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Publié : 19 juin 2011
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Une Planète trop peuplée ? Fausses évidences sur la population mondiale

Épidémies, guerres, chaos politique, habitudes culturelles… autant de facteurs qui orientent la démographie d’un pays.

DÉMOGRAPHIE, que de poncifs on répand en ton nom …

Carte des pays par population

« L’humanité connaît une natalité débridée. » Non, car depuis plusieurs décennies les taux de natalité diminuent nettement et partout, sous l’effet de ce qu’il est convenu d’appeler la « transition démographique » [1], période durant laquelle une population voit baisser une natalité et une mortalité auparavant très élevées.

« Il faut craindre une véritable explosion démographique. » Qu’on se rassure : la bombe ne sautera pas. Le phénomène majeur du XXIe siècle ne sera pas la croissance rapide de la population, mais son vieillissement.

« Nous allons vivre sur une Terre écrasée par la surpopulation. » Non, à nouveau, car la concentration humaine sur de petits territoires, induite par l’urbanisation, entraîne le dépeuplement d’autres régions.

« Les vagues migratoires Sud-Nord vont nous submerger. » C’est ignorer que les nouvelles logiques migratoires engendrent des mobilités dans tous les sens, dont de très importantes migrations Sud-Sud.

En somme, la « population mondiale » n’existe pas : elle est un agrégat sans signification, addition de réalités différentes. […] Présenter les indicateurs démographiques de la population mondiale, c’est gommer les dynamiques propres : celles de pays à taux de natalité [2] élevé et faible espérance de vie [3], comme le Niger et le Mali, ou celles de pays dont le taux de natalité est si faible qu’il ne compense pas le taux de mortalité [4] , comme la Russie ou le Japon. […]

Le monde est composé de populations diverses, aux indicateurs démographiques différents et aux modes de peuplement variés, comme le montrent les extraordinaires variations de la densité [5] (de 1 141 habitants par kilomètre carré au Bangladesh à 5,9 au Gabon). […]

Le XXe siècle a été témoin d’une évolution sans précédent : le peuplement de la terre a quadruplé (de 1,6 milliard de personnes en 1900 à 6,1 milliards en 2000). Cette croissance résulta de l’addition de trois phénomènes. Dès la fin du XVIIIe siècle, certains pays de l’hémisphère Nord avaient commencé à connaître une baisse de la mortalité (infantile [6], infanto-adolescente [7] et maternelle [8]) qui, au XIXe puis au XXe siècle, s’est généralisée aux pays du Sud (en Inde, par exemple, à partir des années 1920). […]

Par ailleurs, les personnes âgées vivent plus longtemps, grâce à l’amélioration, depuis les années 1970, de la médecine et des infrastructures sanitaires. La mécanisation d’un certain nombre de tâches a en outre apporté de meilleures conditions de travail, contribuant à accroître l’espérance de vie [9], qui a presque doublé en un siècle (de 37 ans en 1900 à 69 ans en 2010).

Évolution de la population mondiale (ONU)

La baisse sans précédent de la fécondité [10] provoque une nette décélération démographique. […] En cinquante ans, la population mondiale a ainsi fortement augmenté : 2,5 milliards en 1950, 6,1 milliards en 2000. Selon la projection moyenne de l’Organisation des Nations unies (ONU), elle devrait s’élever à 9 milliards en 2050. […]

Phénomène inédit, le vieillissement marquera le XXIe siècle. Il peut être mesuré soit par l’augmentation de la proportion de personnes âgées de 65 ans et plus (5,2 % en 1950, 7,6 % en 2010 et 16,2 % en 2050 selon les prévisions de l’ONU), soit par l’évolution de l’âge médian [11] (24 ans en 1950, 29 ans en 2010 et environ 38 ans en 2050). L’accroissement de l’espérance de vie élargit le cercle du troisième âge, la baisse de la fécondité minore les effectifs des jeunes ; ses effets sont particulièrement importants dans les pays en phase d’hiver démographique [12], ceux dont la fécondité est depuis plusieurs décennies nettement en dessous du seuil de remplacement des générations [13] (soit en moyenne 2,1 enfants par femme). […] Il faut aussi tenir compte de l’augmentation du nombre absolu de personnes âgées - ce que l’on appelle la « gérontocroissance » [14] : 130 millions en 1950, 417 millions en 2000, et ce nombre pourrait atteindre 1,486 milliard en 2050. […]

