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Publié : 9 décembre 2007
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L’interdit de l’inceste est le propre de l’homme

Chimpanzés et bonobos, tout comme les humains, évitent de forniquer entre parent proches. La raison d’être du tabou tient aux effets délétères de la consanguinité.

Chimpanzés

Reprenant sans sourciller la thèse de Claude Lévi-Strauss, l’encyclopédie Universalis pose : « Règle universelle, la prohibition de l’inceste est la démarche fondamentale par quoi s’accomplit le passage de la nature à la culture. » Développée au XIXe siècle, sanctifiée par Freud, cette idée est devenue un dogme. Il s’effondre aujourd’hui, en raison, pour l’essentiel, de travaux minutieux menés par les éthologues.

Contrairement à ce qu’enseigne la vulgate lévi-straussienne, l’espèce humaine ne se différencie guère, à cet égard, de la plupart des animaux, et notamment de nos parents simiens. Si elle se distingue, ce serait plutôt, au contraire, par la fréquence des actes incestueux, en particulier entre père et fille. Les chroniques judiciaires et la bonne littérature en témoignent. Plusieurs sociétés ont par ailleurs admis l’inceste entre frère et sœur. L’exemple le plus fouillé est celui de la société égyptienne, dans laquelle le mariage entre deux enfants de la même fratrie était une pratique courante [1]. Ce qui distingue l’homme des autres espèces animales, c’est bien que la culture peut contrecarrer la nature.

Stratégies d’évitement

Si l’on entend par inceste le fait d’établir une relation sexuelle potentiellement reproductive avec un proche parent, cette pratique est en règle générale évitée dans le monde animal. Les stratégies d’évitement diffèrent selon les classes d’animaux et les espèces. Elles sont souvent sophistiquées. Chez nos cousins germains chimpanzés et bonobos, la jeune femelle qui approche de la puberté s’écarte peu à peu du centre de gravité de sa troupe natale, puis s’en va rejoindre une autre troupe. Chez les macaques et bien d’autres espèces, c’est le jeune mâle qui s’en va. Le risque d’inceste est donc écarté. Il n’est pas complètement éliminé, cependant. Ainsi les jeunes mâles chimpanzés ou bonobos qui restent dans le groupe natal pourraient être tentés de forniquer avec leur mère ou leurs sœurs. Ils n’en font rien. Même chez les bonobos, où les relations entre la mère et son fils sont intimes, l’évitement de l’inceste s’établit tôt [2].

Si l’histoire culturelle de notre espèce nous éloigne de nos cousins, la proximité est cependant bien là. Dans la plupart des sociétés traditionnelles, c’est soit la fille, soit le garçon qui s’éloigne de sa famille natale. La règle la plus fréquente est le départ des filles, ce qui nous rapproche des chimpanzés et bonobos.

Que ce soit chez les singes ou chez l’homme, la généalogie de ces pratiques n’est pas connue. Leur raison d’être, en revanche, est bien identifiée par les généticiens. L’inceste reproductif entraîne un effet statistique appelé la dépression de consanguinité. Chez les êtres sexués disposant comme nous de deux jeux de chromosomes, le risque qu’un gène délétère récessif se retrouve sur les deux chromosomes et produise donc ses effets négatifs est d’autant plus grand que les partenaires sexuels sont proches parents. Pour prendre un exemple fourni par le livre d’Olivia Judson [3] : « Un gène récessif tapi chez une personne sur cent a sept fois plus de chances de rencontrer son jumeau chez l’enfant fait avec un cousin germain qu’avec un partenaire pris au hasard dans une foule. Pour l’enfant d’un frère et d’une sœur, le risque est vingt fois supérieur. Du moins si le gène est commun. S’il est rare, disons présent chez une personne sur dix millions, le risque pour l’enfant d’une sœur et d’un frère est multiplié par 2,5 millions. » Face à ce genre de risque, la sélection naturelle a tranché.

Olivier Postel-Winay, L’interdit de l’inceste est le propre de l’homme, Le dictionnaire des idées reçues en science, La Recherche, Octobre 2007, n°412, p.66, 6,40 €.

Voir aussi L’interdit de l’inceste a-t-il un fondement biologique ?

Notes

[1] Maurice Gaudelier, Métamorphose de la parenté, Fayard, 2004.

[2] Frans de Waal, Bonobos, le bonheur d’être singe, Fayard, 2006.

[3] Olivia Judson, Manuel universel d’éducation sexuelle à l’usage de toute les espèces, Seuil, 2004.