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Publié : 25 novembre 2007
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Les émissions de CO2, gaz à effet de serre

Jean-Marc Jancovici, « Que pouvons nous émettre comme CO2 si nous voulons lutter efficacement contre le réchauffement climatique ? »

Le GIEC [1] a publié dès 1996 la conclusion suivante : pour arrêter d’enrichir l’atmosphère en gaz carbonique (autrement dit pour que la quantité de CO2 dans l’atmosphère soit stable et non croissante), quel que soit le niveau et quelle que soit la date à laquelle nous souhaitons y parvenir, il faudra de toute façon que les émissions humaines de CO2 soit divisées par deux au moins par rapport au niveau de 1990.

Pourquoi faut-il opérer cette division par deux ? C’est presque de l’arithmétique toute bête : l’humanité émettait, en 1990, environ 6 milliards de tonnes de carbone par an (soit 22 milliards de tonnes de CO2), et « mère Nature » savait en récupérer environ 3 (par an aussi), grâce à ce qui s’appelle les « puits » (océans, écosystèmes terrestres). Dire que dame Nature ne parvient à retirer que 3 Gt [2] de l’atmosphère par an, soit la moitié de nos émissions, c’est avoir dit que l’autre moitié vient augmenter la quantité de CO2 dans l’atmosphère. Pour que cette quantité de CO2 dans l’atmosphère cesse d’augmenter, il faut donc diviser nos émissions par 2, CQFD. (…)

Attention : une atmosphère dont la concentration en gaz carbonique cesse d’augmenter, cela ne veut pas dire une diminution immédiate de l’effet de serre supplémentaire (par rapport à la situation préindustrielle, en 1750), et encore moins une diminution immédiate de la température. Cela veut juste dire que l’effet de serre supplémentaire arrête d’augmenter, mais l’atmosphère restera pendant des milliers d’années au moins avec un effet de serre plus important qu’en 1750. Pour limiter aussi vite que possible un changement futur, la division par deux de nos émissions est donc plus un minimum qu’un objectif suffisant.

Revenons aux chiffres : en 1990, nos émissions de gaz carbonique représentaient donc 6 milliards de tonnes équivalent carbone (encore notées 6 à 7 Gt). Indépendemment de ce qui a pu se décider à Kyoto, l’objectif mondial qui a un sens sur le plan physique est donc d’arriver à 3 Gt par an tout au plus. 3 milliards de tonnes d’équivalent carbone pour 6,5 milliards d’individus (en passe de devenir 7 à 9 d’ici à 2050), cela signifie, si nous répartissons équitablement le « droit à émettre », tout au plus 460 kg de carbone par personne et par an, ou encore 1,7 tonne de CO2 par personne et par an (en moyenne planétaire, donc).

Comme cette valeur de 460 kg de carbone ou 1,7 tonne de CO2 ne dira pas grand’chose à grand’monde ( !), pour la rendre parlante il faut la comparer aux émissions « actuelles » - en l’espèce de 2003 - pour un certain nombre d’habitants de la planète. En effet, ce « quota équitable » de 460 kg de carbone par personne et par an représente :

- moins de 10% des émissions d’un Américain, d’un Australien ou d’un Canadien, qui devrait donc diviser ses émissions par 10 (voire 12) pour participer équitablement à l’effort de réduction mondial nécessaire,

- Entre 15 et 20% des émissions d’un Allemand ou d’un Danois (les Danois sont parmi les premiers émetteurs de gaz à effet de serre par habitant de la CEE !), qui devraient donc diviser leurs émissions par 6,

- 20% des émissions d’un Anglais, qui devra donc diviser les siennes par 5,

- 25% des émissions d’un Espagnol, où c’est une division par 4 qui les attend (le « rattrapage » économique de l’Espagne des 15 dernières années s’est accompagé d’une hausse de 40% des émissions par personne : encore une illustration du fait que la croissance économique telle que nous la connaissons ne durera pas, même si cela nous déplait….),

- 25% à 30% des émissions d’un Français, d’un Suisse, ou d’un Suédois, où c’est une division par 4 - 3 pour ceux qui ne prennent pas l’avion, allez - qui permet de participer équitablement à l’effort de réduction mondial,

- environ 30% des émissions d’un Portugais, qui devra donc diviser ses émissions par 3,

- environ 45% des émissions d’un Mexicain, 50% de celles d’un Argentin ou d’un Chinois : aussi « pauvres » que ces habitants puissent être considérés, il sont déjà physiquement trop « riches » en ce qui concerne les émissions de CO2,

- Mais 1,5 fois les émissions d’un Indien ou 4 fois celles d’un Nigérian : quelques pays ont donc encore la possibilité d’émettre un peu plus.