En Inde, 29 % des habitants vivent en ville, 33 % en République démocratique du Congo, 73 % en Allemagne et 79 % aux EtatsUnis. Les facteurs en sont très variables. Le fort taux brésilien est principalement dû à l’héritage de la colonisation qui a fondé des villes chargées d’assurer le contrôle politique et économique du territoire et de centraliser l’exclusivité des échanges avec la métropole portugaise. […]

Les pays très centralisés, comme la France ou l’Iran, se sont dotés d’une armature urbaine macrocéphale, où la capitale politique est dominante dans toutes les fonctions : économiques, financières, universitaires et culturelles. D’autres pays, comme l’Espagne ou la Bolivie, ont une urbanisation bicéphale, dominée par deux villes (Madrid et Barcelone, La Paz et Santa Cruz) ; l’Allemagne est pour sa part organisée en un réseau urbain plus équilibré reliant plusieurs villes harmonieusement hiérarchisées.

Transitions démographiques [15] en cours dans différents pays du Sud, hiver démographique dans certains pays du Nord, vieillissement de la population, urbanisation sans précédent : voilà qui dessine un paysage démographique inédit. S’y ajoute la question des circulations migratoires : 214 millions de personnes résident de façon permanente dans un autre pays que celui où elles sont nées - un chiffre qui n’inclut ni les réfugiés ni les déplacés.

Contrairement aux idées reçues, les migrations sont régulières et permanentes. Et très majoritairement légales : surmédiatisées, les migrations clandestines sont statistiquement négligeables. L’histoire et la géographie ont contribué à construire des couples migratoires de pays. Ils peuvent se fonder sur une proximité géographique - Burkina Faso et Côte d’Ivoire, Colombie et Venezuela, Mexique et Etats-Unis, Malaisie et Singapour, Italie et Suisse … ou sur une histoire commune - Philippines et Etats-Unis, Algérie et France, Inde et Royaume-Uni, etc. - en raison des liens hérités de la colonisation et pérennisés, de jure ou de facto, après la décolonisation. Comme pour le mouvement d’urbanisation, si des facteurs politiques (guerres, conflits civils, régimes liberticides) poussent à l’émigration, les facteurs économiques en sont le moteur principal. Au XIXe siècle, la pauvreté avait contraint de nombreux Espagnols, Suisses et Italiens à émigrer en Amérique latine. La démographie elle-même est un troisième facteur de migration : au XIXe siècle, la France, en raison de la baisse très précoce de sa fécondité, est devenue le seul pays européen d’immigration. Au XXIe siècle, la baisse de la population active dans différents pays développés pousse à faire appel aux immigrés, du fait du déficit de main d’œuvre, notamment dans certaines activités mal payées.

La polarisation entre pays d’émigration et pays d’immigration a cependant perdu de sa pertinence. Les migrations sont de plus en plus circulaires : le Maroc, par exemple, est un pays d’émigration vers l’Europe et l’Amérique du Nord, un pays de transit pour des ressortissants de l’Afrique subsaharienne rejoignant l’Europe, et un pays d’immigration pour des ressortissants de l’Afrique subsaharienne qui y ont arrêté - sans l’avoir nécessairement prévu - leur cheminement migratoire. De même, l’Espagne est un pays d’émigration, en particulier vers les pays du Nord ou l’Amérique latine, un pays de transit pour des Africains se rendant en France et un pays d’immigration à partir du Maroc, de la Roumanie ou de l’Amérique andine. […]

Extraits de Gérard-François DUMONT [16], Fausses évidences sur la population mondiale, Le Monde diplomatique, juin 2011, N° 687, p. 13, 4,90 €.

Notes

[1] Transition démographique : période pendant laquelle une population passe d’un régime de mortalité et de natalité élevées à un régime de basse mortalité, puis de faible natalité. Cette période peut être de durée et d’intensité variables.
Par exemple, en Suède, la transition a commencé vers 1815 pour se terminer en 1965, période pendant laquelle la population s’est multipliée par 3,5.
Au Mexique, la transition n’a duré que quatre-vingt -dix ans, de 1920 à 2010 ; pendant cette période, la population a été multipliée par plus de 8.

