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Publié : 29 mars 2009
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Nostradamus

Michel de Nostredame (1503-1566), alias Nostradamus, (…) est un hardi médecin de la Renaissance, grand voyageur, qui se distingue par son courage à lutter contre la peste, (…) sorti d’une des plus prestigieuse universités de son temps pour l’enseignement de la médecine (Montpellier), écrivant couramment le latin et le grec, ayant dévoré les auteurs antiques, le personnage est un érudit qui ne manque pas de panache.

http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/c/ca/Nostradamus_Centuries_1610.jpg

(…) En 1550, il commence, comme tant d’autres, par éditer un « almanach », c’est-à-dire un calendrier de prédictions basées essentiellement sur les astres. (…) Vers 1555, il décide de réunir ses prédictions dans un ouvrage plus ambitieux qu’il fait imprimer à Lyon, chez Macé Bonhomme. Premier livre de ses fameuses Centuries. (…) C’est aux Centuries et à elles seules que le mage doit sa gloire posthume.

Ânerie ou canular ?

(…) Voyons par exemple le quatrain n° 35 de la première centurie, le plus célèbre de tous :

Le Lyon jeune le vieux surmontera
En champ bellique par singulier duelle
Dans cage d’or les yeux lui crèvera
Deux classes une puis mourir mort cruelle

Pour les nostradamiens, ce quatrain prédit la mort d’Henri II (« le vieux » lion), lors de la joute (« champ bellique ») qui l’opposait à Gabriel de Lorges, comte de Montgoméry (« le Lyon jeune »), rue Saint-Antoine, à Paris. La lance du comte se brisa et pénétra dans le heaume du roi de France (« cage d’or »), lui crevant un oeil (« les yeux lui crèvera »). Henri II agonisa dix jours durant, puis succomba à ses blessures (« mort cruelle »). L’accident ayant eu lieu en 1559, Nostradamus l’aurait prédit avec quatre ans d’avance - si l’on se fie aux dates données dans sa bibliographie.
Mais si l’on scrute le quatrain, on y découvre des étrangetés étonnamment passées sous silence par les dévots de Nostradamus :

- Entre Henri II et Montgoméry, la différence d’âge était d’environ dix ans.. Justifie-t-elle l’opposition si tranchée que lui aurait accordée Nostradamus ?

- Pourquoi parler de « lion » en évoquant Henri II ? Son emblème, ce sont les fleurs de lis. Les Capétiens étaient nommés «  princes des fleurs de lis », y compris dans les actes officiels. (…)

- L’expression «  champ bellique » désigne un champ de bataille (bellum = guerre, dont nous avons conservé l’adjectif « belliqueux ») et non le lieu d’un tournoi amical, où l’on ne cherche pas à faire couler le sang. Le tournoi est un sport d’entretien, un délassement pour la noblesse en temps de paix.

- Pourquoi la « cage d’or » représenterait-elle le heaume d’Henri II ? Prétendre que ce heaume était doré est pure conjecture. D’ailleurs, les armures ne comportaient pas d’éléments en or, ce métal étant trop malléable..

- « Les yeux lui crèvera » : Henri II a été blessé mortellement à un seul oeil, le droit. Si l’on veut être précis, on peut même ajouter que la lance a atteint le crâne au-dessus de l’oeil. Et le roi n’est pas devenu aveugle, comme le vers le laisse entendre.

- Que viennent faire ici les « deux classes une » ? Du latin classis, le mot signifie « escadre ». Où donc mouillaient ces navires de guerre, en plein Paris ?

Il y a plus. Roger Prévost [1], rapporte que personne, du vivant de l’oracle, n’a songé à faire le rapprochement qui paraît évident à tout le monde aujourd’hui. Même le premier interprète du mage, Jean-Aimé Chavigny, en 1594, n’en a rien dit, lui qui pourtant s’était propulsé biographe de la star et qui ne méprisait pas les enjolivements. Il faut attendre Étienne Jaubert, en 1656, pour que cette traduction soit envisagée. Tardif ! A croire qu’elle ne paraissait pas aller de soi.

Autre anomalie. Dans sa « Lettre à Henri II » datée de 1557 et glissée en introduction de la deuxième partie des Centuries, Nostradamus ne souffle mot des risques qu’encourait son roi bien-aimé. Bien pis, il lui reconnaît une souveraineté universelle incontestée et un avenir florissant («  à l’invinctissime très-puissant et très-chrétien Henry, etc. »). Aurait-il par hasard oublié que la mort allait frapper Henri II deux ans après la rédaction de sa lettre ?

