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Publié : 9 août 2007
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Lettre ouverte à un fils d’immigré

Nadir Dendoune

« Si certains n’aiment pas la France, qu’ils ne se gênent pas pour la quitter ! » Nicolas Sarkozy

Je prends un exemple au hasard, pour la démonstration. Un Hongrois de base, pas français pour un sou, arrive en France et fait un gosse, qui naît dans une clinique du XVIIème arrondissement. Eh bien, son môme - appelons-le Nicolas - sera Français à 100%. Droit du sol oblige. Ca ne viendrait à personne, l’idée de le qualifier « d’origine hongroise », de « Hongrois de la deuxième génération » et de lui poser 3000 questions sur ce qui se passe en Hongrie. On sait bien qu’il n’en sait rien : il est Français.

On a aussi du mal à s’imaginer, dans une cour de récré, deux gamins insultant le petit Franco-Hongrois : « Eh, dans ton pays, on trouve plein de prostituées ! » « Eh, ton pays, c’est un sacré ramassis de baltringues, qui s’est fait envahir par les chars russes en 56 ! ». Plus tard, le jeune Nicolas ne sera pas non plus interpellé par un flic : « Eh, tu m’expliques pourquoi les jeunes Hongrois foutent la merde en France, alors que dans leur pays, ils se tiennent à carreau ? » Dans un dîner entre personnes de gauche, on ne lui dira pas : « Tu es d’origine hongroise ? Oh, j’adore le goulache ! » Et on ne lui demandera pas ce qu’il pense de la musique de Liszt ou de Bartok et du dernier bouquin d’Imre Kertesz. Pourquoi, quand on est jeune « d’origine algérienne », cet anonymat n’existe jamais ? Je dis « d’origine algérienne », je pourrais dire d’origine « tunisienne », « camerounaise » ou « turque ». (…)

Aujourd’hui, prenons une Française bien française, avec ce détail : elle a la peau noire. Eh bien, son enfant à elle devra passer par la case « intégration ». On voit bien que le vrai problème, c’est la couleur de peau. Et on voit bien qu’il n’est pas près d’être résolu ! Alors, je te pose la question : jusqu’à quand devra-t-on attendre pour que nous, les basanés de tout poil, on nous considère comme des Français sans-rien-derrière ? Quand nous demandons l’égalité, nous voulons dire : la normalité. (…)

Les galères des cités françaises, le chômage des jeunes dans les quartiers, la violence, la délinquance, les « nique la France » « nique la police » ne sont pas des problèmes d’immigration, ni d’intégration, comme tu le prétends. Ce sont des problèmes entre Français, point. (…)

A la plupart des Français, on ne demande pas grand-chose : aller à l’école jusqu’à 16 ans, payer des impôts, ne pas griller les feux rouges et la priorité à droite, mater TF1 assez souvent….. Mais moi, en plus, je dois « aimer la France ». Mais pour quelle raison ? (…) Ma parole, c’est à croire que tu ne m’écoutes pas ! Mon daron est arrivé en 1950 par bateau, à Marseille, sans bagages ni visa (pas besoin), mais avec une grosse envie de bosser. Ca tombe bien : une partie de la France était à reconstruire ! Il a fait comme un Basque qui quitte son Biarritz natal pour aller bosser à Strasbourg ! Tu te vois lui demander de faire des bisous sur le sol alsacien tous les jours ? Et à ses gamins ? (…)

Beaucoup de gens dans notre pays préfèrent l’époque bénie où les Rebeus étaient « discrets ». Moi, je dirais « dociles ». Ce sont en général les mêmes qui regrettent le temps où les Noirs, les femmes et les homos étaient, eux aussi, « discrets ». (…) On a tous des grandes gueules, maintenant, et on blablate sur des trucs que les mecs comme toi n’ont pas envie d’entendre. La France avait besoin d’enfants aussi. Mon père, il en a fait. Plein ! (…) Alors, la famille Dendoune vivait à six dans une minicabane à l’Île Saint-Denis que le frangin de mon père avait fait construire illégalement. (…) De bonne humeur, les parents continuaient la procréation. Une autre frangine naît en 1971 et l’année d’après le petit dernier apparaît : moi. En tout, sept filles et deux garçons. Neuf Français ! C’est la République qui est contente… Quel certificat je devais montrer pour te prouver que « chez moi », c’est en France ? Je ne parle pas de tous ces bouquins que j’ai avalés ces dernière années : Zola, Stendhal, Flaubert, Molière…. Je ne parle pas non plus du diplôme de cuisine française que je possède, grâce auquel je sais mitonner un cassoulet ou un pot-au-feu mieux que bien des Français de souche. Je te parle de ces références populaires qui sont les mêmes chez tous les Français (en tout cas chez les prolos qui n’habitent pas Neuilly). (…)

On porte notre culpabilité sur notre visage, on paie pour les fautes des autres qui nous ressemblent. Quand j’entends parler d’un meurtre d’enfant, je me surprends à penser : « Ouf ! L’assassin est un Blanc. » C’est débile, mais c’est un réflexe. Mais est-ce que je tiens tous les Blancs responsables des crimes d’Emile Louis ? (…)

Je voudrais juste que tu comprennes un truc, juste un : que même si je suis un magouilleur de première, un braqueur de banque ou un tueur en série, je n’en reste pas moins un Français. Car être français, en 2007, ce n’est pas simplement bouffer du porc, boire du pastis à l’apéro, aller à l’église le dimanche, jouer à la pétanque au bac à sable… La France a changé, t’as pas remarqué ? Elle est devenue colorée, un peu. Que ça te plaise ou non. En tout cas, moi, je ne laisserai plus personne remettre en cause ma légitimité à être ici. Et que je sois un bon citoyen ou un mauvais, que je sois en réussite ou pas, je n’en reste pas moins un Français. (…)

Extraits de Nadir Dendoune, Lettre ouverte à un fils d’immigré, Editions Danger Public, 2007, 14,50 €.