Ôªø Sornettes - Sarkozy : un caïd de sous-préfecture

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Publié : 6 avril 2008
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Sarkozy : un caïd de sous-préfecture

(…) M. Nicolas Sarkozy adhérant lui même sans réserve aux valeurs véhiculées par l’industrie du divertissement, c’est tout naturellement qu’il les a importées dans l’univers politique.

Si, dès son élection, lorsqu’il a préféré une croisière sur le yacht d’un homme d’affaires à la sobre retraite méditative que l’on attendait, son comportement a choqué, c’est en raison de son incapacité frappante à comprendre en quoi un président de la République n’est pas un « people » comme un autre, et en quoi sa fonction implique autre chose que l’étalage satisfait de ses succès personnels. (…)

Il ne semble pas envisager - ou alors seulement à contrecœur - que le fait d’avoir été élu le place dans une autre position et lui donne d’autres devoirs vis-à-vis de ses concitoyens que, par exemple, sa nouvelle épouse, chanteuse à succès et ancien mannequin-vedette. (Voir Lettre ouverte à Carla B..) (…)

En affirmant que seul le « mérite » gouverne le destin des individus, la droite naturalise l’ordre social : les riches comme les pauvres étant intégralement responsables de leur condition, les élus peuvent en toute bonne conscience s’en laver les mains. (…)

Ce qu’il est impossible d’éluder cependant, c’est que le sarkozysme implique forcément un bras d’honneur adressé au plus grand nombre. Le bras d’honneur est inscrit dans le principe même de la « consommation ostentatoire », nom savant de ce « bling-bling » devenu son emblème. Ce modèle de réussite n’est pas fait pour être extensible ; il n’est pas un modèle. Sa réalisation exige qu’il reste assez de gens, d’une part pour vous jalouser, d’autre part pour vous servir. Il suppose un public à épater, pour ne pas dire à humilier ; et, pour qu’il soit épaté, il faut qu’il soit moins riche. Tout le style de cette présidence, d’ailleurs, est empreint d’un rapport de défi et de défiance à l’égard de la populace, comme en témoigne la fâcheuse propension du chef de l’Etat à adopter à la première occasion, lors de ses déplacements, l’attitude d’un caïd de sous-préfecture (« Descends si t’es un homme », « Casse-toi », etc.). (…)

Pour Nicolas Sarkozy, comme pour le cow-boy texan qui lui tient lieu d’homologue américain, l’autre est toujours à dompter, à mater, à dominer. Son comportement contredit avec insistance ses discours lénifiants sur la « main tendue » et l’égalité des chances.

Ce que l’on appelle « politique peopIe » est en fait le pari que l’électorat va oublier les conditions de vie de moins en moins décentes qui sont les siennes en s’abîmant dans la contemplation béate de la jet-set - classe politique comprise grâce aux belles images et aux histoires édifiantes qu’on lui donne en pâture. A cet égard, le mariage de M. Sarkozy avec CarIa Bruni, pièce de choix qui vient parachever la clinquante panoplie présidentielle, ressemble à une tentative désespérée d’alimenter la machine à rêves pour désamorcer une contestation qui commençait à poindre. Que la manœuvre ait plutôt mal fonctionné montre les limites de cette stratégie.

Elle n’a pas empêché la colère de monter face à la désinvolture que le président manifestait dans le même temps quant aux difficultés dans lesquelles se débattaient ses concitoyens (« Qu’est-ce que vous attendez de moi ? Que je vide des caisses qui sont déjà vides ? » [1]). Quand le contraste entre son train de vie et celui de la majorité de la population devient trop voyant, la comparaison, apparemment, revient vite le disputer à l’identification.

Extraits de Mona CHOLLET [2], L’art de faire rêver les pauvres, Le Monde diplomatique, n° 649, Avril 2008, 4,50 €.

Voir aussi : La fin des beaux jours, Alain BADIOU - De quoi Sarkozy est-il le nom ?, Sarkozy dans le droit-fil du Conseil national de la Résistance..., Le président des riches et Le bètisier de Monsieur le Président de la République Nicolas Sarkozy.

Notes

[1] Conférence de presse à l’Elysée, 8 janvier 2008.

[2] Auteure de Rêves de droite. Défaire l’imaginaire sarkozyste, Editions Zones, Paris, 2008, 10 €.