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Publié : 8 mars 2009
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Le PIB n’est que la fiche de paie de l’humanité !

L’argent ne se mange pas. Ce dont notre survie dépend de manière cruciale, ce ne sont donc pas des revenus monétaires, mais des ressources naturelles, et plus globalement des services écologiques rendus par la nature. Le montant de notre compte en banque ne reflète que la convention créée par les hommes pour gérer les échanges au sein de notre espèce.

Couverture : © Getty Images

Contrairement à l’illusion née de l’adoration de nos idoles, la nature n’est ni infinie, ni remplaçable en grande partie par des productions artificielles. Ce n’est pas avec nos petits bras musclés que nous saurons produire demain matin un système climatique performant, des insectes pollinisateurs, des terres arables, des forêts riches de milliers d’espèces, des minerais et hvdrocarbures, des poissons, des animaux, et encore quelques autres babioles qui sont le fruit de quelques milliards d’années d’évolution lente, ayant mis en jeu des énergies et des flux qui nous dépassent considérablement.

Que les ressources soient essentielles à la survie des hommes, d’autres civilisations aujourd’hui disparues en ont fait la démonstration, l’exemple le plus connu étant celui de l’île de Pâques. Les Vikings du Groenland, ou diverses civilisations des Amériques ont aussi subi le même sort. Mais ce sont les Pascuans, magistralement étudiés par Jared Diamond [1], qui vont nous permettre de faire un peu d’histoire-fiction. (…)

L’argent n’achète que des hommes

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Quel rapport avec notre monde ? Il se trouve que le système de représentation conventionnelle de nos possessions ou de nos échanges, issu de la comptabilité et de la monnaie, condamne aussi sûrement la préservation des ressources naturelles que l’adoration des statues pascuanes l’a fait. Nous confondons en permanence les réalités (les ressources) et les symboles ou conventions (les prix). Nous ne voyons pas que l’argent n’est évidemment pas la richesse matérielle, même s’il sert d’étalon de mesure de cette richesse. L’illusion a la vie dure, car même les mots nous font croire le contraire en permanence. Ainsi, quand vous croyez acheter un verre, vous n’achetez pas un verre. Ce que vous payez réellement, c’est juste la succession des revenus des gens qui ont contribué à sa fabrication en partant de ressources gratuites. Vous payez le travail humain qui correspond à l’extraction du sable d’une carrière, le salaire des gens qui ont construit et exploitent le four dans lequel on a fondu le verre, puis le salaire des personnes qui ont fabriqué et exploité le camion transportant le verre jusqu’au magasin où on va l’acheter, sans oublier le salaire de ceux qui auront construit le magasin, ni celui du vendeur, etc. Mais à aucun moment vous n’avez payé le résultat de plusieurs milliards d’années de réactions nucléaires dans la génération d’étoiles qui a précédé le Soleil, et qui a abouti à l’apparition des constituants du sable et des métaux permettant de faire un four à verre ou un camion, ni le résultat de quelques milliards d’années de plus pour que les mouvements de l’océan transforment des roches en sable. Vous n’avez pas plus payé la vie planctonique d’il y a 60 millions d’années et la géothermie qui sont à l’origine du pétrole et du gaz utilisés dans les camions et le four.

Cet exemple est généralisable à tout ce que vous achetez. Vous croyez acheter un poisson ? Illusion d’optique ! Vous payez en fait le salaire du pêcheur, celui du charpentier qui a construit le bateau, ainsi que celui du banquier qui a prêté de l’argent au pêcheur pour qu’il achète son bateau. Tout ce beau monde ne fait que profiter d’un poisson qui est apparu tout seul dans l’océan sans que personne y soit pour quoi que ce soit. L’économie ne consiste qu’à acheter des heures de travail et des rentes à des gens qui ont transformé des ressources naturelles ou qui se trouvent en être les propriétaires du moment, mais qui ne les ont pas créées. En vérité, ces ressources sont gratuites pour tout le monde. Leur prix n’est que le salaire de leur extraction, ou du consentement à s’en défaire quand l’Histoire a fait de vous leur propriétaire. Dans les rentes diverses liées à la propriété du moment, on va aussi trouver des dividendes pour les actionnaires des entreprises, et des impôts pour les États. Au bout du compte, on ne paie que la contrepartie de revenus humains : l’argent n’achète que des hommes.

L’argent n’achète pas la nature, qui ne se fait payer ni pour le pétrole ou la photosynthèse qu’elle nous fournit gratis, ni pour les dégradations que nous lui infligeons. Notre svstème de conventions nous rend aveugles aux dépréciations qui ne touchent personne à bref délai. Si un million de kilomètres carrés de banquise disparaît, comme personne n’a d’activité basée sur l’utilisation de la banquise, c’est une disparition totalement indolore pour l’économie. Logique !

L’économie, ce n’est donc que des flux d’échanges entre les hommes. Une évidence que nous oublions en pennanence, du plus petit consommateur au plus haut responsable de l’État, parce que nos mots disent autre chose. Nous parlons du prix du pétrole, de celui de l’eau, et même de celui de l’énergie solaire, comme si nous avions la possibilité de créer du pétrole, de l’eau et du soleil ! D’une convention comptable - nos comptes ne comptent que le facteur humain - est née une tragédie : on ne s’intéresse qu’aux flux monétaires, et nous allons voir que cela risque de nous mener à la ruine. (…)

Absurde ? Nous sommes bien d’accord, et pourtant les États ne raisonnent pas autrement. Le fameux PIB ne compte - par définition - que les revenus des hommes qui assurent la transformation des ressources naturelles pour alimenter des échanges marchands. Le PIB, ce n’est rien d’autre que la fiche de paie de l’humanité ! Les ressources, elles, sont supposées gratuites. Or, elles sont le plus souvent non renouvelables (minerais, hydrocarbures), et quand elles sont renouvelables en théorie nous avons souvent dépassé la capacité de renouvellement (poissons, arbres, sols … ). Et il n’existe rien dans notre comptabilité publique qui nous alerte quand nous entrons dans la zone rouge du non-renouvellement. (…)

Extraits de Jean-Marc JANCOVICI, Alain GRANDJEAN, C’EST MAINTENANT ! 3 ans pour sauver le monde, Éditions du Seuil, 2009, p. 83, 19,50 €.

Voir aussi L’essence, une esclave très bon marché !, Le PIB en question et Sommes nous déjà en décroissance ?

Conférence de J-M Jancovici, Enjeux climatiques et énergétiques, 16 juin 2009. "

« Celui qui croit que la croissance peut être infinie dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste. » Kenneth Ewart BOULDING, économiste, philosophe américain d’origine anglaise (1910 - 1993).

Notes

[1] Jared Diamond, Effondrement. Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie, traduit de l’anglais (Etats-Unis), éd. Folio-Essais, 896 p., 11,60 €.