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Publié : 27 février 2011
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Pour une révolution fiscale

La fiscalité française est asphyxiée par sa complexité, son manque de transparence et l’accumulation de privilèges pour une minorité de contribuables ultra-riches. Mais on en reste trop souvent, en la matière, à des énoncés aussi vagues que stériles.

La République des idées-Le Seuil, 2011

Ce livre innove en proposant une critique d’ensemble du système fiscal français. Il démontre scientifiquement, pour la première fois, le caractère régressif de l’impôt dans notre pays (ce qui signifie que, tous prélèvements confondus, les taux d’imposition sont plus élevés pour les ménages les plus modestes et s’abaissent pour les plus riches). […]

Mais cette analyse au scalpel ne se contente pas de mettre au jour l’injustice du système. Elle plaide pour une révolution fiscale, chiffrée et opérationnelle, fondée sur trois principes : équité, progressivité réelle, démocratie.

Entretien avec Thomas Piketty, directeur d’études à l’EHESS, professeur à l’Ecole d’économie de Paris :

Où beaucoup envisagent de faire simplement évoluer le système fiscal, vous en appelez à une « révolution fiscale », notamment en matière d’impôt sur le revenu. Pourquoi ?

Pour deux raisons. D’abord parce que la complexité de notre système s’ajoute à la technicité du sujet pour le rendre opaque et incompréhensible aux yeux des citoyens. Un niveau de prélèvements obligatoires élevé (environ 45 % des revenus en France aujourd’hui) permet de financer une protection sociale ambitieuse, des écoles, des universités, etc. Mais cela crée aussi une obligation de transparence. Tout le monde paie des impôts : les gens modestes autant et même davantage que les gens riches. Chacun a le droit de comprendre et d’exiger plus de clarté aussi bien sur les efforts demandés aux uns et aux autres que sur l’usage qui est fait des recettes fiscales. C’est pourquoi notre livre s’accompagne d’un site Internet : www.revolution-fiscale.fr qui permettra à chacun, non seulement de se repérer dans le débat fiscal, mais aussi de simuler les réformes qu’il juge souhaitables.

La seconde raison est que notre système d’impôts directs sur le revenu - impôt sur le revenu et contribution sociale généralisée (CSG) - est en faillite. Théoriquement, l’impôt sur le revenu devrait réintroduire de la progressivité et contrecarrer ainsi le caractère fortement régressif des impôts indirects sur la consommation ou des cotisations sociales. Mais, en réalité, l’impôt sur le revenu actuel est lui-même régressif : à mesure qu’on monte dans l’échelle des revenus, le taux effectif d’imposition diminue. Notamment en raison des nombreuses niches fiscales. Bref, il ne suffit plus de faire des ajustements : il faut tout remettre à plat.

Comment ?

Nous pensons qu’il faut supprimer l’actuel impôt sur le revenu et créer un nouvel impôt direct qui consistera, en pratique, dans une extension de la CSG. Celle-ci est en effet un outil efficace : elle n’est pas mitée par une multitude de niches ; son assiette est perfectible, mais large, en particulier concernant les revenus du patrimoine ; et il s’agit d’un prélèvement à la source, à la fois plus simple pour le contribuable et plus facile à contrôler. Le problème de la CSG, c’est qu’elle est proportionnelle. Nous proposons donc d’y introduire un barème progressif très simple qui permette de la rendre plus juste.

Nous n’avons pas cherché à augmenter les recettes de l’Etat, mais à construire un dispositif plus équitable, plus transparent et plus adapté à la situation économique. En réalité, jusqu’à 6 000 euros de revenu mensuel brut par personne (plus de 95 % des gens), tout le monde y gagnerait un peu de pouvoir d’achat. Autour de 7000 euros, la réforme serait neutre. En revanche, à partir de 8 000 euros, l’effort demandé aux contribuables serait plus élevé qu’aujourd’hui. Prenons l’exemple d’un salarié qui gagne 1 800 euros mensuel brut. Pour lui, le gain de pouvoir d’achat serait de 2,3 % (soit près de 500 euros par an), son taux effectif d’imposition passant de 9,6 % à 7,3 %. Cette réforme aurait également des effets de simplification importants. Prenons l’exemple d’un salarié au Smic. Actuellement, on lui prend d’office 8 % de CSG (environ 100 euros par mois). Mais il va pouvoir bénéficier ensuite de la prime pour l’emploi : on va donc lui rétrocéder près de la moitié de ce qu’on lui a pris de CSG, mais … un an et demi plus tard ! Le système que nous proposons simplifierait infiniment les choses et se traduirait par un gain de salaire direct immédiat. C’est ainsi que l’on revalorisera le travail !

