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Publié : 18 juillet 2007
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Sortir du charbon ?

Yves Sciama, Le charbon à la conquête du XXIème siècle

Olivier James, La promesse d’un cauchemar climatique

(…) De fait, le charbon n’a jamais disparu, de la scène planétaire. Bien au contraire : depuis trente ans, son utilisation croît au même rythme que la consomation d’énergie, soit environ 3 % par an. La faiblesse relative de ce pourcentage recouvre en fait une croissance considérable. « Au cours de trois dernières décennies, précise Milton Catelin, président du World Coal Institute , la production de charbon est passée de 2 à 5 milliards de tonnes annuelles ! » C’est-à-dire de quoi fournir, à lui seul, essentiellement par combustion dans des centrales thermiques, un quart des besoins d’énergie primaire de la planète (contre un tiers au pétrole) et 40 % de son électricité. Pour Milton Catelin, c’est certain, le charbon est « le combustible du XXIème siècle ».

Fig.1 Premiers des 10 plus gros consommateurs mondiaux de charbon.

(…) la Chine, fonctionne d’ailleurs presque exclusivement au charbon : 75 % de son électricité en provient. Il s’y construit environ une centrale au charbon par semaine, et les projections des experts annoncent l’installation d’une puissance de 200 GW d’ici à 2010 (équivalent à plus de 130 réacteurs nucléaires !), de 500 GW supplémentaires entre 2010 et 2020, et d’encore 670 GW avant 2030 ! Et l’Inde est sur la même pente. Régulièrement frappée par de graves coupures de courant, elle s’équipe à un rythme accéléré et lance des programmes pharaoniques : la plus grande centrale thermique au charbon au monde, d’une capacité de 12 GW (équivalent à 3 centrales nucléaires françaises) va voir le jour dans l’Est du pays.

Fig.2 Dans de nombreux pays, le charbon représente plus de 50 % de la production électrique.

Pour autant, le charbon n’est pas une énergie de pays pauvre. Juste derrière la Chine, à la fois premier producteur et consommateur, on trouve… les EtatsUnis, qui, avec plus de 100 000 mineurs employés dans 2 000 mines, exhument chaque année près d’un milliard de tonnes. Plus de la moitié de l’électricité américaine provient de ce combustible, dont le Japon est également un gros consommateur, tout comme l’Australie. Même l’Europe n’est pas en reste. Notre voisin allemand est le dixième consommateur mondial de houille, et devant lui on trouve la Pologne (7ème) et la Russie (6ème). Nous constatons en Europe un mouvement massif de retour au charbon et au lignite, qui est tout d’abord lié à la flambée du prix du pétrole et du gaz.

(…) Indispensable aujourd’hui, le charbon le sera encore plus demain. Car derrière l’envol planétaire de la houille se cache celui de la consommation électrique, qui s’accroit de 1,9 % par an depuis trente ans. Une consommation électrique qui est loin de recouvrir les mêmes réalités au Nord et au Sud. Dans les pays riches, son accroissement résulte pour bonne part de la multiplication des appareils électroménagers ou électroniques : lave-vaisselle, télévisions, climatisation, ordinateurs… A l’inverse, dans les pays du Sud, 1,5 milliard d’humains n’ont pas accès au courant, et des pays comme l’Inde ou l’Afrique du Sud font d’énormes efforts pour apporter l’électricité à leurs populations (la Chine vient seulement d’achever son électrification). Le problème, c’est que ce boum de la consommation électrique intervient au moment où s’accumulent les nuages sur les hydrocarbures (pétrole et gaz naturel), qui représentent aujourd’hui la moitié de l’énergie mondiale. Sur le plan géologique, d’abord : selon les estimations, le monde ne peut plus compter que sur 40 à 60 années de pétrole et 70 à 90 années de gaz naturel, au rythme actuel de consommation. Or celle-ci croit de 2 % par an ce qui ramène les délais à, respectivement, 25 et 40 ans.

(…) En clair : le pétrole, puis le gaz, sont voués à devenir hors de prix dès que l’on atteint le pic de production [1] qui pourrait intervenir dès 2015 pour le pétrole. (…) Le gaz représente 80 % du prix du kilowattheure électrique qui en est tiré et la moindre tension peut se révéler catastrophique pour les opérateurs.

(…) Dans ces conditions, on comprend mieux que tous les regards se tournent vers le charbon. Car avec lui, pas de problème de ressource, au moins à l’horizon d’un siècle : les réserves actuelles s’avèrent déjà suffisantes pour tenir entre 150 et 170 ans au rythme acftiel. Et si on y ajoute les gisements à découvrir et ceux qui semblent aujourd’hui économiquement inexploitables (c’est le cas en France, par exemple ), on peut même parler d’une ressource disponible pour au moins deux siècles. Un sacré répit ! Et ce n’est pas tout. Car côté risques géopolitiques, le charbon donne de vrais gages. En effet, la houille se trouve répartie en quantité à peu près égale dans les grandes régions de consommation : un fiers environ pour l’Amérique, l’Eurasie et l’Asie Océanie, seul le Moyen-Orient se trouvant ici lésé. Mieux, les caprices de l’histoire sédimentaire de la Terre ont fait que les Etats-Unis sont au charbon ce que l’Arabie saoudite est au pétrole : ils sont assis sur le quart des réserves mondiales. Tandis que les deux puissances économiques montantes que sont la Chine et l’Inde sont également généreusement pourvues.

(…) Mais la liste de ses atouts ne s’arrête pas là ! Car il se prête à certaines métamorphoses particulièrement bienvenues. Par exemple : bien que sa forme soit solide, des procédés, dits « CTL » (Coal To Liquids), permettent de le transformer en carburant destiné, notamment, aux automobiles !

(…) Impossible de se passer du charbon, donc ! Et puisqu’il y en a partout et en abondance, on pourrait s’en réjouir : la crise de l’énergie est résolue avant même d’avoir commencé ! Hélas, (…) sa combustion émet 35 % de gaz carbonique en plus par rapport au pétrole, 72 % de plus que le gaz naturel… Pas de miracle non plus si l’on remplace les essences actuelles par des carburants liquides à base de charbon, « des filières très émettrices en C02 car elles ont un rendement déplorable », explique François Gruson (Institut français du pétrole). Autrement dit, basculer du charbon au pétrole conduirait à une catastrophe climatique… A moins, bien sûr, de parvenir à débarrasser le charbon de son encombrant fardeau de C02 : (…c’est à dire) le capturer à un coût acceptable et le stocker durablement, ce qui reste encore infaisable. (…)

Extraits de :

Yves Sciama, Le charbon à la conquête du XXIème siècle, Science & Vie, Mars 2007, n°1074, p.46, 3,95 €.

Olivier James, La promesse d’un cauchemar climatique, Science & Vie, Mars 2007, n°1074, p.54, 3,95 €.

Voir aussi Sortir du nucléaire ?, Association négaWatt : sortir de la boulimie énergivore , Jean-Marc Jancovici : Le nucléaire ? Oui merci ! et Global Chance.

Notes

[1] Pic de production : Moment où la production cesse d’augmenter et ne suit plus la demande