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Publié : 9 décembre 2010
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Créationnisme : confusion entre savoir et croire

Le postulat d’objectivité énoncé au début du XVIIe siècle, a remis en question l’idée que la science était au service de la théologie. Deux siècles ont été nécessaires pour que philosophes et scientifiques parviennent à faire prévaloir cette distinction. Le mouvement créationniste du « dessein intelligent » tente de faire croire que cette histoire n’a pas existé.

Créationnisme

[…] Pour contrer leur emprise démagogique et idéologique sur un nombre de plus en plus grand de personnes aussi bien aux États-Unis qu’en Inde, en Arabie Saoudite ou en Belgique, il semble utile de revenir au moment où la séparation s’est progressivement faite entre deux types de discours, celui de la science et celui de la théologie, et de rappeler la distinction entre croire et savoir. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, la science s’est construite par l’affirmation de son autonomie et de son indépendance à l’égard de l’argument du dessein. Celui-ci est le raisonnement finaliste qui, à partir du constat de l’ordre de la nature, infère qu’il y a un principe d’ordre transcendant et créateur de cet ordre, Dieu. Mais la construction de la science ne s’est pas faite sans résistance de la part des savants eux-mêmes. Il faut du temps pour que le postulat d’objectivité s’impose en science. […]

Il est clair que trois siècles de réflexion sur les droits séparés de la science et de la théologie ont mis un terme aux erreurs du raisonnement finaliste et aux égarements de la raison qui prétendait inférer des connaissances scientifiques une preuve de l’existence de Dieu. Cela n’empêche pas la foi et la religion de constituer un domaine qui n’est pas incompatible avec le domaine de la raison et de l’expérience : toute la vie et l’œuvre d’un croyant et d’un savant comme Pascal l’attestent suffisamment. Et, pour mieux vivre cette existence de croyant et de savant, il nous a légué les moyens méthodologiques de penser la distinction entre croire et savoir : la croyance, qui repose sur l’autorité et la foi, et la connaissance, qui repose sur la raison et l’expérience, ont des droits séparés. Un savant peut croire en Dieu en toute conscience. Mais cette « toute conscience » est aussi une conscience de la nécessaire distinction entre croire et savoir, entre les convictions religieuses et les connaissances.

Or, aujourd’hui, le mouvement inquiétant du dessein intelligent qui se répand dans le monde entier fait comme si ces réflexions n’avaient pas existé. Les partisans de ce mouvement instrumentalisent, non pas la science, mais une fausse science - la doctrine créationniste - pour servir leurs desseins de propagande. Ils en veulent surtout à Darwin bien sûr. Ils cherchent à faire croire que la théorie darwinienne n’est pas une théorie scientifique mais une hypothèse équivalente et concurrente à l’hypothèse créationniste. Ce faisant, non seulement ils cherchent à élever une doctrine idéologique au rang de science mais aussi à abaisser une science (celle de l’évolution) au rang d’hypothèse. Par un tel coup double, ils insinuent le doute chez beaucoup de gens qui n’ont jamais réfléchi philosophiquement aux enjeux et à l’illégitimité de l’argument du dessein, et qui se laissent tenter par ce retour de la thèse finaliste.

Jésus a connu les dinosaure

Les créationnistes, en supprimant le critère de distinction entre croire et savoir, entre l’idéologie et la science, suppriment, en réalité, le propre de la science qui est d’être fondé sur le postulat d’objectivité. Enfin, dernière étape, ils s’ingénient à montrer que la « science pour croyants » est plus légitime que la « science pour athées » de sorte qu’on renonce définitivement non seulement à affiner la théorie darwinienne mais même à l’enseigner.

Les enjeux de ce mouvement idéologique sont extrêmement graves : pourra-ton continuer à enseigner Darwin dans les écoles, dans les collèges, dans les lycées et les universités ? Ou devra-t-on enseigner uniquement la prétendue science créationniste « recommandable » idéologiquement ? Ce mouvement doit être pris au sérieux, parce que l’on peut aujourd’hui entendre, en France, en classe de sciences de la vie un élève dire à son enseignante : « Vous, Madame, vous croyez en Darwin parce que vous êtes athée. »

La confusion entre croire et savoir atteint ici son comble par ce retour aux pratiques irrationnelles, péremptoires mais idéologiquement très concertées de l’Inquisition et de sa méthode d’accusation. Le professeur de biologie qui fait son cours sur l’évolution est accusé d’hérésie du fait de son discours, que les élèves pratiquants transposent dans un autre domaine pour le sanctionner et le condamner : la connaissance et la croyance n’ont plus leurs droits séparés, tout est bon pour enlever à la théorie darwinienne tout crédit. Cette condamnation et cette dévalorisation n’atteignent pas le seul Darwin mais la science tout entière et la société dans son ensemble : cette offensive créationniste est en réalité une guerre contre la science.

Véronique LE RU [1], Comment savoir s’est séparé de croire, La Recherche, N° 447, décembre 201O, p. 40, 6 €.

Voir aussi Dieu comme bouche-trou, Dieu a créé le monde en six jours et la Terre n’a que 7 000 ans et La secte des créationnistes.

« Mais que foutait Dieu avant la création ? » Samuel BECKETT, écrivain, poète et dramaturge irlandais d’expression anglaise et française (1906 - 1989)

« On découvre aisément en Dieu des signes graves d’anthropomorphisme. » Achille CHAVÉE, aphoriste et poète belge de langue française (1906 - 1969)

« L’une des preuves de l’immortalité de l’âme est que des myriades de gens le croient. Ils ont cru aussi que la terre était plate. » Samuel Langhorne Clemens dit Mark TWAIN, écrivain, essayiste et humoriste américain (1835-1910)

« Je crois parfois que Dieu en créant l’homme à quelque peu surestimé ses capacités. » Oscar Fingal O’Flahertie Wills dit Oscar WILDE, écrivain irlandais (1856-1900)

Notes

[1] Véronique Le Ru, maître de conférences en philosophie à l’université de Reims, a publié en octobre 2010 La Science et Dieu, aux éditions Vuibert.