Ôªø Sornettes - Haïku

Sornettes

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Publié : 27 mai 2008
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Haïku

Il existe trois grandes formes poétiques qui font partie de la culture et du patrimoine japonais : le tanka, le renku et le haïku.

Le tanka est la forme poétique classique la plus ancienne. C’est un poème à forme fixe, de 31 syllabes, construit en deux parties, la deuxième venant comme réponse, ou relance, à la première ; cette première partie est un tercet de 17 (5/7/5) syllabes et la deuxième est un distique de 14 (7/7) syllabes, ou vice versa.

Le renku ou « poème lié » s’écrivait avec la collaboration de plusieurs poètes réunis en un même lieu pour une séance d’écriture. La forme est fixe ; le premier chaînon et les chaînons impairs sont des tercets de 17 (5/7/5) syllabes, et le deuxième chaînon et les chaînons pairs sont des distiques de 14 (7/7) syllabes. Traditionnellement, un renku est constitué de 36 chaînons.

Le hokku, un tercet de 17 (5/7/5) syllabes, est en quelque sorte l’unité de base de la poésie japonaise ; c’est l’ancien nom du haïku (parfois appelé haïkaï), le premier verset du renku ou encore un verset détaché. C’est à Basho Matsuo (1644-1694) que l’on attribue la fragmentation du tanka ou du « poème lié », c’est-à-dire la pratique d’écrire un hokku sans souci d’enchaînement. Bien longtemps après Basho, Shiki Masaoka(1867-1902) donne un nom à ce « chaînon » isolé : haïku (abréviation de « haïkaï-hokku »).

Lune froide / Le gravier crisse / Sous la chaussure. (Yosa Buson)

Une règle d’écriture des haïku importante est de toujours utiliser un mot ou une expression permettant de situer le poème dans une des quatre saisons : printemps, été, automne et hiver. Ces mots, au-delà de la mention elle-même de la saison, peuvent désigner des animaux associés à la saison, des végétaux, fleurs ou arbres, des activités humaines ou des phénomènes naturels ; ils sont appelés kigo

Sobre, précis, subtil, dense, sans artifice littéraire, le haïku évite les marques habituelles de la poétique, telles la rime et la métaphore. Il peut sembler anodin au premier abord ; en fait, il est banal ou sublime, tout se jouant sur la corde raide tendue entre le poète et le lecteur.
Juxtaposition de l’immuable et de l’éphémère. Légèreté humoristique désamorçant tout pathos. Art du détail. Fragment de vie, de souvenir, de rêve. Par son caractère unique, cette forme poétique permet à la fois la prise de conscience et l’expression de l’ici-maintenant ; il ne donne aucun espace à l’abstraction, à l’élaboration des sentiments, à la rêverie. Le haïku est un poème concret, une poésie des sens et non des idées. C’est un produit hautement élaboré, la quintessence raffinée d’un héritage à la fois culturel, religieux et esthétique.
« …l’accomplissement suprême de l’art est l’art de dissimuler l’art… »
Toute l’attitude est celle-là : dissimuler la beauté dans le trivial, l’ordinaire, le non remarquable. Atteindre l’art, ici, c’est en nier la forme monumentale jusqu’à la limite de l’insignifiance. (Extraits de Vincent Paul Toccoli, L’empire des songes, Annexe 5, Le Haïku et la célébration de la mort, page 80.

Les haïkus ne sont connus en Occident que depuis à peine plus d’un siècle.
La traduction en français ne correspond, presque jamais, aux 17 syllabes originales.
Les noms des auteurs sont donnés dans l’ordre nom prénom.
Les maîtres les plus connus sont traditionnellement désignés par leur prénom (de naissance ou de plume).

MAÎTRES JAPONAIS DE HAÏKUS :

INDEX DES AUTEURS :

Natsuiishi BAN’YA (né en 1955)

Natsuiishi BAN'YA

Ban’ya Natsuishi (nom de plume de Masayuki Inui) est né à Aioi, Préfecture de Hyogo, au Japon en 1955. À l’âge de quatorze ans il a été sélectionné par le haïku Kaneko Tōta. En 1981 il a obtenu une maîtrise ès arts en littérature comparée de l’Université de Tokyo. En 1992, il est nommé professeur à l’Université Meiji où il continue d’enseigner. En 1993, il donne des conférences à l’Université de Jilin en Chine. Il a été invité à une réunion haïku en 1994 en Allemagne et en 1995 en Italie. De 1996 à 1998, il a été chercheur invité à l’Université Paris 7e. Depuis 2000, il est directeur de World Haiku Association (WHA), et président de Ginyu presse. Il est régulièrement invité à participer à des festivals internationaux de poésie et il a remporté de nombreux prix et publié de nombreux livres à la fois au Japon et à l’étranger.

Du rocher
Souriant jusqu’au ciel
Un continent commence.

De l’avenir
Un vent arrive
Qui souffle en dehors de la cascade.

Une mère suce
Le coq de son bébé
Au milieu d’une mer de feuilles de mûrier.

Un cheval noir 

Lentement se blanchit 

Dans le bois.

Une journée de congé de maladie :
Je reçois le haïku
D’un serpent Yougoslave.

Maladie d’un oeil :
Je marche
Comme un poisson rouge.

Sur la place où les livres ont été brûlés.
Maintenant que les fleurs d’Acacia
Chutent. [1]

Chaque fleur fanée -
Erika maintenant
Sur le nuage. [2]

Suivre la lune
De la frontière
À l’église de montagne.

Une fontaine et une librairie
Derrière l’église
À Ljubljana.

New York -
La terreur de la poussière
Joue avec le coucher du soleil. [3]

Décembre
Tout à coup un air méchant se tourna vers moi
Dans un train. [4]

De la boue blanche s’empile vers le haut
De mon oeil droit -
Pour un nouveau siècle. [5]

Mt.Fuji couvert de neige
Un professeur opérera
Un professeur.

Sur le chemin du domicile du professeur
Une chatte calicot, une souche,
Une amaryllis.

Dans l’hôpital
L’eau minérale Hawaîenne
Atmosphère de poussières planantes.

L’étreinte des planètes
Dépend souvent de
Rumeurs.

La fièvre de Gênes
La poésie, le football
Et les ambulances.

Dans la mer du Japon
La queue de la foudre
A plongé.

Au cours de l’opération
Plusieurs fois j’ai vu
Une éclipse solaire. [6]

Où il y avait un arbre
Près de la source pure -
Le bruit des scies.

Sous le soleil brûlant
J’ai oublié
Comment faire pour m’aimer.

Matsuo BASHŌ (1644 – 1695)

 Matsuo BASHŌ

Bashô est l’une des figures majeures de la poésie classique japonaise. La vie de ce fils de samouraï, né près de Kyoto, fut exclusivement vouée à la poésie. Après avoir lui-même fondé une école et connu le succès à Edo (l’actuelle Tokyo), il renonce à la vie mondaine, prend l’habit de moine, et s’installe dans son premier ermitage. A sa mort, sur sa tombe, on a planté un bashô (bananier).

Vieille mare
Une grenouille saute
Bruit de l’eau.

Rien ne dit 

Dans le chant de la cigale 

Qu’elle est près de sa fin.

A un piment

Ajoutez des ailes :

Une libellule rouge !

Le chêne

Sa mine indifférente

Devant les cerisiers fleuris.

Sous la pluie d’été
Raccourcissent
Les pattes du héron.

Nuit glaciale
La cruche qui éclate
Me réveille.

De temps en temps les nuages
Nous reposent
De tant regarder la lune.

Du cœur de la pivoine

L’abeille sort,

Avec quel regret !

De quel arbre en fleur
Je ne sais
Mais quel parfum !

Sur la branche écorchée
Du couchant
Un corbeau s’est perché.

Belle-du-Matin
Ignore superbement
Les beuveries.


Mes larmes grésillent
En éteignant
Les braises.

Et maintenant
Allons contempler la neige
Jusqu’à tomber d’épuisement !

Le corbeau d’habitude je le hais
Mais qu’il est beau
Ce matin sur la neige !

Brume et pluie
Fuji caché. Mais cependant je vais
Content.

Épanouie au bord de la route
Cette rose trémière
Broutée par mon cheval.

Début de l’automne
La mer et les champs
Du même vert.

Dans la rosée du matin
Maculé de boue
Un melon frais.

Un vieux village
Pas une maison
Sans son kaki.

Dans le champ de colza
Les oiseaux font mine
De contempler les fleurs.

Nuit d’été
Le bruit de mes socques
Fait vibrer le silence.

Avec chaque souffle
Le papillon se déplace
Sur le saule !

D’après moi
L’au-delà ressemble à ça –
Soir d’automne.

Le printemps est là !
Sur la montagne sans nom
Brume matinale.

Désolation hivernale –
Dans le monde monochrome
Le bruit du vent.

La mer s’assombrit -
Le cri des canards sauvages
Est vaguement blanc.

La nuée là-bas
De l’éclair elle attend
La visite.

Dans ce jardin
Un siècle
De feuilles mortes !

Mouvements
Du coeur
Dans le frisson du saule.

Au fond de la jarre

Sous la lune d’été

Une pieuvre rêve.

Neige qui tombais sur nous deux -
Es-tu la même
Cette année ?

Yosa BUSON (1716 - 1783)

Yosa BUSON

Né Buson Taniguchi près d’Ōsaka dans la province de Settsu, il quitta fort jeune son village natal pour étudier la peinture et l’art du haïku à Edo (l’actuelle Tokyo). Pendant 10 ans, il voyage à travers le Japon, passant son temps à peindre et à écrire. En 1751, il s’installe à Kyōto, puis dans un temple de la région de Tango où il se consacre à la peinture. Il associe dans ses œuvres le dessin, la calligraphie et la poésie. Il se marie en 1760 à l’âge d’environ quarante-cinq ans à Kyōto et il a une fille du nom de Kuno. A partir de 1775, la maladie le contraint à ralentir ses activités.

Lune froide
Le gravier crisse
Sous la chaussure.

Sur la cloche du temple
S’est posé un papillon
Qui dort tranquille.

Sa Grandeur l’Abbé

Faisant sa grosse commission

Sur la lande fanée.

