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Publié : 15 mars 2007
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L’individualisme

Eveline Pieiller, « Les facettes de l’individu empêtré dans l’individualisme »

Voici une trentaine d’années, pourquoi a-t-on décidé de proposer des poussettes où l’enfant désormais tournerait le dos à ses parents ? Pourquoi la «  transparence » semble-t-elle une vertu quasi rédemptrice ? Pourquoi celui qui naguère s’appelait assez clairement « chef du personnel » a-t-il été rebaptisé « directeur des ressources humaines » ? Pourquoi la télé-réalité a-t-elle autant de succès ? Pourquoi les livres consacrés à l’épanouissement de la personnalité sont-ils en tête des meilleures ventes ?

Ne pas reconnaître que « nul n’est à l’origine de soi », ne pas renoncer au rêve infantile et dangereux de toute-puissance, croire que se soumettre à ses désirs permet d’accomplir sa vérité, c’est oublier que, si l’on peut justement chercher à s’accomplir, c’est parce que la société, ses structures, ses limites, la loi, le permettent, et non parce que ce serait un droit «  naturel » auquel la société ferait obstacle ; c’est oublier que c’est la raison qui, en écrivant des lois, s’est institutionnalisée, et a rendu possible l’autonomie de l’individu ; c’est oublier qu’on reçoit d’abord les lois, les interdits, les limites, avant de se les approprier, et que c’est ainsi que se pérennise l’institution sociale de la raison - indispensable à l’exercice de la liberté, intime et collective.

(…) De la poussette rénovée où l’enfant est censé appréhender librement le monde, coupé du regard des parents qui permet de donner sens à ce qu’il voit, au glissement de la science vers la technique au service du marché, de la substitution de la créativité à l’étude du patrimoine littéraire, jusqu’à la place prise dans la presse et l’imaginaire par le clonage, il donne à lire un monde qui semble avoir oublié que la liberté se construit en raison. Ce monde est en plein accord avec une conception économique libérale qui s’est déployée précisément sous couvert de ces mêmes idéaux de libération et de respect de l’individu subtilement faussés - «  de même que, selon les préceptes libéraux, une main invisible est censée assurer la prospérité générale pour que les hommes abandonnent leur prétention à intervenir dans l’économie et ne se préoccupent que de leur intérêt personnel, de même l’auto-organisation conduirait les êtres à l’épanouissement et au bonheur ». Dans une société alors en passe de « désinstitutionnalisation généralisée » (…), l’individu est seul, sommé de s’auto-créer, éperdument : libéré des contraintes, libéré de la raison, libre, follement libre d’écouter les sollicitations de son inconscient et celles du marché, qui n’aime rien tant que satisfaire ses pulsions archaïques.

Lire l’article intégral dans Eveline Pieiller, Les facettes de l’individu empêtré dans l’individualisme, Le Monde diplomatique, Mars 2007, n°636, p. 26.