Ôªø Sornettes - Les origines de la sexualité humaine

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Publié : 23 août 2009
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Les origines de la sexualité humaine

La femme se distingue de toutes les autres femelles de singes et de grands singes par une triade, pas celle classique dépassée de l’épouse, de la mère et de la maîtresse, mais le corps en forme de violoncelle, le camouflage de l’ovulation et la ménopause. Il faut aussi ajouter une réceptivité sexuelle quasi permanente. (…)

Couverture : Arnold Bocklin, Mer calme, © The Bridgeman Art Library

Contrairement aux espèces les plus proches de nous dans la nature actuelle [1] on sait combien la silhouette du corps des femmes et des hommes diffère, la sélection sexuelle ayant sculpté le corps au niveau des hanches, des épaules et du cou. (…)

L’anatomie sexuelle de l’homme

Le genre Homo a un répertoire locomoteur simplifié et aussi très performant pour la marche et la course. L’homme est l’un des très rares animaux capables de marcher et surtout de courir sur de très longues distances ; en tout cas, est le seul singe capable de tels déplacements. Bien que pas très rapide, il compense par l’endurance et la résistance, des caractéristiques associées d’une manière générale à une plus grande taille corporelle. (…)

D’où le mythe de « l’homme, le chasseur », faisant écho à cette vieille conception machiste qui ne voit l’évolution de l’homme que du côté des hommes, les mâles, et de l’émergence de leurs innovations cardinales que sont la chasse, les outils, les armes, etc. Or il n’en est rien. Rappelons d’abord que les origines de l’homme ne se passent pas dans l’Europe glaciaire, mais dans la bande des tropiques et en Afrique. L’économie de subsistance ne fait pas de la chasse et de la viande l’apport le plus important en nourriture, loin de là. Difficile de se débarrasser du cliché de l’homme des cavernes avec la femme confinée dans la grotte froide et humide en attendant son beau mâle revenant triomphant de la chasse avec un demi-mammouth dans la besace. Que ce soit en sciences humaines ou en psychologie, le paléoanthropologue reste affligé de la persistance de ces clichés machistes et européens qui, hélas, remplissent les médias de toutes sortes. Voir Les hommes viennent de Mars, les femmes de Vénus. (…)

Dans notre espèce, les mâles sont en moyenne plus grands que les femelles. Ce dimorphisme sexuel affecte aussi la forme du corps avec un bassin plus étroit, une échancrure des hanches moins marquée, des épaules plus larges et une pilosité plus fournie. Le crâne est plus grand, avec des mâchoires plus carrées et un menton plus marqué. Les orbites ont une forme plus rectangulaire. La pilosité faciale fait partie de ces caractères, mais pas dans toutes les populations humaines actuelles, comme les Amérindiens. La voix est plus grave. Tous ces caractères se développent rapidement à l’adolescence, plus tardive et plus longue. (…)

Les organes génitaux s’entourent aussi d’une pilosité pubienne. Les testicules ont une taille relative moyenne, supérieure à celle des gorilles et des orangs-outans, mais moindre que chez les chimpanzés et les bonobos. Selon les crirères empiriques de la taille relative des testicules et des mœurs sexuelles, les hommes se situent entre les espèces monogames et multifemelles/multimâles. Ce ne sont pas des testicules de monogame strict et cela suppose aussi une tendance à la promiscuité. Cependant, les hommes et les femmes formant une alliance sexuelle préférentielle entretiennent de nombreuses relations sexuelles, contrairement aux autres espèces monogames, ce qui suppose tout de même des testicules plus importants.

Le pénis de l’homme est, sans conteste, le plus développé de tous les primates et dépourvu de baculum ou os pénien. Cet os se présente comme une tige cartilagineuse, plus ou moins ossifiée selon les espèces, que l’on retrouve chez tous les mammifères. Son rôle consiste à soutenir le pénis en érection. D’une certaine manière, c’est paradoxal puisqu’on penserait, au contraire, que plus le pénis est gros, plus il aurait besoin d’un support au moment de l’érection ; on observe l’inverse.

À quoi sert un gros pénis ? On ne dispose pas d’hypothèse vraiment validée à cet égard, la plus courante étant la capacité de procurer plus de plaisir à la partenaire pendant des coïts prolongés. Mais est-ce que les femmes sont très sensibles à cet avantage ou n’est-ce là que l’un des fantasmes les plus profondément ancrés de la psychologie masculine ? Autre particularité du pénis humain, l’absence d’épine et de villosité alors que le gland est moins innervé, moins sensible que chez les autres singes. Ces caractères retardent l’excitation et l’éjaculation, ce qui expliquerait, en partie, des coïts plus longs.

D’autre part, le pénis de l’homme au repos pend librement alors qu’il se rétracte dans un fourreau chez les autres singes. Il est tout à fait possible que cet étrange pénis résulte de plusieurs facteurs de sélection, d’abord comme un facteur sexuel secondaire qui interviendrait dans la compétition entre les mâles - équivalent des bois chez les cervidés ou des canines chez les singes. « En avoir un plus long », comme on dit vulgairement, résulterait d’une sorte de compétition intrasexuelle adoucie, jouant plus sur l’impression que sur la démonstration. On ne peut pas exclure non plus un facteur de compétition intersexuelle, les femmes préférant des partenaires avec un pénis plus développé, non pas que pour la promesse d’un plaisir plus intense pendant le coït, mais comme le signe indirect d’une meilleure qualité génétique. Ce genre de considération n’échappe évidemment pas à l’importance que les hommes, les mâles, attribuent à leur membre viril qui, s’il les préoccupe beaucoup, n’implique pas pour autant qu’il en soit de même pour les femmes dont les critères de choix ne se limitent pas qu’à cela. (…)

Arbre phylogénétique

Ce que l’on peut dire et ne pas dire sur les origines de la sexualité humaine

Comparés aux espèces actuelles, qui ne sont pas nos ancêtres, même les chimpanzés, nous possédons une sexualité très particulière :

• Un dimorphisme sexuel de taille corporelle modéré ; ce qui signifie une compétition intrasexuelle limitée entre les mâles ; bien que les hommes se montrent moins tolérants sur la promiscuité sexuelle des femmes que les chimpanzés et encore moins que les bonobos.