La rivière d’été

Passée à gué, quel bonheur

Savates à la main.

Dans la profondeur des bois
Le pivert
Et le bruit de la hache.

Courte nuit d’été.

Une goutte de rosée

Sur le dos d’une chenille velue.

Il a perdu son chapeau
L’épouvantail
Il a perdu la face.

Rien d’autre aujourd’hui

Que d’aller dans le printemps

Rien de plus.

Quand les pruniers fleurissent

Les belles du bordel

Achètent des ceintures.

Quand le vent souffle du nord
Les feuilles mortes
Fraternisent au sud.

Oh ! Refuge où ondins
Ondines font l’amour
Lune d’été.

Orchidée du soir
Cachant dans son parfum
Le blanc de sa fleur.

Un escargot
Une corne courte, l’autre longue
Qu’est-ce qui le trouble ?

Le halo de la lune
N’est-ce pas le parfum des fleurs de prunier
Monté là-haut ?

Le foulard de la fillette

Trop bas sur les yeux

Un charme fou.

Le vent d’hiver
Les rochers déchirent
Le bruit de l’eau.

Brouillard matinal
Dans le village aux mille avant-toits
Les bruits du marché.

Matin de neige
De la fumée monte de la cuisine
Réjouissante.

Lotus blanc
Il songe à te couper
Le bonze.

La rizière moissonnée
Il est métamorphosé
L’épouvantail.

Le printemps qui s’éloigne
Hésite
Parmi les derniers cerisiers.

Si frais
Le souffle de la cloche
Quand il quitte la cloche.

Nuit de gel
Mes os
Raclent le matelas !

Heures d’études…
Une luciole qui sort
Des fesses ?

Tombent les fleurs de cerisier
Entre les branches
Un temple apparaît.

D’une pivoine
Deux ou trois pétales
L’un sur l’autre.

Étendu.
Dans la barque échouée
Quelle chaleur.

Nuit d’insomnie
Quittant ma pauvre hutte
Lune d’été.

Cueillant des champignons
Je lève la tête -
La lune est sur la cime.

Pour chanter
Le rossignol
N’ouvre qu’un petit bec.

Sur la pivoine blanche
Netteté
De la fourmi.

Pivoine qui fane
L’un sur l’autre se déposent
Deux, trois pétales.

Pivoines coupées
L’esprit s’étiole
Crépuscule.

À cent lieues à la ronde
Elle repousse la pluie
La pivoine.

Fanée
Son image encore persiste
La pivoine.

Le chemin s’arrête
Les senteurs se rapprochent
Roses sauvages écloses.

À chaque épine des ronces
Une goutte
De gelée blanche.

Au coeur de l’hiver
Moines économes et officiants
Se délassent au vieux jardin.

Aux poils de la chenille
On devine que souffle
La brise matinale.

CHIYO-NI (1703 - 1775)

CHIYO-NI

Chiyo Fukumasuya est née à Matto dans la région de Kaga. Elle connaît une enfance heureuse, dans une ambiance littéraire et artistique puisque sa famille tient une boutique de montage de rouleaux de calligraphie. On dit qu’elle composa son premier poème à l’âge de six ans. A 12 ans elle va chez le maître de haïku Hansui afin d’y apprendre l’art de la calligraphie et de la composition poétique. Dès l’âge de seize ans, elle commence à publier ses oeuvres dans les cercles et revues littéraires. A trente ans Chiyo perd pratiquement toute sa famille et se retrouve seule à la tête de l’échoppe de rouleaux de papiers. Elle commence à se rapprocher des milieux bouddhistes et devient à cinquante-deux ans Chiyo Ni, c’est à dire la bonzesse Chiyo.

Désir de femme profondément
Enraciné
Les violettes.

Le liseron du soir -
La peau d’une femme
Au moment où elle se découvre.

Jamais éteint
Mon cœur de femme -
J’aère mes vêtements.

Dormant seule

Réveillée par le gel nocturne

Pur ravissement.

Nuit de neige

Seul le son du seau

Descendant dans le puits.

Au parfum des fleurs
Je ne montre que mon dos -
Changement de robe.

Sur le ruisseau
Elle court après son reflet
La libellule.

Pluie de printemps
Toute chose
Embellit.

Dans les jeunes herbes
Les poulains couchés, debout
Splendeur.

Emmêlé
Démêlé par le vent
Ah ! le saule pleureur.

Sur le chemin de la fillette,

Devant, derrière,

Des papillons volent.

Le fil de la canne à pêche
Effleure
La lune d’été.

Le liseron du matin,
Malgré la toile d’araignée
A éclos.

Même le bruit de la cascade
S’est affaibli
Le chant des cigales.

Une montagne après l’autre
Se dévoile -
Premières bruines.

Accroupie
La grenouille observe
Les nuages.

Le parfum du prunier

Parfaitement envoûtant

Au clair de lune.

L’eau limpide
Ni dedans
Ni dehors.

(À un arbre :)
Le printemps reviendra -
Sans fleurs tu ne seras plus
Que bois de chauffage.

Du temps passé
Me revient le souvenir
Les biches au printemps.

Le son de la cloche du soir
Immobilisé dans le ciel
Les cerisiers en fleurs.

Les pissenlits
De temps à autre réveillent
Les papillons de leurs rêves.

Le vent qui passe les disperse
Les rassemble
Les pluviers.

L’eau est limpide et fraîche
Les lucioles s’éteignent
Rien d’autre.

Clair de lune.

Un criquet sur la pierre

Commence à chanter.

Je bois à la source,
Oubliant que je porte
Du rouge aux lèvres.

Iida DAKOTSU (1885 - 1962)

Iida DAKOTSU (1885 - 1962)

Dakotsu Iida est né en 1885 dans le village de Sakaigawa, Yamanashi. En 1905, à Tokyo, il est devenu membre du club de haïku de Waseda où il a connu Ippekirô Nakatsuka. En 1909, il a dû renoncer à ses études en littérature anglaise, à Tôkyô, pour retourner dans son village natal et prendre la direction de la ferme familiale. En 1914, il a recommencé à envoyer ses haïkus à la revue Hototogisu (Le coucou). Pendant la Seconde Guerre mondiale, deux de ses fils sont morts comme soldats ; il en a ressenti une grande douleur qu’il a exprimée dans ses haïkus ; il aimait et haïssait son pays à la fois. Il est mort en 1962.

Je sucerai ton beau grand oeil.
Automne, saison des rosées.

Une nuit, au clair de la lune
L’énorme silhouette du mont Fuji apparaît.
Quel froid !

Le chasseur
Tend l’oreille
Et écoute les murmures du dégel.

Devant la porte du temple dans la montagne
Les nuages passent en se réjouissant.
Équinoxe de printemps.

Atteinte d’une maladie mortelle
Elle a de beaux ongles
Au-dessus des charbons au coin de la chambre.

Cadavre.
Le vent de l’automne souffle
Dans ses narines.

Je cueille des fleurs d’orchis au printemps
Et les jette
Dans les nuages.

Les grosses vagues
Ont ébranlé l’estivante
Ballottée sur les crêtes.

L’écho
Dans le vent fort du nord-ouest
Quand on laisse tomber au fond de la vallée
Le corps d’un cheval.

L’écho traîne çà et là
Dans la montagne recouverte de neige.

Wada GORO (né en 1923)

Wada GORO (né en 1923)

Goro Wada est né à Mikage en 1923 et il habite à Ikoma. En 1952, avec Itsuro Uhara et ses collègues de l’université, il a commencé à faire circuler un cahier littéraire, à écrire des haïkus et à publier dans la revue Byakuen (Hirondelle blanche) dirigée par Kanseki Hashi, auquel il a succédé en 1992. Le grand tremblement de terre a détruit sa maison à Kobe en 1995 ; cette expérience est devenue un des motifs les plus importants de sa création.

Le soleil fait briller le grand lac
De tout son éclat
Jusqu’à ce qu’il le renverse.

J’ai marché dans Tokyo
Toute la journée.
Fleurs de grandes giroflées.

Quand il mourra
Un dessin apparaîtra devant lui.
La lune du printemps.

Revenez de votre rêve !
Un cerf-volant monte
« Grand vent dans le ciel » y est écrit.

Dans une pupille
Le corps d’une bête dormait
À cet instant-là.

Journée,
Une patte manque à la tipule [7].
Livre épais au-dessous.

Un homme déchire la montagne
Et en descend.
Février.

Funérailles du printemps
Des arbres s’arrêtent
Dans la colline.

J’ai rêvé de la tête du Bouddha
Et après
Froid du matin.

Je laisse mon nom
Écrit en tremblotant
Dans le cahier du temple d’hiver.

Kawahigashi HEKIGODO (1873 - 1937)

Kawahigashi HEKIGODO

Il est né à Matsuyama et il est mort à Tokyo. Disciple de Shiki Masaoka, il fera évoluer la conception du haïku : théorie du « haïku sans noyau ». Il réclame l’abolition des règles qui en font l’originalité : allusion saisonnière, rythme de dix-sept syllabes, même si, il s’en tient au « croquis pris sur le vif ». Il aime à désigner le haïku : « poèmes courts ».

Pinçant le vide
Un crabe va mourir
Nuages de s’élancer.

Seul le cheval
Est soudain revenu
Dans un vol de lucioles.

Froid printanier
Dans l’eau des rizières dérive
Un nuage sans racine.

Boeuf endormi
Ou rocher assoupi, qu’importe
Les herbes montent.

Aux cimes des nuages
Un oignon fleuri
Tient tête.

J’arrache une herbe
Sa profonde et blanche racine
À voir me fait mal.

À l’insu de tous
Un poussin est né
Rose d’hiver.

Dans la moustiquaire
Accrochés au rebord
La cigale et son cri.

Étonné
Je me retrouve après un somme
Tout seul.

La selle ôtée
Nue et froide m’apparaît
La croupe du cheval.

Prémices du printemps

Pour traverser les eaux

Un seul héron.

Devant la lune
Cette fumée qui monte
Ciel des villes.

Éclairs de l’orage
Entre les fusées d’artifice -
Maintenant !