Vous proposez également d’individualiser l’impôt sur le revenu et de mettre fin au quotient familial…

Il faut distinguer deux aspects. Il y a, d’une part, le quotient conjugal, c’est-à-dire le fait que les couples sont imposés conjointement (qu’il y ait ou non des enfants). Ce système d’un autre âge aboutit de facto à traiter les femmes comme un revenu d’appoint et à subventionner les couples inégaux [1] . Nous proposons donc de passer à un impôt strictement individuel, comme l’ont déjà fait les pays d’Europe du Sud et les pays nordiques.

Il y a, d’autre part, le quotient familial, c’est-à-dire le fait que les personnes chargées d’enfants puissent payer moins d’impôts que les autres. Cela est parfaitement légitime et il est hors de question de supprimer un tel système. Simplement, nous proposons de lui substituer un crédit d’impôt remboursable, égal pour tous les enfants (quel que soit le revenu des parents) et partagé également entre les deux parents. 95 % des familles y gagneront. Les 5 % les plus riches perdront en termes de quotient familial, mais peut-être cessera-t-on en échange de les menacer de plafonner leurs allocations familiales.

Dans la mesure où votre nouvel impôt sur le revenu intègre mieux dans son assiette les revenus du patrimoine, vous semble-t-il nécessaire de conserver un impôt comme l’ISF ?

Dans une période où les revenus stagnent et où les patrimoines prospèrent, il serait insensé de le supprimer. En outre, les gros patrimoines peuvent se structurer de manière à ne produire que peu de revenus du capital imposables, comme l’a montré le cas de Liliane Bettencourt. Il faut donc imposer les deux. Concernant l’ISF, nous considérons qu’un éventuel relèvement du seuil ne devrait être envisagé qu’en échange d’un fort élargissement de l’assiette, avec des recettes constantes ou en hausse.

Propos recueillis par Thierry Pech , La « révolution fiscale », Alternatives Économiques, n° 299, février 2011, p.72, 3,80 €.

Camille Landais [2], Thomas Piketty [3] et Emmanuel Saez [4], Pour une révolution fiscale. Un impôt sur le revenu pour le XXIe siècle, La République des idées - Le Seuil, 2011, 12,50 €.

Voir aussi Un système fiscal de plus en plus injuste , L’indispensable justice fiscale, selon un ancien PDG et Manifeste d’économistes atterrés.

Notes

[1] Pour obtenir le montant de l’impôt dans le cas d’une déclaration conjointe, on additionne les revenus du couple, on divise ensuite cette somme par le nombre de parts (deux, en l’occurrence), puis on applique le barème, et on remultiplie enfin le résultat par le nombre de parts. Quand les membres du couple ont des revenus inégaux, cette méthode conduit à minorer le taux d’imposition final par rapport à une méthode d’imposition individuelle.

[2] Camille Landais est chercheur au Stanford Institute for Economic Policy Research. Il est notamment l’auteur de « Les hauts revenus en France, 1998-2007 : une explosion des inégalités ? » (Ecole d’économie de Paris, 2008).

[3] Thomas Piketty est professeur à l’Ecole d’économie de Paris et directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales. Il est notamment l’auteur de « Les hauts revenus en France au 20ème siècle - Inégalités et redistributions, 1901-1998 » (Grasset, 2001) et de « Top Incomes - A Global Perspective » (avec A.B. Atkinson, Oxford University Press, 2010).

[4] Emmanuel Saez est professeur à l’Université Berkeley. Ses travaux sur la fiscalité optimale et la répartition des revenus lui ont valu la Clark Medal décernée par l’American Economic Association en 2009. Il est notamment l’auteur de « Income Inequality in the United States, 1913-1998 » (avec T. Piketty, Quarterly Journal of Economics, 2003).