues distances, par exemple. Sait-on quels furent exactement ces bénéfices, et dans quelles conditions précises apparurent les pionniers de la station verticale ? Non. Le darwinisme offre simplement des scénarios cohérents qui se passent de toute intervention divine, mais donne rarement des certitudes absolues. De quoi, il est vrai, déstabiliser les âmes en quête de solutions rassurantes… et ajouter à la difficulté d’accepter la théorie de Darwin.

D’autant que le détournement finaliste dans la compréhension de l’évolution est bien enraciné chez nous, hérité d’un héros national des sciences naturelles : Jean-Baptiste Lamarck. Un demi-siècle avant Darwin, le grand naturaliste affirmait que l’environnement influence les êtres vivants, ce qui les amène à développer de nouveaux caractères physiologiques, lesquels sont alors transmis à leurs descendants. Cette théorie a beau avoir été invalidée par Darwin : les individus changent et leur survie face à l’environnement détermine, ensuite, la nature des changements conservés par leur descendance. Notre culture collective n’en continue pas moins de lui faire la part belle. (…)

LA DIFFICULTÉ D’ACCEPTER LE RÔLE DU HASARD

Pourquoi cette confusion ? Parce que la théorie de l’évolution est contre-intuitive, répondent les spécialistes. « Nous faisons des constats erronés, explique Gérald Bronner. On s’émerveille de la formidable adaptation du monde vivant, par exemple des yeux dessinés dans les ailes des papillons pour leurrer les prédateurs. On se dit que c’est trop bien fait, que ça ne peut pas être dû au hasard. » En clair : on persiste à croire que seul un projet supérieur a pu présider à une aussi merveilleuse évolution du vivant. Mais c’est sans réaliser la période extrêmement longue sur laquelle ces hasards de la mutation et de la sélection se sont produits : si l’on ramène les 4,5 milliards d’années de la Terre à l’échelle d’une journée, la vie se développe vers 5 heures du matin, les premiers mollusques vers 20 heures et l’homme n’apparaît que vers 23h55. Des durées difficiles à concevoir, même en y mettant de la bonne volonté. Beaucoup s’y perdent. « On est frappés du caractère miraculeux de certaines adaptations tant qu’on n’a pas pris conscience de tout ce qui a raté en parallèle. Le processus évolutif apparaît moins miraculeux si on arrive à prendre conscience que mille échecs ont précédé telle ou telle adaptation. » (…)

A la conception finaliste qui domine (…) s’ajoute la prolifération de sites Intemet créationnistes. « Il suffit de taper ’evolution’, sans accent, sur un moteur de recherche pour en trouver des flopées, note Guillaume Lecointre, professeur de biologie au Muséum d’histoire naturelle. Les prosélytes, excellents communicants, ont une longueur d’avance sur les scientifiques en termes de force de frappe. » Le message est même relayé dans certains jeux vidéo - comme Eternal Forces (Left Behind Games), conçu d’après un scénario concocté par des protestants évangéliques américains, où la théorie de l’évotution est assimilée à un complot contre l’humanité. En 1995 création de « l’université interdisciplinaire de Paris » [1].

(…) Il y a urgence, pourtant. Urgence à rattraper nos lacunes en la matière, avant qu’elles soient comblées par les arguments forcément séduisants - car terriblement simplistes - des idéologies pseudo-scientifiques qui gagnent du terrain de ce côté-ci de l’Atlantique. Surtout que les enjeux de la connaissance sur l’évolution peuvent facilement prendre une dimension politique. C’est déjà le cas aux Etats-Unis et dans certains pays d’Europe. Cela pourrait également devenir le cas en France, avec le risque que des fondamentalismes religieux ou d’autres idéologies populistes détournent le discours de la science à leur profit. Le défi est grand. Comme le rappelle le philosophe Patrick Tort, directeur de l’Institut Charles Darwin International et auteur du Dictionnaire du danvinisme (éd. Puf), « la théorie de l’évolution présente la triple et néanmoins singulière caractéristique d’être l’une des élaborations scientifiques les plus importantes de la biologie moderne, l’une des plus violemment combattues par ses adversaires et aussi l’une des plus constamment trahies par ses partisans ».

Extraits de Guillaume Jan, La France est-elle à l’abri du créationnisme, Science & Vie, n° 1083, décembre 2007, p.96, 3,90 €.

« Mais que foutait Dieu avant la création ? » Samuel BECKETT, écrivain, poète et dramaturge irlandais d’expression anglaise et française (1906 - 1989)

Voir aussi : Dieu comme bouche-trou, Dieu a créé le monde en six jours et la Terre n’a que 7 000 ans , Créationnisme : confusion entre savoir et croire et le site charlatans.

Notes

[1] Cf. Université interdisciplinaire de Paris : organisme privé dont l’objectif est de « réconcilier » science et religion. En voulant « approcher rationnellement la croyance », ses membres excluent toute interprétation des mécanismes de l’évolution faisant appel au hasard.