Ôªø Sornettes - Les hommes viennent de Mars, les femmes de Vénus

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Publié : 30 juin 2007
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Les hommes viennent de Mars, les femmes de Vénus

Nicolas Delesalle, Le cerveau a-t-il un sexe ?

Vous êtes un homme, un vrai. Une bonbonne de testostérone avec du poil au menton. Vous savez faire un créneau du premier coup, vous lisez les cartes routières les yeux fermés, vous êtes rationnel. Un problème survient ? Vous cherchez la solution en silence. Vous feriez un sacré ingénieur. Atavisme hérité du chasseur préhistorique, vous voyez très bien de loin, mais, curieusement, vous êtes incapable de trouver le beurre dans le frigo. Vous ne savez pas faire deux choses à la fois (sauf boire une bière en regardant le foot à la télé) et, avouons-le, vous n’êtes pas très doué pour communiquer. Quand vous n’envahissez pas un pays pour expliquer votre point de vue, vous parlez, certes, mais n’utilisez que sept mille mots par jour !

Quant à vous, madame, vous êtes parfumée aux oestrogènes. Vous êtes multitàche, capable tout à la fois de travailler sur un dossier, de surveiller les devoirs des enfants, de préparer le diner et de lire Télérama. Vous feriez une excellente secrétaire. Un problème survient ? Vous en parlez en mangeant du chocolat. Atavisme hérité de la femme préhistorique, qui gardait le nid, vous avez une vue panoramique excellente et très utile en période de soldes. De plus, contrairement aux hommes qui tournent la tête lourdement dès qu’un jupon passe à proximité, vous pouvez reluquer un joli mâle sans jamais vous faire repérer. Et si vous êtes nulle en matière de cartes routières, de créneaux ou de mathématiques, pour parler, vous êtes la plus forte : vingt mille mots par jour, de quoi faire passer votre homme pour une grosse truffe taciturne. Peu rationnelle, chère madame, mais relationnelle.

Une pipelette multifonction et un taiseux monotâche. Ne cherchez pas à changer, vous n’y pouvez rien. Ces caractéristiques sont inscrites dans vos patrimoines génétiques, dans chaque cellule de vos cerveaux. C’est irréfutable, scientifique. Prouvé. Vous n’avez qu’à lire les bestsellers à la mode [1], et vous, devrez admettre I’implacable vérité : monsieur est martien, madame, vénusienne. Pensez-y lors de I’élection présidentielle : préférez-vous voter pour une tête de linotte émotive ou pour une brute rationnelle ?

Carte postale extraite de la collection du photographe Martin Parr

Mais ces comportements d’où viennent-ils ? Et pourquoi diable les femmes seraient-elles capables de faire tant de choses à la fois ? La bravitude ? Tss, tss, tss. Parce qu’elles utilisent leurs deux hémisphères cérébraux simultanément alors que le mâle bêta n’en utilise qu’un seul. On le sait depuis une étude de 1982 : le corps calleux qui sépare les deux hémisphères cérébraux est plus épais chez la femme et favorise la communication entre les zones du cerveau. Pourquoi bavarde-t-elle quand l’homme écoute pousser sa barbe ? Parce que I’hormone féminine, l’oestrogène, favorise l’activité verbale, selon Sally Shaywitz, de l’université Yale. Et parce que la femme utilise beaucoup plus l’hémisphère gauche, voué au langage, alors que I’homme préfère s’amuser avec le droit (représentation spatiale). Explication (pré)historique : pendant que madame de Cro-Magnon papotait dans la grotte avec ses copines et rangeait les chaussettes sales en peau de bête, monsieur chassait fièrement le mammouth. Il a appris à se taire pour ne pas se faire repérer. Et à force de partir trucider le dîner au fin fond d’une nature hostile, pendant des millions d’années, il a aussi appris à se repérer dans l’espace, à savoir que pour rentrer à la maison il fallait prendre à gauche après la grosse pierre, puis à droite, puis passer au-dessus du néandertalien assommé à l’aller, puis trois fois à gauche….

(…) Voilà, en bref, ce que dit la science. Ou plutôt ce que les best-sellers disent de ce que dit la science. Car, ô divine surprise, à y regarder de plus près, cette science-là a tout faux. Neurobiologiste et directrice de recherche à l’institut Pasteur, Catherine Vidal est en guerre contre les stéréotypes véhiculés ces dernières années dans les médias et l’édition : «  Il faut désintoxiquer les gens de la bêtise ambiante ! J’en ai marre d’entendre toutes ces c.. sur les cerveaux des hommes et des femmes ! » Il faut le savoir, et la neurobiologiste le crie haut et fort : la totalité des arguments cités plus haut, et repris en boucle dans les médias, sont réfutés depuis longtemps par,.. la science. La théorie de l’épaisseur du corps calleux de 1982 ? Invalidée en 1997 par une enquête sur deux mille personnes qui ne voit aucune différence entre hommes et femmes. La femme plus douée pour parler ? Une gigantesque étude menée en 2004 n’a révélé aucune différence entre les sexes concernant les capacités dans ce domaine. L’activité cérébrale de la femme à 90 % au repos ? L’étude date de 1980 et n’a jamais été confimée. La théorie des hémisphères gauche (langage) et droit (représentation spatiale) ? Lancée dans les années 70, avant l’IRM, en pleine mode du yin et du yang, elle est complètement dépassée : l’imagerie cérébrale montre que les deux hémisphères fonctionnent en permanence en interaction. Chez les deux sexes. La testostérone rend les hommes agressifs, et l’oestrogène, les femmes émotives et sociables ? Les récents progrès des neurosciences prouvent que l’être humain échappe à la loi des hormones : son cortex surdéveloppé, siège des fonctions cognitives les plus élaborées (langage, conscience, imagination … ), n’est guère réceptif aux fluctuations hormonales, contrairement à celui des animaux. La préhistoire et ses atavismes ? Nous n’avons aucune trace de la répartition des tâches chez l’homme préhistorique. Le stéréotype de l’homme chasseur et de la femme au foyer est hérité du XIXème siècle. (…) « Grâce aux nouvelles technique d’imagerie cérébrale, on sait que la variabilité individuelle l’emporte sur la variabilité entre les sexes » (…) En définitive, on peut se demander pourquoi des Homo sapiens sapiens aussi évolués que nous peuvent bien se ruer sur ces best-sellers qui expliquent nos comportements par une biologie de bazar : « Le succès de ces théories tient au fait qu’elles sont rassurantes, répond la neurobiologiste. Elles nous donnent l’illusion de comprendre et de nous sentir moins responsables de nos actes. » (…)

Nicolas Delesalle, extraits de Le cerveau a-t-il un sexe ?, Télérama, n° 2978, 10 au 16 février 2007, p.18.

Notes

[1] John Gray, Les hommes viennent de Mars, les femmes viennent de Vénus ; Allan et Barbara Pease, Pourquoi les hommes n’écoute jamais rien et les femmes ne savent pas lire les cartes routières ?