Le vent violent du soleil
Vibre encore
Dans la voix du coucou.

Tanaka HIROAKI (né en 1959)

Tanaka HIROAKI (né en 1959)

Hiroaki Tanaka est né en 1959 à Osaka et il habite à Shimamoto, Osaka, avec sa femme et ses trois filles. Il travaille comme ingénieur en électronique. En 1977, il a commencé à écrire des haïkus et à en publier dans la revue du groupe Ao (Bleu) dirigé par Soha Hatano, ancien élève de Kyoshi Takahama. Il s’intéresse beaucoup aux poètes chinois, tel Li Po, et à la philosophie d’Henri Bergson.

Une tortue chante.
On dit
Que l’homme fait mieux de rester silencieux.

Sans me réjouir
Je vois la statue de Bouddha nouveau-né
Arrosée de tisane.

Tous ces jours
L’air de la Fête des mauves
À l’université aussi.

L’enfant d’un bonze
A un visage rubicond.
De l’eau de luffa [8].

Toutes ses oeuvres sont contenues
Dans cette collection.
Des colocases [9] bouillies avec leur écorce.

La peinture que j’aime
Reste invendue.
Feuilles rouges des herbes sauvages.

Comme divertissement
Il emmène un beau bonze
Dans un champ recouvert de neige à moitié fondue.

Un homme
A incliné la tête pour me saluer
Moi qui me promenais en cherchant des fleurs de prunier.

Les mains de l’homme
Qui a participé au rite purificatoire
Elles sont rouges.

Deux personnes s’assoient
Inconsciemment face à face.
Que la nuit d’automne est longue !

Tagawa HIRYOSHI (1914 - 1999)

Tagawa HIRYOSHI (né en 1914)

Hiryoshi Tagawa est né en 1914 à Tokyo où il habite toujours. En 1941, il a obtenu un doctorat en génie de l’Université de Tokyo ; il a travaillé pour la compagnie Furukawa jusqu’à sa retraite, en 1975. C’est durant ses études universitaires qu’il a commencé à écrire des tankas et des haïkus, et à peindre. Il a publié des haïkus dans le premier numéro de la revue Kanrai (Tonnerre d’hiver) du groupe dont il est toujours membre. Il a fondé le groupe Riku (Terre) en 1976 et a publié sept anthologies.

Les nèfles mûrissent
Baisse le centre de gravité
Des femmes enceintes.

Ils plantent des ongles de fer
Dans une chute d’eau glacée
Ces jeunes.

Des canards sauvages glissent
Le court sillage
D’un canard qui s’ébat.

Neige à la fenêtre
J’ai avec moi une radiographie
De mon squelette.

Nées sur cette île
Et sur cette île elles mourront
Fourmis et cigales.

Armé et prêt pour le combat
Un chasseur sort précipitament
Des toilettes.

Accouplement de chiens en rut
Le modèle réduit d’un œil
Est exposé à la rue.

Paulownia [10] en fleur
En un instant
Je suis devenu un vieil homme.

L’éclair lointain
Me fait signe
« Lisez la bible ».

Même la peau de l’empereur
Est parsemée de taches de vieillesse
Cerisier en fleur.

Sugita HISAJO (1890 - 1946)

Sugita HISAJO

Née à Okinawa en tant que troisième fille, dans une famille de haut fonctionnaire. En 1909, elle épouse le peintre Sugita Udai et vit avec lui à Ogura, Kyushu. En 1911, sa première fille est née ; elle deviendra plus tard la poétesse haïku Ishi Masako. En 1916, son frère, le poète Akahori Gessen emménage avec sa famille et commence à lui enseigner le haïku. En 1922, elle et son mari sont devenus chrétiens et furent baptisés. Les haïku sur la lecture de la Bible montre son intérêt pour cette religion. Elle s’est appliquée, durant sa vie, à l’art de la calligraphie et du haïku. Innovatrice dans le monde du haïku, elle y révèle sa coquetterie, sa sensualité dans le port du kimono. Malheureusement atteinte de démence vers la fin de sa vie, elle meurt oubliée de tous dans un hôpital psychiatrique en 1946.

J’enlève le Hana-Goromo [11].
S’accrochent en me déshabillant
Les différents cordons.

Je coupe de la soie.
Des tiges de mil ondulent et s’entrelacent
À la fenêtre.

Temple en automne -
Tirant ses cheveux violemment
Une femme pleure.

Matin de froid -
Tandis que j’allume le feu
Réveillé l’enfant m’a rejoint.

Dans l’horrible foule
S’est brisé mon cœur
À la vue des innocents lys.

A travers le kimono léger
Nue
La lune effleure la peau.

Lumière de printemps -
Mon coeur danse en mettant
Le col de mon kimono.

L’air frais de l’automne
Arriver aux Fleurs d’hortensia
Pays de Shinano [12].

Les Belles de nuit ?
Une demi-ouverte
Avec des plis profonds.

Fleurs de volubilis 

Le ciel au-dessus de cette rue

Commence à s’ennuager.

Les pétales de chrysanthème
Se cambrent dans leur blancheur
Sous la lune.

Jour des Chrysanthèmes -
En peignant mes cheveux mouillés
Une pluie de gouttes.

Dans le courant de la marée du printemps 

Une touffe d’algues passe 

Comme une flèche.

Fenêtre éclairée
Sur le sentier neigeux
La nuit de Noël.

La bible lisant
Seule -
Pluie de pétales.

Quand on se penche au-dessus d’une barque
Et cueille des châtaignes d’eau,
Le marais sent comme s’il bouillait.

Un éventail plié de l’automne est inséré 

Dans le dur obi [13]
Comme une planche.

Un bouquet de fleurs 

Soufflé et dégringolant 

Sur la véranda.

En cousant près de la lampe,
J’apprends l’alphabet à mon enfant.
Pluie d’automne.

Tachibana HOKUSHI (1665 - 1718)

Tombe de Tachibana HOKUSHI

Né Tachibana Genjiro, à Kanazawa, dans une famille de polisseurs d’épées. Il fut l’un des 10 grands et des plus importants disciples de Basho. Sa tombe se trouve dans un célèbre parc à Kanazawa, Préfecture d’Ishikawa dans le nord du Japon.

Tout a brûlé
Heureusement, les fleurs
Avaient achevé de fleurir.

Suspendre la lune au pin —

La décrocher

Pour mieux la contempler !

Des mâts alignés
En face d’une île
Dans le brouillard.

Des parapluies…

Combien sont passés

Par cette soirée de neige ?

Les fleurs de pivoine 

Étant tombées

Nous nous séparons sans regrets.

Les cendres de mon refuge brûlé

Mais le merveilleux cerisier
En fleurs sur ma colline.

Pour ce bref instant 

Quand le feu volé sortit …
Des ténèbres.

Parfois, j’écris 

Parfois j’efface tout 

Ainsi, des fleurs de pavot. [14]

D’un champ 

À l’autre il coule - 

Bruit de l’eau.

Oh cette solitude ! 

Pour un moment, il sortit, 

La luciole est la lumière.

Ozaki HOSAI (1885 - 1926)

Ozaki HOSAI

Après le lycée, il a participé à la prestigieuse Université Impériale de Tokyo. A cette époque il demande en mariage une amie proche nommé Yoshie Sawa. Mais le frère de Yoshie n’approuve pas le mariage. Émotionnellement blessé il sombre dans l’alcoolisme. Après avoir tenté d’occuper des emplois différents (agent d’assurances au Japon, en Mandchourie et en Corée), il quitte Tokyo et décide de devenir un moine bouddhiste mendiant laïc. Après avoir été sacristain dans un temple à Kyoto et expulsé pour ivresse, il obtient finalement un poste comme gardien d’un temple bouddhiste sur la petite île de Shodo, où ses tâches consistaient à balayer, ramasser les feuilles, et allumer des bougies de dévotion. Il y mourut de pleurésie.

Sur la pointe d’une herbe
Une fourmi
Sous le ciel immense.

J’ai balayé les feuilles mortes
Ceux qui passent
Ne se rendent compte de rien.

Sur la lettre
Qu’allongé j’écris
Le coq se penche.

Profonde solitude
Je bouge mon ombre
Histoire de voir.

Au milieu du brouillard épais
Le bruit de l’eau
Vers lequel je me dirige.

J’ai manqué mon coup
La tête du clou
Est toute tordue.

La porte se referme
Dans un grand bruit
Le temple s’endort.

Impossible d’enfiler
Le fil dans l’aiguille
Je contemple le ciel bleu.

Il n’y a rien
Dans le tiroir du bureau
Que j’ai ouvert histoire de voir.

Solitude
J’écarte mes cinq doigts
Histoire de voir.


Sur la grève
J’ai beau me retourner
Plus de trace de pas.

« Va saler les légumes ! »
Mère ne suis-je né
Que pour cela ?

Pour cuire des haricots
Tout ce jour
Était à moi.

La tête ballante
Je vais découragé
Pardon pour tout.

Dans les eaux de l’hiver
Je jette les ordures
Et je reviens.

Sans un mot
Tout le jour
L’ombre d’un papillon.

Dans le soir
Sur une seule patte
Moineau boitillant.

Dénigrer autrui ?

Je me lave l’esprit

En écossant mes pois.

Des hautes vagues déferlent sur le sable
Seul, un homme
Ayant renoncé à tout.

Nakatsuka IPPEKIRO (1887 - 1946)

Nakatsuka IPPEKIRO

Il se fait baptiser à sa sortie du lycée, et cela influencera considérablement sa vie. Il a introduit le style parlé dans le haïku. Ses haïkus se sont libérés de la rigidité des 17 syllabes et il a fondé « le haïku de forme libre ».

J’ai un peu honte
Devant ce grand feu d’herbes sèches
En plein air.

Glycines éclatantes
À la fenêtre
Juste quand ma femme n’est pas là.

Plus profondes la nuit
Plus visibles
Les veines du charbon de bois.

Malade au fond du lit
Autour de moi le bleu profond
De la mer en hiver.

Les herbes fermentent
Passe une femme
Aux seins superbes.

Soir de printemps
Chose pénible entre toutes
Une planche anatomique.