[2] Taux de natalité : nombre de naissances vivantes au cours d’une période (en général l’année) rapporté à la population moyenne de la période.

[3] Espérance de vie à la naissance : nombre d’années qu’un groupe de personnes peut s’attendre à vivre, en moyenne. Ainsi, en France, l’espérance de vie à la naissance était de 45 ans en 1900, de 79 ans un siècle plus tard et de 81,6 ans en 2010.

[4] Taux de mortalité : nombre de décès au cours d’une période (en général l’année) rapporté à la population de la période.

[5] Densité : rapport de l’effectif d’une population à la superficie du territoire sur lequel elle habite ; elle s’exprime par le nombre d’habitants par kilomètre carré (hab./km2). La densité la plus élevée est de 16 235 hab./km2 à Monaco, la plus basse de 1,8 hab./km2 en Mongolie ; en France, elle s’établit à 114 ; aux Etats-Unis, à 31.

[6] Taux de mortalité infantile et juvénile : nombre d’enfants morts avant d’atteindre respectivement l’âge de 1 et 5 ans rapporté à 1 000 naissances vivantes dans la même période.

[7] Taux de mortalité infanto-adolescente : nombre de personnes d’une génération décédées entre l’âge de 1 an accompli et l’âge adulte, donc d’enfants et d’adolescents (généralement avant l’âge de 20 ans), rapporté au nombre de naissances de cette génération.

[8] Taux de mortalité maternelle : nombre de femmes décédant du fait d’un accouchement ou de ses suites pour 100 000 naissances vivantes durant une année donnée.

[9] Espérance de vie en bonne santé : nombre d’années qu’un groupe de personnes peut s’attendre à vivre, en moyenne, sans handicap majeur.

[10] Indice synthétique de fécondité : indice statistique (exprimé en enfants par femme) calculé en faisant la somme des taux de fécondité par âge. Pour la France métropolitaine, en 2008, il est de 1,98 enfant par femme, ou plus précisément de 19882 enfants pour 10000 femmes. Ce chiffre résulte de l’addition du taux de fécondité des femme de 15 ans (5 naissances pour 10000 femmes de cet âge), de ceux des femmes de 16 ans (19 pour 10 000), de 17 ans … jusqu’au taux de fécondité des femmes de 49 ans (1 pour 10 000).

[11] Âge médian : âge qui partage les individus d’un pays (ou d’une région) en deux groupes d’effectifs égaux. En France métropolitaine, l’âge médian en 2010 est de 40,1 ans : la moitié de la population a moins de 40,1 ans ; l’autre moitié plus de 40,1 ans.

[12] Hiver démographique : situation d’un pays dont le taux de natalité continue de baisser à la fin de la transition démographique, alors que le taux de mortalité se stabilise - cela accentue le vieillissement des populations à un rythme plus ou moins rapide.

[13] Seuil de simple remplacement des générations : indice de fécondité nécessaire pour que les femmes d’une génération soient remplacées par un nombre égal à la génération suivante, donc une trentaine d’années plus tard. Dans les pays où les mortalités infantiles, infanto-adolescentes et maternelles sont très faibles, ce seuil est de 2,1 enfants par femme ou très légèrement inférieur, comme en France. Lorsque ces mortalités demeurent élevées, il est supérieur : par exemple, de 2,2 enfants en République dominicaine, 2,4 au Yémen, 2,7 en Guinée ou 3,1 au Zimbabwe.

[14] Gérontocroissance : augmentation du nombre de personnes âgées dans une population considérée.

[15] Transition démographique : période pendant laquelle une population passe d’un régime de mortalité et de natalité élevées à un régime de basse mortalité, puis de faible natalité. Cette période peut être de durée et d’intensité variables. Par exemple, en Suède, la transition a commencé vers 1815 pour se terminer en 1965, période pendant laquelle la population s’est multipliée par 3,5. Au Mexique, la transition n’a duré que quatre-vingt-dix ans, de 1920 à 2010 ; pendant cette période, la population a été multipliée par plus de 8.

[16] Professeur à l’université Paris-Sorbonne, président de la revue Population & Avenir.