(…) Pour Roger Prévost , Nostradamus a voulu évoquer «  Byzance, où l’on avait la mauvaise habitude de crever rituellement les yeux de l’empereur déchu dans la tour d’Anemas, près de la Corne d’Or, où étaient enfermés sans jugement les criminels d’État à l’époque des Comnène. Et la scène se passe très précisément en 1204, lors du fameux siège de la vile alors en proie aux rivalités des deux empereurs, le vieux et le jeune Ange (nom d’une grande famille de l’aristocratie byzantine au XIIe siècle) aux prises avec les croisés : c’est le moment où ceux-ci ont réuni leur flotte à celle des Vénitiens pour donner l’assaut final à la capitale de l’empire romain d’Orient ».
Pour confirmation de son hypothèse, Prévost se reporte au quatrain 69 de la huitième centurie, où cette histoire se trouve exprimée en clair :

Auprès du jeune le vieux Ange baisser
Et le viendra surmonter à la fin…

Mais alors, Nostradamus racontait non pas l’avenir - mais le passé ?

Cette solution au problème nostradamien peut paraître surprenante - voire révoltante. (…) Pas si sûr. Prévost a, selon cette méthode, décrypté près de trois cents quatrains, soit un tiers de l’ensemble et le résultat est absolument probant pour qui galope un peu sur les terres d’histoire. D’autre part, il se fonde sur le fait probable que Nostradamus, en bon astrologue, croyait à la théorie des cycles, c’est-à-dire au « retour de l’histoire ». Le mage pouvait puiser à foison dans la gibecière du passé, se servir d’événements accomplis, y compris d’événements récents ou contemporains, pour chercher à prévoir l’avenir. (…)
Le sceptique Randi [2] lui-même, il y a quelques années, avait employé cette méthode pour dévoiler le sens caché de quelques quatrains .

Un autre quatrain ayant assuré la postérité des Centuries nous aide à y voir plus clair. Il s’agit du n°20 de la neuvième centurie :

De nuict viendra par la forest de Reines
Deux pars voltorte Herne la pierre blanche
Le moyne noir en gris dedans Varennes
Esleu cap. cause tempeste feu sang tranche

Depuis Le Pelletier, en 1867, les nostradamiens lisent dans ces vers l’arrestation de Louis XVI et Marie-Antoinette à Varennes-en-Argonne, le 20 juin 1791. (…) Les « deux parts » seraient les deux époux en fuite. « Herne » signifierait soit les Hernutes, une « secte chrétienne qui se distinguait par une grande pureté des moeurs » - et donc la monarchie de « droit divin » ( ?), selon Jean-Charles de Fontbrune en 1980, soit la reine elle-même, selon Pelletier. La « pierre blanche » désignerait la monarchie. Le « moyne noir » serait Louis XVI, qui était habillé en gris selon Mme Campan, première dame de la chambre de la reine. « Esleu cap. » serait un « magnifique jeu de mot raccourci par lequel Nostradamus laisse le choix entre caput : « la tête » en latin et l’abréviation de Capet ».
Ce qui a surtout séduit les traducteurs reste la désignation du lieu de l’arrestation : Varennes. (…)Tout le problème, selon Georges Dumézil, qui s’est amusé à étudier ce quatrain, c’est il n’y a pas moins de trente et un Varennes dans le répertoire des communes de France ! (…)

Roger Prévost a accompli un travail de bénédictin. Il s’est penché sur La guilde des chemins de France, de C. Estienne, parue en 1552-1553 (notez la date). Et y a découvert, sur un trajet qui allait de Mayenne à Vitré, dans l’ouest de la France, les lieux suivants : Vautorte (voltorte), Ernée (Herne : l’élision est fréquente à l’époque), le lieu-dit de la « pierre blanche » et la forêt de Rennes-en-Grenouille (autrefois orthographiée Raines - pour Reines) !
En 1562, à l’époque où Nostradamus rédigeait ses quatrains, cette région était « le théâtre d’une guerre cruelle entre catholiques et protestants ». Le seigneur de Vautorte avait rejoint le camp des Réformés, tandis qu’Ernée était sous contrôle catholique. Inutile d’épiloguer sur les atrocités qui se commettaient lors de cet affrontement ! Ne seraient-ce point nos « deux parts » auxquelles fait allusion Nostradamus ?
Cette traduction semble être justifiée puisqu’en descendant vers le sud, Prévost a débusqué un Varennes, situé entre la Loire et le Cher, près de Tours. Toujours en 1562, cette ville fut mise à sac « pour l’exemple » (« tempeste feu sang tranche ») par Antoine du Plessis de Richelieu, nommé par François II capitaine (« eslu cap. ») d’une compagnie d’arquebusiers. Petit nom du sanglant capitaine : « le moine ». Richelieu était ainsi surnommé, car il avait quitté cinq années plus tôt l’habit des bénédictins. Couleur de cet habit monacal ? Le noir (« moine noir ») ! (…)