Est-ce la plainte nocturne des pluviers ?
Elles sont glacées
Les mains de mon aimée.

L’image de moi

Sortie du miroir

Est venu à l’exposition de chrysanthèmes.

La nourrice

S’est arrêtée au seau de tripangs [15]

Et elle est repartie.


C’est un vrai taudis

Recevoir un visiteur

Sous le soleil brûlant.

Un bébé est venu au monde

Portant des cheveux.

Aube.

Dans les cris des jeunes corbeaux
Nuages
De dériver.

Nuages de courir
Mandarines d’été
Grossissent.

Je continue à faucher
Sur mes épaules
Le ciel d’azur.

Kobayashi ISSA (1763 - 1827)

Kobayashi ISSA

De son vrai nom, Nobuyuki Kobayashi, Issa est né dans le village de Kashiwabara dans la province de Shinano. Fils d’un paysan aisé, la vie d’Issa fut marquée par une succession de malheurs et par la pauvreté. Il part pour Edo (actuelle Tōkyō) à l’âge de quatorze ans pour servir comme domestique. Au cours de sa vie, il s’est marié trois fois. Les haïku d’Issa se distinguent par leur comique (comique de situation, moquerie envers les guerriers et les moines dépravés) et par sa compassion.

Sur les écrans de papier
Elles font des arabesques
Les chiures de mouches.

Un superbe cerf-volant

S’est envolé

De la hutte du mendiant.

Le vent du printemps

Découvre les fesses

Du couvreur.

Les humains passe encore

Mais pas même les épouvantails

Ne sont droits.

Ce trou parfait
Que je fais en pissant
Dans la neige à ma porte.

Si tu es tendre pour eux
Les jeunes moineaux
Te feront dessus.

Grimpe en douceur

Petit escargot

Tu es sur le Fuji !


Le crapaud ! on dirait
Qu’il va vomir
Un nuage.

La mère du moineau

Lui réclamant son enfant

Poursuit le chat.

L’arracheur de navets
Montre le chemin
Avec un navet.

Oie, oie sauvage
Tu l’as fait à quel âge
Ton premier voyage ?


L’eau de la montagne
Broie le riz
Je fais la sieste.

Seul
Prenant mon repas
Le vent d’automne.

J’ai emprunté ma chaumière
Aux puces et aux moustiques
Et j’ai dormi.

Les montagnes lointaines
Dans les prunelles
De la libellule.

Le cadet
Porte le balai
On va voir les tombes.

Le gros matou
Dort comme une masse
Sur l’éventail.

Sortant de l’obscurité
Pour pénétrer dans l’obscurité
Les chats en chaleur.

Au cours de ses amours
Le chat d’un autre lieu
Il est devenu.

Sous le prunier rouge
Mis à sécher
Le chaton toiletté.

Un chat errant
Sur les genoux d’un Bouddha
Dort.

Au nourrisson
Il sert de pare-vent
L’épouvantail.

Jour de printemps
Une seule flaque
Retient le couchant.

Puisqu’il le faut
Entraînons-nous à mourir
A l’ombre des fleurs.

De la narine du grand Bouddha
Jaillit
Une hirondelle.

Au plus charnu de mes fesses
Les traces
De la natte si fraîche.

Un coquelicot à la main
Je traverse
La foule.

Ce matin c’est l’automne
A dire ces mots
Je me sens vieillir.

Sous le divin nez
Du divin Bouddha
Pend une morve de glace.

Sur ma manche

Elle reprend son souffle
La luciole en fuite.

Sous la lune du soir
L’escargot
Torse nu.

L’âge de la lune ?
Je dirais treize ans -

À peu près !

Aux fleurs de pruniers

Je parsème de sardines

La tombe de mon chat.

Caché sous les feuilles
Endormi contre un melon
Un petit chaton.

Perle de rosée
Qu’a voulu prendre en ses doigts
Un petit garçon.

Des érables d’automne
Je m’approche -
La solitude me prend.

Sous les fleurs de cerisier
Grouille et fourmille
L’humanité.

Pluie de printemps

Au portail

Le canard clopine.

Couvert de papillons

L’arbre mort

Est en fleurs !

Matin de printemps

Mon ombre aussi

Déborde de vie !

Le printemps s’annonce
J’ai quarante-trois ans -
Toujours là devant mon riz blanc.

Quand je serai mort
Sois la gardienne de mon tombeau
Sauterelle.

Sous l’averse
Il a la goutte au nez
L’épouvantail.

La flopée de mouches
Échappe à ses claques
Ah ! cette main ridée.

Tomizawa KAKIO (1902 - 1962)

Tomizawa KAKIO

Kakio est le fils aîné d’un médecin de Ehime. Il a étudié l’économie à l’Université Waseda et écrit des haïkus. En 1926, il a trouvé un emploi dans une entreprise de distribution. En 1934 il a démarré une entreprise, mais a échoué. En 1937, mobilisé dans l’armée du corps des ingénieurs, il a combattu en Chine jusqu’à ce qu’il soit renvoyé chez lui à cause du paludisme en 1940. En août 1941 il a publié son premier livre de haïku et en 1961 son troisième. Il est décédé du cancer du poumon l’année suivante. Kakio a subi l’influence des poètes symbolistes, et il a essayé d’exprimer le spleen des modernes en introduisant, de manière occidentale, l’abstraction, la métaphore, et l’analogie.

Une grue 

S’estompe dans le crépuscule

Et traîne ses ailes comme de la fumée.




Martin-pêcheur.

Là se dressent

D’humbles tombeaux blancs.




Des bruits secs de bottes

Continuent régulièrement

Près de cette lampe.



Il tombe une pluie de noix

Dans le remous de retentissement de canons.




Cage d’un léopard.

Pas une goutte d’eau

Ne reste dans le ciel.




Jour de pollen.

Les oiseaux n’ont pas de seins.




Ouvrant une fenêtre

Je chasse un taon.

Ondulation des champs.




Un papillon fait une chute.

Le temps de gel

Avec un grand retentissement.




Chaleur en automne.

Les taches du léopard

Paraissent visqueuses sous le soleil.



Rêve d’un papillon hivernal.

Une goutte de neige fondue

Dans le Karakoram [16].

Sumitaku KENSHIN (1961 - 1987)

Sumitaku KENSHIN

Kenshin est né Harumi Sumitaku à Okayama à l’ouest d’Ōsaka. Pendant longtemps il souhaite devenir dessinateur. À l’âge de 15 ans, il décide alors de ne pas aller au lycée mais d’entrer dans la vie active : il souhaite devenir cuisinier. Âgé de 15 ans, Kenshin trouve une place de serveur. En parallèle, il suit des cours du soir à l’école hôtelière. Âgé de 17 ans il travaille dans quelques restaurants et il commence aussi à se passionner pour le bouddhisme. Âgé de 18 ans il est ordonné prêtre bouddiste et il monte un hermitage. Âgé de presque 23 ans, Kenshin est diagnostiqué avec une leucémie aiguë et doit être hospitalisé à l’hôpital de la ville. Il se met au haïku et il en adopte la forme libre. Il meurt à l’hôpital d’Okayama à 25 ans et dix mois. Il laisse 281 haïkus.

Suspendus dans la nuit
Une perfusion et
La lune blanche.

Matin tranquille
On n’a fait que
Prendre mon pouls.

L’oeuf dur
Décortiqué par mes
Doigts de malade.

Une chenille
Je voudrais survivre même
En rampant par terre.

Une tasse de thé
Préparée pour moi
J’ai le cœur ému.

Une poussée
De fièvre déforme
La lune.

Si seulement venait le printemps.
Dans mon cœur déjà
Fleurit le cerisier.

Moment sans douleur
Une lune pâle
En plein jour.

De plus en plus froid

Le téléphone noir

Dans la nuit.

La pluie commence à tomber -

C’est le battement

Du coeur de la nuit.

Matin froid
Rien que des dos
De gens qui s’en vont.

À l’annonce
Du typhon
La radio se brouille.

La peau sur les os
Mais ce corps mon seul bien
Je l’essuie avec soin.

Bonne Année !
Seule la télévision
Me la souhaite.

Quand je me lève
Il titube -
Le ciel étoilé. 


Takarai KIKAKU (1661 - 1707)

Takarai KIKAKU

Il est né à Edo (l’actuelle Tokyo). Plutôt que de suivre le cheminement de carrière de son père, qui était médecin, Kikaku décide de devenir un poète de haïku professionnel. Il a écrit de nombreux poèmes haïku sur la relation entre lui et son maître Basho. Après la mort de celui-ci, Kikaku était considéré comme le maître de la poésie haïku, jusqu’à la venue de Yosa Buson.

Sur mon chapeau

La neige me paraît légère

Car elle est mienne.

Fête des fleurs
Accompagné de sa mère
Un enfant aveugle.

Qu’on me jette une pierre
J’ai cueilli
Une branche du cerisier.

Dévoré par un chat
L’épouse du criquet
Crie son deuil.

Averse d’été

Une femme solitaire

Rêve à la fenêtre.

Le saule
Contemple à l’envers
L’image du héron.

Sous la lune voilée
Les fleurs de Kaido [17]
Sommeillent.

Quand l’esprit délaisse
Sa vaine enveloppe
Quel horrible mal !

Ça et là 

Coassement des grenouilles dans la nuit 

Étoiles qui brillent.

À la plate lumière du soleil couchant 

Un papillon errant 

Dans la rue de la ville.

Le messager 

Offre une branche de fleurs de prunier, 

Et puis la lettre.

Dans le lit de l’empereur, 

L’odeur de moustiques brûlés, 

Et chuchotements érotiques.

Au-dessus de la mer 

Un arc en ciel, effacé par 

Un vol d’hirondelles.

Qu’est-ce une belle lune ! 

Elle jette l’ombre des branches de pin 

Sur le tapis.

Maintenant les libellules 

Cessent leurs girations folles … 

Un mince croissant de lune.

Jeu de la foudre - 

C’était hier à l’Est 

C’est à l’ouest aujourd’hui.

Ce coup de sabre

L’ai-je vraiment rêvé

Morsure de puce.

