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Publié : 19 juillet 2011
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Affaire DSK : comme prévu, la plaignante du viol devient l’accusée

[…] J’assiste médusée à un scénario bien trop connu par toutes celles et ceux qui accompagnent les victimes de viol à longueur d’années : alors que Dominique Strauss Kahn, même s’il vient d’être libéré sur parole et s’il bénéficie de la présomption d’innocence, reste à ce jour toujours inculpé de crimes sexuels, la plaignante, Nafissatou Diallo, se retrouve elle, en position d’accusée, bien qu’elle maintienne son témoignage concernant le viol qu’elle dit avoir subi, son procès se met en place, et ce n’est pas la défense (de Strauss Kahn) qui le fait, mais le procureur, à charge et à décharge… Avec les mêmes arguments entendus à longueur d’enquêtes de police et de procédures judiciaires mettant en cause la crédibilité de la plaignante, ses mensonges passés et présents même s’ils n’ont pas de rapport direct avec l’agression relatée, ses incohérences dans sa version des faits, ses comportements, sa « mauvaise vie », sa vénalité… et la plupart des médias et des commentateurs de relayer de façon indigne…

René Magritte, Le viol (1934)

Ce scénario, avec le revirement soudain de la police et du procureur qui s’acharnent alors sur la plaignante, j’en ai maintes et maintes fois été témoin avec mes patientes victimes de viol que je suis en tant que psychiatre spécialisé en psychotraumatologie et en victimologie. Tout commence pas trop mal lors du dépôt de plainte et des premières auditions (avec malgré tout beaucoup de dysfonctionnements), le viol rapporté par la plaignante semble pris en compte par les enquêteurs, et soudain tout bascule sur un ou plusieurs détails, considérés comme des « mensonges » mettant en cause totalement sa crédibilité : la plaignante lors de la déposition a omis de dire qu’elle avait consommé du cannabis ou de la cocaïne ce qui apparait sur la prise de sang ; la plaignante a omis de révéler certains faits de son passé ; la plaignante n’avait pas fait part lors des auditions de certains échanges internet ou téléphonique avec celui qu’elle désigne comme son agresseur ; la plaignante a mal identifié le lieux du viol ou a décrit une chronologie des faits, un agencement des lieux, un trajet qui s’avèrent inexacts, incohérents ou pas assez précis ; la plaignante a oublié des pans entiers de son emploi du temps le jour de l’agression… Elle est alors maltraitée, accusée de mensonges et la procédure aboutit à un classement sans suite ou à un non-lieu…. Elle peut être accusée de dénonciation mensongère et être mise en garde à vue et malmenée. Et si un procès à quand même lieu, le procureur général demande l’acquittement. […]

Faut-il rappeler que les violences sexuelles n’ont rien à voir avec un désir sexuel ni avec des pulsions sexuelles, ce sont des armes très efficaces pour détruire et dégrader l’autre, le soumettre et le réduire à l’état d’objet et d’esclave. Il s’agit avant tout de dominer et d’exercer sa toute puissance.

Faut-il rappeler que les violences sexuelles sont fréquentes, suivant les études et les pays elles toucheraient entre 20 et 30 % des personnes au cours de leur vie. En France 16% des femmes ont subis des viols ou des tentatives de viols dans leur vie, dont 59% avant 18 ans [1]. […]

Faut-il rappeler que toutes ces violences sexuelles sont le prototype du « crime parfait ». Dans l’immense majorité des cas, les agresseurs restent impunis, quels que soient les pays. En France seulement 10% des viols (12 000 sur 120 000) font l’objet d’une plainte, 3% font l’objet d’un jugement et 1% d’une condamnation (1 200 sur 120 000) [2]. […]

Violer est un pari plus que raisonnable, l’impunité est quasi garantie, porter plainte pour viol en espérant que l’agresseur soit condamné est en revanche un pari plus que déraisonnable, avec une procédure extrêmement éprouvante, aboutissant quand l’affaire n’est pas classée sans suite le plus souvent à un non-lieu, avec le risque d’être attaquée en retour pour dénonciation mensongère. Quand un procès a lieu malgré tout, il est souvent déqualifié en agression sexuelle, et si le procès se passe aux Assises, il est alors l’occasion d’un déballage indécent de l’intimité de la victime et de sa mise en cause systématique. Presque toutes mes patientes victimes de viol regrettent d’avoir porté plainte, même si dans l’absolu elles restent convaincues de la nécessité que justice leur soit rendue, mais c’est tellement dur…

La plaignante se disant victime de viol doit être parfaite, pure, vierge, pas trop jeune ou trop handicapée (un enfant, une handicapée mentale, une malade mentale ça raconte n’importe quoi), pas trop âgée ou trop moche (ce n’est plus un objet à convoiter), pas trop pauvre (elle pourrait chercher des compensations financières), pas trop jolie (c’est pousse au crime), pas avec une vie trop « légère » (elle l’aurait cherché alors), pas étrangère et sans-papier, pas prostituée bien sûr (il s’agirait alors non d’un viol, mais d’un différent commercial, sic.), il ne faut pas aussi qu’elle connaisse trop bien l’agresseur, ni être sa femme ou sa compagne. Bien sous tout rapport, sinon sa parole n’aura aucun poids, sauf à avoir été tuée.