« Abus et sottises »

http://www.michelnostradamus.org/Nostradamus.jpg

Si Nostradamus semble avoir été très goûté du peuple et des esprits superstitieux de son temps, on peut noter que dès la sortie de ses « œuvres », certaines critiques se sont élevées pour mettre en cause son honnêteté ainsi que ses facultés de prévoir l’avenir. Un vers latin circulait alors :

Nostra damus cum falsa damus, nam fallere nostrum est ;
et cum falsa damus, nil nisi Nostra damus.

Jeu de mots construit à partir du patronyme de l’astrologue et qui signifiait à peu près : « Nous donnons du nôtre comme nous donnons du faux, car c’est notre nature de tromper ; et donnant du faux, nous ne donnons que du nôtre. ». (…)
On lui reprochait ses « ignorances abus et sottises » (Laurent Vedel, 1558), d’établir des oracles « si peu amis de la vérité qu’on expérimente tous les jours le contraire de ce qu’ils contiennent » (Jean de la Daguenière, 1558). Jules César Scaliger, qui avait été son ami à Agen, le qualifia de « charlatan malfaisant » et d’« immonde coquin »

Le plus grave, pour le mythe de Nostradamus, c’est que nous connaissons aujourd’hui quelques-unes de ses rares prédictions « en clair ».
On conserve par exemple une lettre de Catherine de Médicis au Connétable qui témoigne gravement contre le mage. Après être passée par Salon pour prendre des nouvelles de l’avenir, la reine paraissait enchantée : «  avons vu Nostradamus, qui promet tout plein de bien au Roy mon fils (il s’agit de Charles IX), et qu’il vivra autant que vous, qu’il dit aurez avant mourir quatre-vingt et dix ans ». Elle écrivait ces mots en 1564. Las ! Le Connétable mourut trois ans plus tard, à soixante sept ans et Charles IX rendit l’âme à l’âge de vingt-quatre ans, en 1574 !

James Randi évoque un autre document rarement cité par les amoureux du mystère : le compte rendu détaillé que Nostradamus « dressa pour un haut magistrat » de Salon, ainsi que les « informations que le fils de cet homme a fourni ». On comprend la raison de ce silence polaire : « aucune de ses prédictions astrologiques ne s’est réalisée ! Nostradamus s’est manifestement trompé sur tous les points, sur la date notamment de la mort de l’intéressé - à vingt-deux ans près ». La légende en prend un vilain coup.

Dernier exemple. Dans la lettre à César, son fils, placée en préface de ses Centuries, Nostradamus précise qu’entre le moment où il écrit et l’année 1732, « par pestilence, longue famine et guerres, et plus par les inondations le monde entre cy et ce terme préfix, avant et après plusieurs fois sera si diminué, et si peu de monde sera que l’on ne trouvera qui veuille prendre les champs qui deviendront libres aussi longuement qu’ils ont été en servitude ». Guerres à part, qui en ces temps chargés de tumultes étaient le lot quotidien de l’Européen, il faut se résoudre à conclure qu’aucune des catastrophes annoncées ne s’est produite. (…)

Extraits de Paul-Éric Blanrue, Nostradamus et les catastrophes

Voir aussi : Les sceptiques du Québec, Charlatans et Hoaxbuster.

Notes

[1] Roger Prévost, ancien élève de l’École normale supérieure et agrégé de lettres, dans Nostradamus le mythe et la réalité, éd. Robert Laffond, 1999.

[2] James Randi, né en 1928 au Canada, est un illusionniste professionnel connu comme démystificateur des pseudo-sciences et phénomènes paranormaux. Il a publié en français : Le vrai visage de Nostradamus, Balzac-Le Griot éditeur (1993), Collection : Mémoire d’homme.