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Publié : 15 mars 2009
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Lettre à une compagnie aérienne

Messieurs dames,

J’entends dire ici et là que vous feriez « voler des avions ».

Je vous le dis très franchement : je n’y crois pas une demi-seconde !

Couverture : © Jean Tholance

Non, vous ne me ferez pas gober que vous arrivez à faire décoller du sol ces énormes machins qui pèsent, à vue de nez, dans les cent tonnes. Physiquement, votre affaire ne tient pas debout : vos trucs sont beaucoup trop lourds pour pouvoir voler. Sursauter, à la rigueur, en cas de tremblement de terre, mais voler, sûrement pas.

Je veux bien croire que vous avez fait le maximum pour y arriver, que vous avez bossé la forme du truc, vous avez greffé de chaque côté du suppositoire des grands morceaux plats pour que ça ressemble à des ailes, vous avez dû, par-dessus le marché, fixer là-dessous des moteurs de folie, mais même comme ça ! Pas besoin d’être Einstein, pas besoin de connaître les arcanes [1] de la physique nucléaire pour comprendre ça ! Un peu de bon sens, les copains ! Gardons les pieds sur terre !

Une feuille d’arbre : oui, ça vole. Une plume aussi, et c’est bien logique, puisque c’est fabriqué par des bestiaux qui savent voler. Une poussière, ça vole : pas dur, ça pèse trois fois rien !

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Un petit caillou léger, ça vole, et même ça ricoche sur la rivière si le caillou est bien plat, ça oui ! Mais un avion, excusez-moi, il faut pas trop prendre les gens pour des cons !

Une cigogne, d’accord : ça vole, et c’est déjà bien étonnant, vu la taille du bazar ! Mais dès qu’on grimpe un peu dans l’échelle des poids, ça ne vole plus, forcément ! Voyez l’autruche ! Elle vole, l’autruche ? Elle vole, ou elle ne vole pas ? Eh bien je réponds à votre place puisque vous ne voulez rien dire : elle ne vole pas. Elle « court » plus vite qu’un lapin, mais elle ne vole pas.

D’ailleurs je suis tout à fait prêt à admettre que vos appareils « roulent » plus vite qu’un lapin, peut-être même plus vite qu’un guépard. Mais ne me racontez pas qu’ils volent !

Un conseil tout simple, messieurs et mesdames des compagnies aériennes : quand vous montez un canular, débrouillez-vous pour qu’il y ait un minimum de crédibilité ! Sinon, tout votre système retombe comme un soufflé, et qui c’est qui est ridicule ? C’est vous.

En l’attente de votre réponse, veuillez admettre que je continue à rire sous cape tellement je vous ai bien grillés.

Extrait de François ROLLIN, Les belles lettres du professeur Rollin, Collection Le Goût des mots, Points Seuil, 2009, p. 89, 6,50 €.

Notes

[1] Arcane. Ne pas confondre arcane et arcanne. L’arcanne est la craie rouge dont se servent les charpentiers. Laissons donc tranquilles les charpentiers et leurs outils. L’arcane avec un seul n vient du latin arcanum, qui veut dire « secret », et désigne, en alchimie, une préparation mystérieuse réservée aux adeptes. C’est par extension que l’arcane change ensuite de nombre et s’affiche au pluriel, pour former « les arcanes », c’est-à-dire les mystères, les secrets … de la politique, par exemple. Les arcanes de la politique, ce sont les manœuvres mystérieuses et les procédures secrètes qui régissent, dit-on, le monde de la politique.
On évoque pareillement les arcanes du pouvoir, les arcanes de la médecine chinoise, ou les arcanes du tarot. Quand on a dit ça … dans la mesure où les arcanes sont par définition secrets, on a, je le crains, tout dit. Le reste relève des arcanes de la lexicographie qui, du reste, n’existent pas, la lexicographie étant une science exacte et publique, du moins l’espère-je.
Considérés maintenant sous l’angle de la rime, les arcanes ouvrent, bien que ce ne soit pas du tout leur vocation, de nouveaux horizons, essentiellement cinq :
L’horizon tout prosaïque de la barbacane, ouverture verticale et étroite dans le mur d’une terrasse pour l’écoulement des eaux.
L’horizon, tout aussi étroit selon moi, des églises, anglicane et gallicane.
L’horizon encore étriqué et tortueux de la chicane.
L’horizon. déjà nettement plus lointain (43 mètres homologués), de la puissante sarbacane.
Et l’horizon, virtuellement illimité, de l’indémodable bécane, porte ouverte sur les passions les plus folles.
Ceux qui ne sont pas parvenus à percer le secret des arcanes peuvent toujours se rabattre sur les successeurs de l’arcane, dans l’ordre du dictionnaire : l’arcanson, l’arcasse et l’arcature.
L’arcanson est la résine provenant de la distillation de la térébenthine. L’arcasse est l’ensemble des pièces de charpente de la voûte d’un navire, assemblées sur l’étambot perpendiculairement à la quille. L’arcature est une série de petites arcades décoratives, réelles ou simulées.
Nous voilà bien utilement renseignés.