D'après UNFCCC, INED, CSE

Fig.1 - Comparaison entre les émissions brutes de CO2 par habitant en 1998
- trait horizontal rouge : la limite de 460 kg équivalent carbone par personne et par an, si l’objectif est de diviser les émissions mondiales de CO2 par deux avec 6,5 milliards d’hommes sur terre.
- trait horizontal bleu : la limite si l’objectif est de diviser les émissions par trois, dans un monde où la population serait passée à 9 milliards d’individus.

Avec les technologies actuelles, la limite est vite arrivée, puisqu’il suffit, pour atteindre ce « droit maximal à émettre sans perturber le climat » (de 460 kg de carbone par personne et par an), de faire une seule des actions suivantes :

- faire un aller-retour de Paris à New York (en avion, pas en scaphandre autonome !),

- ou consommer 3.200 kWh d’électricité en Grande Bretagne (ou 3.000 kWh aux USA), mais 22.000 kWh en France (à cause du nucléaire mais chut, ce n’est pas politiquement correct…), sachant que la consommation annuelle par Français est de l’ordre de 6700 kWh actuellement (dont 50% nous est « invisible », parce qu’il s’agit d’électricité « contenue » dans les divers produits de l’industrie ou de l’agriculture que nous achèterons ensuite).

- ou acheter 50 à 500 kg de produits manufacturés (soit au plus le tiers d’une petite voiture, moins s’il y a beaucoup d’électronique ou de matériaux rares).

- ou acheter 1,5 micro-ordinateur à écran plat,

- ou utiliser 2 tonnes de ciment (une maison moderne de 100 m2 en nécessite 10),

- ou faire un peu plus de 5.000 km en zone urbaine embouteillée en Twingo, soit 6 mois de circulation en moyenne en Ile de France, et 2.500 km en gros 4x4 ou en Mercédès (en ville embouteillée aussi).

- ou consommer 7.200 kWh de gaz naturel (soit quelques mois de chauffage d’un logement).

Si l’on prend en compte les autres gaz à effet de serre il suffit même de :

- faire un aller simple à New York

- ou acheter 90 kg de boeuf avec os ou 1.400 l de lait (la vache folle est donc une excellente affaire pour le réchauffement climatique).

(…) Quoi qu’il en soit, le niveau de 50% des émissions de 1990 n’est « pas négociable », car il dépend de données physiques. Tant que nous n’y redescendons pas la concentration en CO2 dans l’atmosphère continue d’augmenter et la certitude d’ennuis futurs accrus - qui se chargeront, si rien d’autre ne l’a fait avant, de limiter suffisemment notre activité pour « forcer » cette baisse des émissions de CO2 - aussi. On voit donc que Kyoto n’est qu’un timide premier pas.

Même sans changement climatique, l’humanité redescendra « un jour » à ce niveau de 50% des émissions de 1990, parce que la quantité d’hydrocarbures disponible est finie. La seule bonne question n’est pas « est-ce que ? », mais seulement « quand et comment ? ». Dit autrement, la seule bonne question me semble être : cette décroissance peut-elle être volontaire, ou attendrons nous que des événements non souhaités s’en chargent à notre place, probablement dans des conditions bien moins agréables alors ?

Le temps que l’on met pour parvenir à cette réduction influe seulement sur :

- le niveau auquel la quantité de CO2 se stabilisera (de 1,5 à …. 4 fois la concentration préindustrielle de CO2, voire plus), et donc l’élévation ultime de température,

- le temps nécessaire à la stabilisation (de moins de 1 siècle à plusieurs siècles).

(…) En fait non seulement ce maximum de 50% des émissions actuelles n’est pas négociable, mais à très long terme il est encore trop élevé : si nous souhaitons stabiliser rapidement la concentration de CO2 dans l’air à un niveau relativement bas (450 ppm, par exemple), c’est encore plus qu’il faudra faire avant la fin du 21è siècle.

Admettons maintenant que ce soit une division par 3 qui soit notre objectif (et cela le sera un jour). Si dans le même temps, nous nous basons sur une population de 9 milliards d’individus, cela signifie que nous aurons alors à notre disposition non plus 500 kg mais 2/9è de tonne par personne, soit environ 250 kg equivalent carbone par habitant et par an, ou encore 10% de ce qu’un Français émet aujourd’hui (3% des émissions actuelles d’un Américain). Nous avons encore du pain sur la planche !

Extraits de Jean-Marc Jancovici, Que pouvons nous émettre comme CO2 si nous voulons lutter efficacement contre le réchauffement climatique ?, Site internet manicore  

Notes

[1] GIEC = Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. En anglais : IPCC = Intergovernmental Panel on Climate Change.

[2] Gt = Gigatonne = milliard de tonne