Dans la feuille de patate douce
Elle enveloppe sa vie
La goutte d’eau. 

Nagata KŌI (1900 - 1997)

Nagata KŌI

Il est né à Kakogawa, dans la région de Kobe. Il a commencé l’écriture du haïku à l’âge de 17 ans. À 18 ans, il était employé par la Mitsubishi Paper Company où il a passé une grande partie de sa vie adulte en tant que maître fabricant de papier (il était le directeur de l’usine de papier pendant la guerre). Sa période la plus créative est celle pendant laquelle il avait plus de soixante ans. Son style très personnel et parfois obscur, pas comme les autres, est liée à l’imagerie de la décrépitude, la solitude, la fragilité des choses naturelles. Kōi a insisté aussi sur l’aspect comique des choses afin de réfléchir sur l’essence du monde. À l’âge de 95 ans, il a perdu sa maison dans le séisme qui a dévasté Kobe en 1995. Il est décédé à Neyagawa, Osaka, à 97 ans.

Fleurs de cerisier.

Labourant à la rizière

On voit toutes leurs étamines.



Des limaçons s’accouplent

Ils se font enfoncer les chairs.



La barrière se dresse

Dans le champ, demeure des serpents.

Une femme coud une robe.



Le grand poisson-chat rit

En pensant à d’autres poissons-chats

Dans d’autres étangs.



Des cheveux tombent

Aussi en arrière.

Ah, grand paysage !



Une luciole

Eclaire

Une autre luciole morte.



Fleurs rouges de prunier.

Une boule d’air

Sort d’une boîte.



Le feu brûle les herbes

Et vient nous lécher.

Un enfant le reléche.



À la fleur d’oeillet

Le temps du tigre

Vient volant.



Cigale tombée.

Quelqu’un est déjà tombé d’avance.

Nakamura KUSATAO (1901 - 1983)

Nakamura KUSATAO

De son vrai nom Seiichiro, il naît en Chine (son père est consul du Japon à Shinkoku). Étudiant à l’Université de Tokyo, il fréquente les cercles de haïku. Réservé vis-à-vis du mouvement de rénovation alors en vogue, il exprime son insatisfaction devant les tendances au dilettantisme et au retour aux traditions. Il suit un temps l’école de Shuoshi Mizuhara, mais il s’en éloigne pour se retrouver avec de jeunes auteurs comme Shuson Kato et Hakyo Ishida dans un courant dit de l’« école humaniste ». Il est le premier à faire valoir l’idée d’un haïku intégrant les réalités sociales, la réflexion philosophique et l’esprit de la plus authentique émotion poétique, loin du lyrisme conventionnel et de l’académisme rigide. Il meurt à Tokyo en 1983.

Tombe la neige
L’époque de Meiji
Est déjà loin.

Mon épouse
Et mon enfant porté
Comme un croissant de lune.

Chemin des neiges profondes
Ce qui est derrière semblable
À ce qui est devant.

Le ciel est bleu
Comme au matin du monde
De mon épouse j’ai reçu cette pomme.

Aube glacée
Chant de grillon
C’est mon enfant qui dort.

Agitée sous la charrue
En paix aux jours de repos
La terre.

Mouche d’arrière-saison
Sur l’eau douce posée
Morte.

Décombres d’incendie
Sur le sol en ciment
Fillettes et jeu de balle.

Manger du raisin
Une grappe après l’autre
Comme une grappe de mots.

Un papillon
Vole au milieu
De la guerre froide.

Hochant la tête
Il se lèche
Le chat sous la lune.

Au bord du chemin

Nouvel an classique

Des gens qui se saluent.

De sa poussette il montre

Dans le ciel de l’été

Les parents et les enfants étoiles.

Vers les eaux d’automne

Du coeur du feu si rouge

La fumée s’envole.

Départ pour le front

Dans la neige profonde

Il n’y a qu’un chien assis.

Qu’est-ce qu’un cygne

Une grosse fleur blanche

Posée sur les eaux.

Ma femme -
Elle porte notre enfant
Pareil à la lune croissante.

Jour anniversaire
Du grand tremblement de terre -
Tous mes livres retiennent leur souffle.

Sur les signes et le sens des mots
Promenade indifférente
D’une mouche d’hiver. 


Mukai KYORAI (1651 - 1704)

Mukai KYORAI (1651 - 1704)

Né Mukai Kanetoki, il a d’abord été formé comme un samouraï. Mais il a abandonné les services martiaux à l’âge de 23 ans. Il se tourna alors vers l’écriture de la poésie. En 1684, il fait la connaissance de Takarai Kikaku, un disciple de Bashô, et peu après il est également devenu le disciple de Bashô. Il a construit une petite retraite à la périphérie de Kyoto, que Bashō visitait souvent, et où Kyorai est mort.

L’homme
En train de sarcler le champ
Semble immobile.

Concombre de mer

Tu n’as ni queue

Ni tête.

Sans rien dire
Le silence
Le calme.

Dans le ciel 

Le coucou et l’alouette 

Chantent en croix.

Que sont ces façons
D’aller voir les fleurs muni
De cette rapière.

De retour d’un enterrement 

J’ai vu cette lune

Très au-dessus de la lande.

Ce n’est pas facile d’être sûr
Quelle est l’extrémité
D’un escargot au repos.

Le chant et le bourdonnement des gongs
Plongent la verte vallée 

Dans des vagues d’air frais.

Réveil de la foi
Au moment où les fleurs
Sont juste en bourgeons.

Laisser dedans
En attente
La clé de la porte latérale.

Oui ! Oui ! M’écriai-je, 

Mais quelqu’un a encore frappé 

À la porte couverte de neige.

Takahama KYOSHI (1874-1959)

Takahama KYOSHI

Son vrai nom était Kiyoshi. Il est originaire de la ville de Matsuyama, Ehime. Comme beaucoup d’autres de son temps, il est né dans une famille de samouraï. Il a quitté l’école très tôt et a déménagé à Tokyo pour étudier la littérature japonaise de l’époque Edo à l’université. Il quitte bientôt l’université et prend un emploi de rédacteur et critique littéraire pour un magazine japonais. Pendant ce temps, Kyoshi a écrit sa propre poésie haïku et joué un peu avec le modèle des syllabes. Il s’est marié en 1897 et a déménagé à Kamakura en 1910 pour la santé de ses enfants. Il y a vécu pendant près de 50 ans jusqu’à sa mort. Sa tombe se trouve au temple de Jufuku-ji à Kamakura. Il a écrit près de 50.000 haïku dans sa vie.

Au fil de l’eau
Une feuille de navet
À toute vitesse.

Feuille de paulownia [18]
Offerte aux feux du soleil
Dans sa chute.

Comme un drapeau
Il flotte semble-t-il
Le soleil d’hiver.

Dans la froidure un papillon
À tire d’aile
Poursuit son âme.

Lointaine cime
Que frappe le soleil
Terres dénudées.

De chaque objet que l’on pose
Il naît quelque chose
Qui ressemble à l’automne.

Un mot de lui
Un mot de moi
L’automne mûrit, je crois.

Une année l’autre
Comme enfilées
Sur la même perche.

Au firmament
Montent à nouveau
Des gerbes d’oiseaux.

Pour jouer à la balle
Si triste la comptine
Si jolie la voix.

Le serpent s’esquiva
Mais le regard qu’il me lança
Resta dans l’herbe.

On appelle cette fleur pivoine blanche.

Oui, mais

Un peu de rouge.

Les filles prennent des plants de riz.

Des reflet d’eau oscillent

Sur les envers des chapeaux en carex [19].

Un chien s’endort

Il tient sa tête entre ses pattes.

Maison de chrysanthèmes.

Les racines d’un grand arbre d’été

Sur une roche

S’étendent dans toutes les directions.

J’ai reçu un pétale tombé du cerisier.

Ouvrant le poing

Je n’y trouve rien.

Vient le premier papillon de l’année.

« Quelle couleur ? »

« Jaune. »

Déjà je l’imagine

Tombant sur mon cadavre -

La neige. 


Aratika MORITAKE (1452 - 1549)

Aratika MORITAKE

Il est le neuvième fils de Morihide Negi et shintoïste. À l’âge de 69 ans, il devint membre du clergé du sanctuaire intérieur d’Ise, tout en poursuivant un profond intérêt pour la poésie. Moritake mourut le huitième jour du huitième mois de 1549 à l’âge de soixante-dix-sept ans.

Une fleur tombée

Remonte à sa branche

Non, c’est un papillon !


Sur le front des falaises
Les saules reverdis
Dessinent des sourcils.

C’est le matin du Nouvel An
Je pense aussi
À l’âge des Dieux.

Venir à la fin de notre voyage à la pointe du
Mont Kajimi
Le vent dans les pins, le vent dans les pins.

Takahashi MUTSUO (né en 1937)

Takahashi MUTSUO (né en 1937)

Mutsuo Takahashi est né en 1937 à Kita-kyushu, Fukuoka, et il habite à Zushi, Kanagawa. Après ses études universitaires, il s’est installé à Tokyo et s’est lié d’amitié avec des artistes de diverses disciplines. Romancier, dramaturge, librettiste, essayiste et poète, il écrit parallèlement des poèmes modernes et des poèmes de formes traditionnelles. Ses poèmes ont été traduits et publiés en diverses langues. Il participe à des lectures publiques, tant au Japon qu’à l’étranger.

Il bat un morceau de charbon de bois
Contre un autre
Comme pour mesurer la profondeur des ténèbres.

Elle emporte de l’eau sur sa tête
En fait dégoutter
Sur ses épaules et sur ses seins.

J’allume la lampe sur la table de l’auberge.
Arbres et herbes sont déjà dans la saison des pluies.

Dans mon pays
Tout plongés dans l’eau de la cuve
Des vêtements d’été.

Douce chaleur du printemps !
Le bruit des ongles que je coupe
Et qui tombent.

Les herbes sauvages croissent
Jusqu’à devenir des arbres.
Jour de canicule !

Plage d’Ichiburi.
Les crêtes des vagues se cramponnent à la neige.

La verdure teint même mes viscères.
Deux jours en voyage.

En août
Une ligne de barques
Amarrées aux herbes.