• Un dimorphisme sexuel de forme corporelle très marqué ; ce qui signifie une compétition intersexuelle importante pour le choix du partenaire, et dans les deux sens ; ces choix semblent moins importants chez les chimpanzés et encore moins chez les bonobos.

• Une absence de dimorphisme sexuel des canines ; cela signifie que les mâles de notre espèce sont apparentés et se tolèrent, tout au moins au sein de leur communauté.

• Un dimorphisme sexuel de la voix, qui intervient certainement dans la compétition intrasexuelle entre les mâles et aussi pour le choix des femelles. Chez diverses espèces, les femelles préfèrent des partenaires selon la tonalité de la voix, le phrasé, la mélodie. C’est bien connu chez les oiseaux, cela l’est moins pour le brame des cerfs ou les « chants » des gibbons et des orangs-outans, dont les messages s’adressent aussi bien aux rivaux qu’aux femelles. Nous savons que les beaux parleurs et les chanteurs sont de grands séducteurs dans notre espèce, bien que nous ne disposions pas d’étude précise à ce propos, ce qui ne nous épargne pas les clichés habituels.

• Un dimorphisme sexuel de la pilosité sur le corps et la face, mais pas pour le pubis ni pour les cheveux, non plus pour la pilosité des aisselles, piège à odeurs qui joue aussi un rôle dans la signalétique sexuelle.

• La bipédie et la pilosité pubienne dissimulent le sexe des femmes. Un caractère lié au camouflage de l’ovulation et, d’après certains auteurs, à la capacité de cette toison à concentrer des odeurs, molécules de l’excitation sexuelle. Pour d’autres, cette pilosité assurerait une protection de la région vulvaire. La pilosité cache aussi la forte variabilité interindividuelle et interpopulationnelle de la morphologie des organes génitaux féminins pour les grandes et les petites lèvres et le clitoris.

• Les caractères sexuels variables du corps des femmes ne se localisent pas que sur leurs parties génitales, mais sur l’ensemble du corps : longueur des jambes, développement des parties adipeuses des hanches, forme des fesses, courbure de la lordose lombaire, échancrure de la taille, silhouette en forme de violoncelle, forme des épaules, taille et forme des seins, gracilité du cou, la face, l’apparence des yeux et la chevelure. À cela s’ajoutent la démarche et la mise en mouvement de tout cet arsenal sexuel, sans oublier la voix et le regard. (Ce n’est pas pour rien que les sociétés les plus coercitives envers les femmes les cantonnent à domicile, les dissimulent sous des burkas qui ne laissent rien percevoir, même d’un regard ou d’un soupir, les contraignent au silence hors de la maison et tendent à limiter tout déplacement à pied, etc.).

• Tout ce qui précède est lié à une réceptivité sexuelle quasi permanente. Donc, ovulation cachée, mais attractivité ou « œstrus » permanent [2].

• Les hommes possèdent aussi une pilosité pubienne, mais les explications proposées pour celle des femmes ne s’appliquent pas à la leur.

• Le pénis est très développé, pendant au repos et dépourvu d’os pénien, ce qui autorise une variation angulaire de l’érection, une commodité fort utile selon les positions de l’accouplement.

• Les testicules ont une taille relativement moyenne, en relation avec la capacité de répéter des copulations, principalement avec une partenaire privilégiée, mais pas seulement.

• Chez de nombreuses espèces de singes - comme les vervets, les cercopithèques et les mandrills - les mâles exhibent des testicules colorés : blancs, bleus, rouges, etc., un caractère dépendant aussi bien de la compétition entre les mâles que du choix des femelles. Il est possible - c’est une hypothèse - que ces facteurs de sélection se soient reportés sur la taille du pénis chez l’homme, la pilosité pubienne dissimulant en partie les testicules. En revanche, cela n’explique pas l’absence de gland coloré, comme chez les cercopithèques et quelques babouins, sans oublier les orangs-outans, bien qu’ils aient un prépuce.

• Contrairement à la femme, et aux autres singes mâles, l’homme exhibe nettement ses parties génitales ; ce qui ne minimise pas pour autant les autres caractères associés, la forme du corps et de certaines régions du corps, notamment la forme des fesses et des épaules.

Que font les femmes et les hommes de tout cet équipement sexuel ? À quoi sert-il ? (…)

Extraits de Pascal PICQ, Philippe BRENOT, Le Sexe, l’Homme & l’Évolution, Odile Jacob, 2009, p. 120 et suivantes, 21 €.

Notes

[1] Gibbons, Orangs-outangs, Gorilles, Chimpanzés, Bonobos.

[2] œstrus : phase du cycle oestral, chez la femme et chez la femelle du mammifère, correspondant à l’ovulation et pendant laquelle la fécondation est possible.