Ôªø Sornettes - L'école du mépris

Sornettes

Vous êtes ici : Accueil du site > Coups de gueule > L’école du mépris
Publié : 4 mai 2008
Version imprimable de cet article Version imprimable
Format PDF Enregistrer au format PDF

L’école du mépris

Retour sur l’enseignement de la morale civique pendant la Troisième République par Pierre TEVANIAN.

À l’heure où le ministre Xavier Darcos tente de réintroduire dans les programmes scolaires des cours de morale et de civisme, il n’est pas inutile de démystifier ce que furent en réalité ces enseignements dans le passé. Or, deux auteurs se sont penchés sur de vieux manuels d’instruction civique  [1], et le résultat est accablant.

L’éducation civique apparaît en effet comme une école de la servitude : les manuels ne cessent de célébrer la patience, la prudence, la modestie et la discrétion, tandis que tout ce qui ressemble à de la résistance, de la révolte ou de la revendication se trouve stigmatisé comme de la vanité, de l’outrecuidance ou de la sauvagerie.
Morceaux choisis :

« Acceptons joyeusement la médiocrité, qui ne nous prive que du superflu et nous libère du souci des grandes richesses. »

« Le devoir nous ordonne de nous résigner ; si une mère perd son enfant unique, qu’elle s’intéresse à des enfants orphelins ou abandonnés : il n’en manque pas. »

« Certaines femmes s’achètent deux robes par an quand une seule pourrait leur durer deux ans. »

(…)

Finalement, des jeunes paysans du début du siècle aux « sauvageons » d’aujourd’hui, l’objectif non avoué de l’éducation civique semble rester le même : policer et discipliner la jeunesse. Il est bon de se rappeler que cette morale de l’obéissance, que tant d’intellectuels ou de professeurs semblent aujourd’hui regretter, a formé dans les années 1900-1940 moins de citoyens responsables que de sujets dociles et de fonctionnaires zélés. Ne l’oublions pas : Maurice Papon, ce champion du « service de l’État », ainsi que tous les hauts fonctionnaires qui ont collaboré à la politique raciste du gouvernement de Vichy, étaient les meilleurs élèves de cette école républicaine qui apprenait avant tout à obéir.

En fait, cette école n’apprenait pas seulement à obéir. Elle apprenait aussi à mépriser. En effet, on ne comprend pas la permanence des préjugés, du racisme, du sexisme ou du mépris de classe, si l’on ne prête pas attention à ce relais décisif qu’a été l’école. Autres morceaux choisis :

« Je citerai encore une cause de la condition misérable de beaucoup d’ouvriers : c’est la paresse, »le péché auquel nous nous laissons aller le plus facilement« . Combien y en a-t-il qui, travaillant faiblement et à contre-coeur, ne font rien de bon, mettent deux heures pour exécuter l’ouvrage d’une seule, reculent devant les difficultés qui devraient les animer, restent pauvres par leur faute, et condamnent ainsi leur famille à l’ignorance et à la misère ! »

« À son mari, la femme doit assurer le bien-être matériel et moral. Elle saura faire en sorte que rien ne lui manque : linge et vêtements bien entretenus et prêt à temps ; repas servis exactement et préparés en tenant compte de ses goûts et de sa santé. »

(…)

« Il est vrai que, s’ils ne sont guère que le tiers de l’humanité, les Blancs, par l’ascendant de leur intelligence supérieure, par leur morale plus élevée, par leurs religions plus pures et plus nobles, par leur esprit d’invention aussi, et par la force de leurs armes perfectionnées, de leurs machines plus savantes, les Blancs sont les rois de l’Univers. »

(…)

« Supprimer les frontières ? Mais aussitôt la France se couvrirait d’un ramassis d’étrangers, avides de fouler son sol sacré, de respirer son air vivifiant, de jouir de son climat, de ses richesses, de l’exploiter dans le plus mauvais sens du mot. Et lorsque tous ces vampires exotiques l’auraient saignée à blanc, sucée jusqu’aux moelles, la fraternité des peuples se traduirait par des étreintes mortelles, des luttes effroyables, des calamités que l’imagination n’ose concevoir. Ce serait du propre, en vérité ! »

Voir l’article intégral de Pierre TEVANIAN, L’école du mépris, Collectif Les mots sont importants, 2 mai 2008.

Notes

[1] M. Jeury, J.-D. Baltassat, Petite histoire de l’enseignement de la morale à l’école, Laffont, 2000. Toutes les citations proviennent de divers manuels de lecture ou d’instruction civique publiés entre 1900 et 1939.