En voyage
Je me réveille du premier rêve de l’an
Où les vagues balaient mon oreiller.

Fuyuno NIJI (1943 - 2OO2)

Fuyuno NIJI (1943 - 2OO2)

Née à Osaka, Niji Fuyuno, pseudonyme de Junko Yotsuya, a habité plusieurs années à Tokyo. Sa carrière a commencé par la peinture où elle exprimait sa poésie par des lignes et des couleurs. Puis, étudiante, elle a été touchée par les poèmes de l’anthologie Shinkokin-Shû (Nouveau recueil de jadis et naguère, 1206). Une autre grande source d’inspiration a été La Poétique de l’espace, de Gaston Bachelard, qu’elle a lue en japonais. Les mots lui sont venus comme la lumière : la couleur, la ligne et le mot coulaient ensemble. Elle aime explorer les possibilités du poème à forme fixe comme le haïku et le tanka. Elle est décédée à Tokyo le 11 février 2002.

Je suis appelée par les herbes
Du fond de l’eau
Fête printanière.

Ah, fleur blanche de prunier !
On s’évanouit
Dans la bibliothèque.

Roselière
Si je ne fermais pas les yeux
J’aurais des fêlures au coeur.

Mer agitée
L’espace dans le cercle de la corde à sauter
Est entièrement vide.

Neige légère
Si je souriais
Je me changerais aussitôt en lapin de garenne.

Neige légère –

Un seul sourire 

Et je me change en lièvre !

Deux corps
Se reflétant dans l’eau
Courent après le mouton.

Quelque chose est perdue

Quelque chose comme le creux à la surface

D’un cocon d’automne.

Dans la chambre noire
J’oublie une carte postale illustrée 

De fleurs de cerisier.

L’obscurité
Des jambes de la jeune fille
Qui puise de l’eau.

Plaine de roseaux -
Si j’ouvre les yeux
Mon cœur se fêle !

Le froid du matin
Va jusqu’au flotteur
Qui dérive.

Digitales -

J’appose les mots d’hier
Dans les sables.

L’émeu se blottit

Et respire
Comme un champignon.

Sur la pelouse d’hiver
Un objet

Que la lumière a oublié.

Je dessine

À la surface du cristal à contre-jour
La forme du poumon.

Éblouie par les fleurs de cerisier
Je serrai dans mes bras

Ma dépouille mortelle.

Le vendeur d’éponge
Passe

Au-delà des cierges magiques.

Commencement de l’hiver –

Le soleil léger du matin
Naît de l’arrosoir.

L’anémone
Qui absorbe l’oiseau de feu

Dans ses taches noires.

Disant : « nous avons eu peur »,

12 personnes boivent

Du coke.

De Caïn à Abel

Un coussin d’étoffe d’hiver
Pour le fond de la culotte d’Abel.

Le chat glisse
Sur le lac grand coloré

De fleurs de cerisier.

Un paon blanc –
Au matin
La fièvre me réveille.

Les yeux d’un lapin et d’un écureuil 

Brillent –

Prières pour le nouvel an.

La mince couche de glace

Était une barrière
Pour endiguer mes larmes.

Statuette de terre 

Odorant du soleil,
Je la tourne vers moi.

Uejima ONITSURA (1660 - 1738)

Uejima ONITSURA

Il est le troisième fils d’un fabricant de vin de riz dans la ville d’Itami, dans la préfecture de Hyogo. Déjà à l’âge de 8 ans, il était devenu célèbre pour sa capacité à composer des haïku. À 25 ans, il quitte sa ville natale d’Osaka. À 73 ans il décide de devenir bonze, délaissant la poésie.

Cet automne

Je n’ai pas d’enfant sur les genoux

Pour contempler la lune.

Montagnes au loin

Où la chaleur du jour

S’en est allée.

La brise fraîche

Emplit le ciel

De la rumeur du pin.

Quand les cerisiers sont en fleur

Les oiseaux ont deux pattes

Les chevaux quatre.

Au printemps
Les grenouilles chantent
En été elles aboient.

Mon âme plonge dans l’eau
Et ressort
Avec le cormoran.


Dominant seul 

Contre le ciel d’automne -

Le Mont Fuji.

Fuyant les gens, 

S’habituant aux gens - 

Bébés moineaux .

Le jardin au calme

Lorsque le camélia

Offre sa blancheur.

Un saut de truite
Les nuages sont agités
Dans le torrent.

Jour de printemps
Moineaux dans le jardin
Se baignant dans le sable.

Le rossignol
Posé dans le prunier
Tellement ancien.

Rêves sans but,
Dans la lande brûlée,
La voix du vent.

Pour connaître enfin la prune,
Utiliser aussi tout le cœur,
Et votre nez.

L’eau du bain 

Où dois-je vous jeter ? 

Les grillons chantent dans l’herbe.

Taigu RYOKAN (1758 - 1831)

RYOKAN

De son vrai nom Yamamoto Eizô, Ryokan est né à Izumaki, d’une famille de 7 enfants. Vers l’âge de 20 ans, disciple du moine zen Kokusen, pendant douze ans il devient moine et ermite, empreint d’esprit zen et des talents de poète et de calligraphe. À la mort de son maître, il entame une longue période d’errance solitaire à travers le Japon. Il finit par s’installer, à l’âge de 40 ans, sur les pentes du mont Kugami, non loin de son village natal, et prend pour domicile une petite cabane au toit de chaume, Gogōan. À l’âge de 70 ans, il s’éprend d’une nonne appelée Teishin, elle-même âgée de 28 ans. Ils échangent de tendres poèmes. Il meurt entre ses bras le 6 janvier 1831, âgé de 72/73 ans.

Le voleur parti

N’a oublié qu’une chose,

La lune à la fenêtre.

Le vent de l’été

Apporte dans ma soupe

Des pivoines blanches !

Sans souci

Sur mon oreiller d’herbes

Je me suis absenté.

Les plantes du jardin
Tombent
Et gisent comme elles tombent.

Pluie de printemps
A la surface de l’eau
Des sillons de soie.

Cueillant des kakis

Mes couilles tressaillent

Dans le vent d’automne.

Le rossignol
Du rêve m’a réveillé
Mon riz du matin.

Ah si tout le jour,
Je me sentais aussi bien
Qu’au sortir du bain.

Les enfants bavards

Ne l’attraperont jamais

La première luciole !



Ramassant du bois

Puis traversant le pont

Dans la brume du soir.



L’automne se termine

Qui pourrait comprendre

Ma mélancolie.

A l’ombre des arbres

Du mont Kugami, dans cette cabane

J’aimerais vieillir.

Au plus tard du soir
Sous les cerisiers en fleurs
Douce solitude.Au plus tard du soir

Dans la forêt verdoyante, mon ermitage.
Seuls le trouvent
Qui ont perdu leur chemin.

Une nuit d’été
Pour compter toutes mes puces -
Veillant jusqu’à l’aube.

À cet endroit même

Au pied du cerisier en fleur

Dormir toute une nuit.

Dans ce monde d’illusion

Nous sommeillons et parlons de rêve.

Rêve, continue à rêver, autant qu’il te plaira.

Montrant leur envers
Puis leur endroit
Les feuilles dispersées par le vent d’automne.

Le ciel d’automne

Des milliers de moineaux –

Le bruit de leurs ailes.

Un iris

Près de ma cabane

M’a enivré.

Sur ma porte de branchages

Une perle de rosée

Au petit matin.

Yotsuya RYU (né en 1958)

Yotsuya RYU (né en 1958)

Ryu Yotsuya est né à Sapporo en 1958 et a grandi à Tokyo où il habite toujours. Il a commencé à écrire des haïkus en 1972. En 1987, avec Niji Fuyuno, il a fondé la revue Mushimegane (Loupe). Il a publié diverses critiques sur le haïku, sur la peinture moderne et sur le cinéma ; ses essais sur Ippekiro Nakatsuka (1887-1946), fondateur du haïku de forme libre, et sur Natsuyuki Nakanishi (1935), peintre contemporain majeur, ont eu un grand retentissement.

Vergerettes,
Vergerettes,
Vergerettes.
Brûlure à la main.

Bonjour, le dipneuste [20] !
Ainsi que des instruments de musique
S’arrangent les fenêtres.

Soir.
Il est une haute tige de graminacées
Regardant la porte.

On hiverne.
Elles sont toutes longues
Les saletés de la gomme à effacer.

Le coeur palpite
Jusqu’à ce que le ciel
Soit plein d’hirondelles.

Nous riions.
Au camping
S’accumulait la cendre.

Une grappe de raisin vert bougeait,
Et une voix a précédé le vent.

Crépuscule de printemps
Les ombres s’assemblent
Sur la queue d’un pigeon blanc.

Matin d’été
La masse de vapeur qui vient
A la forme d’une chaussure.

Le rêve continue.
Bouge un peu
Le filet du court de tennis
Dans le rêve.

Takada SAKUZO (1906 - 2001)

Takada SAKUZO (1906 - 2001)

Sakuzo Takada est né en 1906 à Tokyo. De 1926 à 1929, il a étudié le français à l’Université des langues étrangères de Tokyo (Gaigo). De 1945 à 1984, il a été au service du Japan Travel Bureau. Musicien, compositeur et auteur, il a joué de la mandoline dans l’orchestre symphonique de Tokyo, a composé et traduit plusieurs chansons pour enfants. Il a commencé à étudier le haïku dans le groupe Tosen (Éventail hivernal), sous la direction de Shoichiro Fukagawa (1902 - 1987). Il est membre du conseil d’administration de Haiku International Association. Il est mort à Tokyo en janvier 2001.

Les fleurs d’oignon -
Chaque enfant les touche
Et les tapote tendrement.

La couleur rouge
Est répandue dans la pluie
Qui tombe au printemps.

Qu’il est grand le terrain
Du palais du roi, très grand !
- Des oiseaux s’accouplent.

Le magasin de
Gâteau japonais changé en
Écran fait de lin.

Un rossignol chante -
L’édifice de cette pension
Est bâti très chic.

Les hirondeaux
Ouvrent leur bec aussi grand
Que leur visage.

