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Publié : 7 juin 2009
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L’Europe sécuritaire

Fichiers, caméras, contrôles incessants, identifications biométriques, transmission d’informations sur votre vie privée, militarisation de l’espace public sont devenus notre lot.

L’électorat se désintéresse de l’Europe. (…) Mais l’Union n’inspire plus de passion que lorsqu’il s’agit de la dénigrer. (…) Nous allons donc oindre démocratiquement des députés pour la plupart dépités d’être relégués par leur état-major à Strasbourg au lieu de s’occuper de choses sérieuses dans leur capitale.

Nous allons surtout consentir à mi-mots à l’occupation bourgeoise de notre Vieux Continent par la barbarie. Oh ! certes, une barbarie aseptisée et ouatée. Les coups de feu réveillent les nantis et effrayent les enfants. Voyez néanmoins.

Migrants clandestins

Réhabilitation de l’internement administratif pour les migrants dépourvus des papiers qu’une réglementation kafkaïenne leur interdit d’obtenir. Morts par centaines de personnes décidées à affronter la mer faute de pouvoir prendre l’avion, sinon dans la trappe d’un train d’atterrissage. Traques de sans-papiers aux alentours des écoles ou dans les hôpitaux. Suppression de fait du droit constitutionnel d’asile. Cooptation de la très démocratique Libye comme principale partenaire de la politique européenne en matière d’immigration. Expulsions.

Videocameras

Bien sûr, ma bonne dame, il s’agit d’étrangers qui, de surcroît, ne sont pas en règle. Mais leurs enfants sont les amis des vôtres, et votre droit au mariage est compromis, ainsi que vous le rappellent les Amoureux au ban public. En outre, la lutte contre l’immigration (ou contre le terrorisme, les deux sont maintenant synonymes) légitime la mise en place d’une societé de surveillance. Fichiers, caméras, contrôles incessants, identifications biométriques, transmission d’informations sur votre vie privée à des services secrets étrangers, militarisation de l’espace public sont devenus notre lot.

Exagération ? Ouvrez les yeux en France, en Italie, en Angleterre. Le pluralisme de la presse, l’autonomie de la vie politique par rapport au capital sont rognés. La santé, la justice, l’université, la recherche sont soumises au new public management, c’est-à-dire à la dictature de la rentabilité immédiate, au moment où la gestion néolibérale a plongé la planète dans la crise. Le traitement de la pauvreté ou de la folie est confié à la prison. Celle-ci est devenue comme jamais un lieu de dégradation de l’homme. Des législations et des tribunaux d’exception ont été rétablis. Tout cela dans l’indifférence que produit la bureaucratie. Quand on s’échauffe, c’est pour casser de l’immigré comme en Grèce, au Portugal ou en Italie. Quand on convoque un meeting pour la défense des libertés publiques, à l’instar du Parti socialiste français, on fait flop, et François Fillon en rit encore. Oui, notre Europe sent le roussi.

Extraits de Jean-François BAYART [1], L’Europe sent le roussi, Alternatives Économiques, n° 281, juin 2009, p. 26, 3,80 €.

Notes

[1] Chercheur au CNRS (Sciences po-Ceri).