Il faut qu’elle soit idéale selon les canons d’une société bien imprégnée d’un sexisme qui énonce qu’une femme est par essence avant tout un objet sexuel consentant à priori, soumise par définition au désir des hommes. Si elle n’a pas su éviter ce désir, c’est qu’elle voulait certainement le susciter, à elle d’assumer alors, si elle dit qu’elle n’était pas consentante, elle ment pour se rendre intéressante ou pour nuire à l’homme, pour se venger ou pour lui soutirer de l’argent. Si les femmes ne veulent pas être des objets sexuels, elles n’ont qu’à s’auto-censurer que ce soit dans leur habillement, leur déplacements, leurs relations, leur choix de travail, leur façon d’être, leur langage, etc. Mais si elles s’auto-censurent efficacement, elles ne seront tout à fait des femmes, « elles ne seront plus bonnes à baiser » et n’intéresseront plus la plupart des hommes, elles pourront même ne plus être tout à fait des êtres humains qui comptent, elles deviendront transparentes, invisibles, c’est le prix à payer pour ne pas être violée…

Mesdames soyez sexy dès le plus jeune âge, soyez un objet sexuel désirable qui sera regardé, courtisé, séduit mais ne vous plaignez pas d’être harcelée, agressée sexuellement, violée (cf l’interview récente de Catherine Millet)… Ou alors auto-censurez-vous, disparaissez de l’arène de la séduction, mais ne vous plaignez pas de n’être plus regardée et de ne plus intéresser aucun homme… Renoncez au « grand amour » et au Prince Charmant. À vous de choisir ! Bon exemple d’injonction paradoxale et de choix impossible, il ne reste qu’à composer avec art entre ces deux possibilités et à apprendre à supporter un harcèlement de fond en étant toujours hyper vigilante pour éviter le pire. Et si le pire arrive, tant pis pour vous, vous n’avez pas fait assez attention ou vous avez pris des risques inconsidérés. […]

Mais revenons au viol et aux enquêtes policières et aux procédures judiciaires. En plus d’être la personne parfaite avant le viol, la plaignante doit avoir eu lors du viol et après celui-ci un comportement exemplaire et elle doit pouvoir s’expliquer sur tous ses comportements et réactions. Une expertise psychiatrique est systématiquement demandée.

La bonne victime doit avoir un discours hyper cohérent, elle doit se rappeler exactement de tout et elle doit avoir réagi de façon idéale :

Pas question de ne pas avoir dit non clairement, de ne pas avoir crié, de ne pas s’être débattue, de ne pas avoir essayé de fuir. […]

Pas question d’avoir été dissociée et anesthésiée émotionnellement, et d’avoir mis du temps à réaliser la réalité et la gravité de ce que l’on a vécu. […]

Pas question d’avoir d’importants troubles de la mémoire et du repérage temporo-spatial. […]

Pas question d’avoir été totalement sous l’emprise de l’agresseur, manipulée, escroquée émotionnellement, dépendante de lui à la fois émotionnellement et financièrement. […]

Pas question d’avoir eu son discernement altéré par la prise d’alcool et de drogues. […]

Pas question d’avoir après le viol sombré dans des conduites dissociantes pour survivre au traumatisme, de boire, de se droguer, de se mettre en danger, d’avoir des conduites à risque, d’avoir eu de nombreux partenaires. […]

Extraits de Muriel SALMONA [3], La Nausée…, Stop aux violences familiales, conjugales et sexuelles, 4 juillet 2011.

Voir Féminin - Masculin.

Voir aussi DSK : portrait d’un oligarque par Michel Pinçon, Monique Pinçon-Charlot.

Notes

[1] Bajos N., Bozon M. et l’équipe CSF, Enquête Contexte de la sexualité en France (CSF) de 2006.

[2] Rapport annuel 2009 de l’Observatoire National de la Délinquance (OND), La criminalité en France.

[3] Muriel Salmona, docteur-psychiatre-psychothérapeute spécialisée en psychotraumatologie, responsable de l’Antenne 92 de l’Institut de Victimologie, présidente de l’Association Mémoire Traumatique et Victimologie.