Dessine la mer d’été
Avec un crayon 4-B
Sur du papier blanc.

Marée d’automne
Les îles sacrées d’un ménage
Sont liées par des cordes.

L’autoroute fermée
Et les monts de Dewa [21] se sont
Endormis.

Les terrains de Boshu
Sont faits de coteaux et de vallons -
Belle journée d’hiver.

Saito SANKI (1900 - 1962)

Saito SANKI (1900 - 1962)

Sanki Saitô est né en 1900 à Tsuyama, Okayama. En 1933, il a commencé à écrire des haïkus et à en publier dans la revue Sômatô (Lanterne magique). En 1956, il a cessé ses activités de dentiste pour se consacrer au haïku ; rédacteur en chef de la revue Haïku depuis un an à peine, la maladie l’a frappé et il s’est retiré. Ses poèmes nihilistes ont été une interrogation humaine et douloureuse alors que le Japon était profondément accablé à la suite de la guerre. Il est mort en 1962 à Hayama, Kanagawa.

L’ascenseur
Monte silencieusement
Dans la nuit où il tonne.

La poche à glace
Crac
La mer froide brusquement s’ouvrit.

La tige du pissenlit est courte
Un trou bleu
Au plus haut point du ciel.

De la rizière moissonnée
Vers les enfants
Des mamelles gonflées s’approchent
En ballottant.

Trois vieilles étaient
Sous l’ombrage d’un feuillage d’été
Elles riaient.

C’est un lys énorme
Qui se trouve
Au milieu de la chambre climatisée.

La piste d’envol
Était jaune
S’élançait contre la mer d’hiver.

Le fleuve dans son oeil droit
Dans son oeil gauche
Il voit un cavalier.

Une entaille saignante
Dans la montagne
Soir chant du rossignol.

Un garçon faisant de l’arithmétique
Sanglotait en cachette
L’été.

Taneda SANTOKA (1882 - 1939)

Taneda SANTOKA

Santōka naît en décembre 1882 dans un village sur la pointe sud-ouest de Honshū. Fils d’un père coureur de jupons, il a onze ans lorsqu’il assiste au suicide de sa mère se jetant dans un puits. La blessure sera indélébile. Après des études de littérature, souvent interrompues par la dépression, il se réfugie dans l’alcool. Manquant de mettre fin à ses jours sous un train, il est recueilli dans un monastère bouddhiste, où il paraît trouver un semblant de paix. Il vit après cela une vie de moine vagabond et s’éteint dans son sommeil dans la nuit du 10 octobre 1940, dans un temple près de Matsuyama, à 57 ans.

Verse l’averse d’automne
Je ne suis
Pas encore mort !

Au bain public

Séparés par une cloison

Murmures d’hommes et de femmes.

Boue
Qui s’écoule
S’éclaircit.

Me voici

Là où le bleu de la mer

Est sans limite.

Le bruit incessant des vagues
Mon village natal
Si loin.

Le riz est savoureux
Le ciel bleu
Bleu.

Mon déjeuner
D’aujourd’hui
De l’eau.

Complètement nu
Exposé
Au soleil.

Dans mon chapeau en bambou
Aussi
Une fuite ?

Au bureau de tabac
Pas de tabac
Une pluie froide tombe.

Jambes allongées dans la mer agitée
Le voyage écoulé
Le voyage à venir.

Le vent des montagnes
Dans la clochette
Un puissant désir de vivre.

De la lune
Tombe toute seule
Une feuille de kaki.

Au soleil couchant
L’ombre du laboureur
S’enténèbre.

La pluie d’automne
La pluie d’automne sur les montagnes
Où je m’enfonce.

Du matin au soir
Écoutant le bruit de mes pas
Je marche.

Une libellule
Sur mon chapeau en bambou
Je marche.

Mendiant
J’accepte
Le soleil brûlant.

Le seau
Rempli d’eau de pluie
Assez pour aujourd’hui.

Mouillé de rosée
Matinale je vais
Par où je veux.

Soleil, elle bêle ;
Nuages, elle bêle -
Cette chèvre.

Oh ! ce pou
Que j’ai attrapé,
Il est si chaud !

Une pierre pour oreiller
J’accompagne
Les nuages.

Imai SEI (né en 1950)

Imai SEI (né en 1950)

Sei Imai est né en 1950 sur la côte de la Mer du Japon et il y a grandi ; il habite maintenant à Yokohama. L’obscurité et la violence de cette mer du nord ont exercé une grande influence et ont formé les bases de sa vision du haïku. Il dirige la revue de haïkus Machi (Ville). Il est aussi scénariste. Il a publié le recueil de haïkus Hokugen (1984) et une anthologie des 350 meilleurs haïkus sur le voyage (1988).

Les phares
Éclairant un tournesol
Se sont éteints.

Le printemps est là.
J’entends le bruit des vagues
De dessous mon bureau.

Un petit lézard
Clignait des yeux
Sous le cheval.

Par temps sec
Une grosse pendule cassée
Dans le delta du fleuve.

Les autoroutes de Tokyo
Ressemblent à des intestins
Sous la pleine lune.

Un papillon blanc sort
D’entre les rayures d’un zèbre.

Voici des dizaines de milliers de places vacantes
Dans le stade de base-ball.
La première hirondelle de l’année.

Je n’ai entendu que le bruit
Des lunettes déposées sur le bureau.
Montagne couronnée de neige.

En sortant du cinéma
J’ai fait face à une étrange nuit
Sous un clair de lune.

À une marchande de chapeaux en plein air
J’ai demandé d’où elle venait.
Elle a répondu : « Israël ».

Awano SEIHO (1899 - 1992)

Awano SEIHO (1899 - 1992)

Seiho Awano, de son vrai nom Toshio Hashimoto, est né en 1899 à Takatori, dans la province de Nara. Il a commencé à s’intéresser au haïku en 1915. En 1917, il a rencontré Kyoshi Takahama (1874-1959), héritier de Shiki Masaoka, et il est devenu l’un de ses élèves. En 1923, il s’est installé à Osaka. Il s’est converti au catholicisme en 1947. De 1969 à 1988, il a beaucoup voyagé et visité plusieurs pays d’Asie et d’Europe. Il est mort le 22 décembre 1992.

Un corbeau dans la bise
M’a raconté
Des balivernes.

Flocon tombé
Sur ma loupe :
Goutte de rosée.

Drapeau en berne
Quand rallongent
Les jours.

Vapeurs de printemps
Un boeuf qui passe lèche le sol
Silhouette.

En secret
Le printemps me manque
Je vieillis.

Au coucou
Elle ne répond rien
La girouette en fer.

Il y en a un
Qui n’a plus qu’une jambe
Dans le groupe d’alpinistes.

Je me lave les cheveux
C’est-à-dire
Que je me lave l’âme.

L’estivant que je suis
N’a rien à faire
Seule une bible devant moi.

La toux
Le fait trébucher
De plus en plus sur le Pater.

Ogiwara SEISENSUI (1884 - 1976)

Ogiwara SEISENSUI

De son vrai nom Ogiwara Tōkichi, il est né dans le Minato, Tokyo, fils unique d’un détaillant de marchandises. Il a été expulsé de la Seisoku Junior High School après publication d’un journal étudiant critiquant les méthodes d’enseignement de l’école et l’administration. Il cesse alors de boire et de fumer et obtient son admission à l’université impériale de Tokyo. En 1911 il co-fonde le magazine littéraire d’avant-garde Soun et est un fervent partisan de l’abandon des traditions haïku, en particulier les « mots de saison », et la norme 5-7-5. Son épouse et sa fille ont péri dans le tremblement de terre du Kanto en 1923 et il se remarie en 1929. Sa maison de Tokyo a été détruite pendant la Seconde Guerre mondiale. Il s’est ensuite retiré à Kamakura en 1944, où il a vécu jusqu’à sa mort.

Ciel sans nuage
Elle marche à grands pas
La lune.

Pissenlits, pissenlits
Sur la plage
Le printemps ouvre les yeux.

Ma tasse
Intacte si longtemps
J’ai quarante ans.

Chaumière
Neige qui tombe
Neige qui s’accumule.

Croire au Bouddha
À la vérité bleue
Des épis de blé.

Le ciel s’ennuie
Maison si tu es là
Montre ta fumée.

Quelques éclats de lune
Viennent frapper
La clochette à vent.

Jour de l’an dans la cuisine
Petits bruits froids du couteau
De mon épouse esseulée.

Un ciel sans couleur
Rejoint
La mer couleur de cendres.

En colère
Subitement
N’était-ce qu’un rêve ?

Elles sont amaigries
Les mains qu’il joint
Lui pour qui je joins les miennes.

Dans le grondement du feu
La nuit s’enfonce
Crache une lune ébréchée.

Ce soir je dors
Aux côtés de ma Mère
Ma Mère qui vient de mourir.

Moineaux du matin,
Leurs voix disent que la neige arrive
Dans cette montagne au loin.

Yamaguchi SEISHI (1901 - 1994)

Yamaguchi SEISHI

Il est né à Kyoto, fils aîné de son père Shinsuke. Depuis sa plus tendre enfance, il vivait alternativement à Kyoto et à Tokyo. Il fréquente l’école secondaire à Kyoto et en 1922, il s’inscrit à la Faculté de droit de l’ Université impériale de Tokyo. En 1926, il a terminé ses études et travaille pour la Sumitomo KG à Osaka . Deux ans plus tard, en 1928, il se marie. Avec une affection pulmonaire qui le tourmente depuis ses études, il est en congé en 1940 et 1942. Mais finalement son état s’améliore et il se consacre ensuite à la littérature et opère un changement radical dans la conception du haïku : ce ne sera plus l’« art de chanter les fleurs et les oiseaux », mais la ville et la vie moderne. Il est mort à Nishinomiya.

Grippé
La force me glisse
Entre les doigts.

Dans les herbes d’été
Les roues de la locomotive
S’immobilisent.

La lune se lève
Vers la mer qui jaunit
Se traîne un crapaud.

Luciole captive
Les doigts du garçonnet
Tout verts.

La mante religieuse
Croque
Une tête d’abeille.

Soleil de printemps
Boîte aux lettres repeinte
Dégoulinades jusqu’à terre.

