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Publié : 29 janvier 2008
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Une frontière sépare les mondes quantique et classique

Dans les années 1980, contre le dogme en vigueur, le physicien Wojciech Zurek propose l’idée d’un continuum entre les deux mondes. Cette prédiction sera vérifiée.

Albert Einstein et Niels Bohr dans un parc moscovite. © Christelle RIGAL

La mécanique quantique est un ensemble de lois qui régissent le comportement de la matière dans le monde de l’infiniment petit. Avec une précision maintes fois vérifiée, elle permet de décrire les propriétés des atomes, des électrons ou des photons.

A cette échelle, les phénomènes n’ont plus grand-chose à voir avec ceux auxquels nous sommes habitués. L’une des lois de la mécanique quantique nous dit qu’il est impossible de déterminer simultanément la vitesse et la position d’une particule. C’est ce que l’on appelle le « principe d’incertitude ». Au point que la particule ne peut être décrite qu’en termes de probabilités. C’est comme si elle suivait plusieurs chemins à la fois. Et qu’elle se trouvait en deux endroits, au même moment, ce que les physiciens nomment « superposition d’état ».

Les renoncements sur nos représentations de la réalité sont si radicaux que plusieurs physiciens, dont Einstein, n’ont pas admis le caractère définitif de la mécanique quantique. Niels Bohr, en revanche, l’un de ses « pères », a défendu l’idée selon laquelle le passage entre les mondes quantique et classique - un moment nommé « décohérence » - était un phénomène « fondamental ». Il existe, un point c’est tout. Deux mondes, deux ensembles de lois, séparés par une frontière dont l’existence était ainsi érigée au rang d’axiome. Mais dans les années 1980, le théoricien américain d’origine polonaise Wojciech Zurek récuse cette approche. Il existerait bien une continuité entre les mondes quantique et classique, car le second ne serait qu’une conséquence, une manifestation, du premier. Pour expliquer le passage de l’un à l’autre, Wojciech Zurek avance que les lois de la mécanique quantique ne s’appliquent qu’aux systèmes bien isolés. Plus un objet est gros - et donc composé d’un grand nombre de particules quantiques -, plus il interagit avec son environnement. Une seule particule est, elle, suffisamment petite pour y rester insensible, pendant un laps de temps tout du moins. Ce qui signifie que si la décohérence met un certain moment avant de s’établir, elle pourrait être observée. Cette prédiction a été testée en 1996 par Serge Haroche et son équipe de l’École normale supérieure. Pour cela, ils ont isolé un photon dans une cavité. Celle-ci est traversée par un faisceau d’atomes possédant un électron très éloigné du noyau. Cet électron joue le rôle d’une antenne sensible aux variations des champs électromagnétiques, et par conséquent, à celles de l’état énergétique du photon. C’est ainsi que les physiciens ont constaté que l’état de superposition quantique disparaissait peu à peu. Ils ont par ailleurs vérifié que la persistance de cet état était d’autant plus brève que le nombre de particules en interaction était important. Ce résultat montre bien que, contrairement à ce que Bohr pensait, la décohérence est un phénomène continu. « En théorie, rien n’empêche d’envisager la mise au point de systèmes quantiques de grande taille, pourvu qu’ils soient suffisamment bien isolés de leur environnement », affirme Philippe Grangier, de l’Institut d’optique, à Orsay. D’ailleurs, en 1999, une équipe autrichienne est parvenue à observer des propriétés quantiques d’une molécule composée de 60 atomes de carbone. Un record. Depuis, les physiciens cherchent à déterminer dans quelles conditions précises la décohérence se manifeste afin de pouvoir la maîtriser. Un préalable à la mise au point d’« ordinateurs quantiques ».

Viviane Thivent, Une frontière sépare les mondes quantique et classique, Le dictionnaire des idées reçues en science, La Recherche, Octobre 2007, n°412, p. 42, 6,40 €.