Le coup du départ
Rebondit à la surface dure
De la piscine.

Un insecte remue
Des rides naissent
En nombre sur l’eau.

Rivière d’été
Le bout d’une chaîne rouge
Pend mollement dans l’eau.

Nulle trace dans le courant

Où j’ai nagé

Avec une femme.

Ce matin l’automne

Dans le miroir

Le visage de mon père.

Marée printanière
Mon corps entier transpercé
Par la sirène du bateau.

Le fil du cerf-volant -

Dans le ciel il se noie

Sur le doigt il se voit.

La spirale de sa coquille
Peu à peu s’accélère -
L’escargot !

Gagnant la haute mer
La bise n’a plus
De lieu où revenir.

Juillet
Près des montagnes bleues
Un haut fourneau.

Le lis qu’elle tient

Tandis qu’elle passe

Laisse ici son parfum.

Hara SEKITEI (1889 - 1951)

Hara SEKITEI

Sekitei a habité dans l’Est Yoshino, un village au fond d’une montagne. Il a décrit la nature rigoureuse et il a réussi à en exprimer la beauté aiguë.

Sommet d’une éminence.
Les nogikus [22] se balancent le plus largement

Dans le vent.

Arbre collant

Fendu avec une hache.

Voix d’une pie-grièche.

Pétards qui étonnent les animaux.

Des ombres de montagnes coulent

À la surface des gués.

La lune

Au-dessus de la montagne enneigée

A fait tomber des grésils.

Un sarment de maranta

Touche la joue d’un bûcheron.

Amoncellement de nuages.

Dans sa solitude

Il bat encore le gong

Le gardien de kabiya [23].

Le vent d’automne.

Deux assiettes

Dont les motifs diffèrent.

L’espace a fait bourdonner

Les ailes fines de la libellule.

Murmures derrière la charrette de foin.
Voilà un jour d’été.

Masaoka SHIKI (1866 - 1902)

Masaoka SHIKI

De son vrai nom Masaoka Tsunenor, il est né à Matsuyama (Ehime ), fils d’un samouraï de la fin de la période d’Edo. Il a perdu son père quand il avait cinq ans et a souffert de la tuberculose une grande partie de sa vie. Il étudie la littérature à Tôkyô et y rencontre l’écrivain Sôseki. Sa maladie a été sérieusement aggravée par un passage, en tant que correspondant de guerre, avec l’armée impériale japonaise pendant la première guerre sino-japonaise. Au retour du service militaire en 1895, il passa sa convalescence à Matsuyama, mais il s’aperçut qu’il était en phase terminale. Il a continué à écrire avec vigueur, mais a été largement alitées en 1898. Il est mort à Tokyo à l’âge de 35 ans.

Me retournant pour voir
L’homme que j’ai croisé…
Le brouillard.

La neige a fondu
Sur une épaule
Du Grand Bouddha.

Étang dégelé.

Une crevette bouge

Dans de vieilles algues.

Quelle fraîcheur de l’air.

Un petit crabe, sous la pluie,

Grimpe sur un pin.

Des feuilles de lotus dans l’étang

Bougent sur l’eau.

Pluie de juin.

On ne voit pas la lune.
Et se lèvent

De grosses vagues.

La rivière en été
Malgré le pont
Le cheval traverse dans l’eau.

L’escargot

Levant la tête

C’est moi tout craché.

Les chrysanthèmes sont fanés

Guettant des poulets

Une belette.


Pourquoi ne pas mourir

En mordant dans une pomme

Face aux pivoines.

Averse d’été -

La pluie s’abat

Sur la tête des carpes.

Sur les îles
Des lumières s’allument
La mer au printemps.

À l’ombre des poteaux à linge
Se devine
Le solstice d’hiver.

Dans l’ombre des arbres
Mon ombre bouge
La lune d’hiver.

Nettoyage de fin d’année
Dieux et bouddhas
Dans l’herbe.

Désolation hivernale
Je traverse un hameau
Un chien aboie.

Il fait un peu plus froid
Aucun insecte
Ne s’approche de la lampe.

Des lotus en fleurs
Une petite gare
Solitaire.

Solitude
Après le feu d’artifice
Une étoile filante.

Dans le temple de montagne
Des ronflements de sieste
Le coucou !

Pattes mouillées
Le moineau sautille
Le long de la véranda.

Sérénité
Marchant seul
Joyeux seul.

Ignorant
Que le site fut célèbre
Un homme laboure le champ.

Terrible !
Des pierres s’écroulent du mur
Les chats en chaleur.

Un sachet de simples
Sur mon lit de malade
Le printemps renaît.

Au Bouddha
Je montre mes fesses
La lune est fraîche !

Sur le sable du rivage
A chaque trace de pas
Le printemps s’allonge.

J’épluche une poire
Du tranchant de la lame
Le goutte à goutte sucré.

L’herbe des champs
Libère sous mes semelles
Son parfum.

Bourrasque d’été
Les nappes de papier blanc
Sur la table s’envolent.

Au bord de mourir
Plus que jamais bruyante
La cigale d’automne.

Crêtes de coqs
Quatorze ou quinze
Me semble-t-il.

Au papillon je propose

D’être mon compagnon

De voyage.

Une lanterne
Entre dans une maison
La lande flétrie.

Midi haut perché
À tue-tête
Une alouette et un nuage.

Du sable entre les doigts
Les nuages s’écoulent.
Automne des matins.

Hortensias
Elle a choisi le bleu
La pluie d’automne.

Combien de fois
Ne me suis-je interrogé
Sur l’épaisseur de la neige dehors.

Cri d’oie sauvage
Blanches dans les rochers
Les vagues de la nuit.

Dites-leur
J’ai été un mangeur de kakis
Qui aimait le haïku.

Je fixe un long moment
Mon ombre
Le cri des insectes.

Kuroyanagi SHOHA (1727 - 1771)

Kuroyanagi SHOHA

Marchand de profession, il a étudié la poésie chinoise à l’école fondée par Itô Jinsai (1627 - 1705) à Osaka et avec Hattori Nankaku à Edo. Plus tard il vint au haïkaï avec Buson.

Que n’ai-je un pinceau

Qui puisse peindre les fleurs du prunier

Avec leur parfum !


A la méduse
Le concombre de mer
Confie son amertume.

La fleur de camélia
Qui allait tomber
S’est prise dans les feuilles.

Se réveiller, vivant, en ce monde,
Quel bonheur !
Pluie d’hiver.

Lorsque la fauvette chante,
La vieille grenouille rote

Sa réponse.

Un bébé moineau… 

Saute avec curiosité 

Pour regarder mon coup de pinceau.

Juste au moment où le sermon 

A finalement sali mes oreilles - 

Le coucou.

A l’octroi du pont

On a fait les comptes

Soir de printemps.

Les insectes d’été
Font grève à minuit
Tête des étudiants.

La pleine lune entourée

Par ces innombrables étoiles, 

Et le ciel d’un vert profond.

Dans la rivière en hiver, 

Mis au rebut,

La carcasse d’un vieux chien.

L’orage se brise, 

Un arbre éclairé par le coucher du soleil, 

Le cri des cigales.

O vents d’automne, 

Pour moi il n’y a pas d’anciens dieux,
Aucuns Buddhas pour moi.

L’enfant
Et son chien
Marche sous la lune de l’été.

La pluie nocturne
A multiplié les escargots
Sous les belles feuilles des aspidistras.

Au coucher du soleil
L’ombre de l’épouvantail
Atteint la route.

Mizuhara SHUOSHI (1892 - 1981)

Mizuhara SHUOSHI

Shuoshi est le fils d’un médecin qui a dirigé une clinique médicale, et en tant que fils aîné, il a suivi les traces de son père. Il a étudié la sérologie, l’obstétrique et la gynécologie à l’Université de Tokyo, diplômé en 1926. Dans les années 1920, il a été publié dans Hototogisu et sa poésie a été acclamée. Il est responsable d’une tendance vers une plus grande expression des émotions dans les haïku. Le lyrisme de son style, la musicalité des mots choisis et leur sens pictural se retrouvent dans ses recueils. Shuoshi a pris sa retraite de la médecine en 1952 et a commencé une série de visites aux temples bouddhistes. Il est mort à Tokyo à 89 ans.

Printemps de ma vie
Dépassé
Je croque une fraise.

Malade j’ai souvent
Rêvé d’une rizière d’hiver
La voici.

Pivert tape
Dans la prairie les arbres
En hâte quittent leurs feuilles.

Montagne d’été
Neige solitaire
La nuit même brille.

Ma vie
Devant ce chrysanthème
Se tait soudain.

Passe un banc de nuages
La houle de mon coeur
Va expirant.

Ma propre voix
Je l’avais oubliée
Rhume de printemps.

Cascade
Les profondeurs d’un monde bleu
Ont vibré.

Les jours lointains
Sous un soleil radieux
Plus lointains encore.

Chapeaux d’été …
Reflétant le soleil
Rivage.

Sommeil …
Le cou de l’enfant ne bouge pas
Poudre de talc.

Cadeaux saisonniers d’été…
Encore le même ventilateur
Le même motif.

Danseur de la danse du lion
Abritant ses yeux de la main pour regarder
Le Mont Fuji au coucher du soleil.

De la brume
Un bateau pour la coupe des roseaux
Dans la matinée a commencé à émerger.

Tiédeur d’automne
Plus verte que la marée
La cuirasse d’un crabe.

Kato SHUSON (1905 - 1993)

Kato SHUSON

Il est né Takeo Kato à Tokyo. Son père travaillait dans les chemins de fer. Ses parents se convertirent au christianisme et quand le père a été chef de gare à Ichinoseki (Iwate-ken) leur fils a été baptisé à l’âge de 13 ans. Il a commencé à travailler comme professeur assistant dans une « junior High School » à Kasukabe. Alors qu’il enseignait à l’école, l’hôpital local a été visité deux fois par mois par un médecin qui était aussi un poète de haïku célèbre : Mizuhara Shuoshi. Tombant sous le charme de l’ancien poète, il est devenu son disciple. Il s’est marié en 1929, et a eu trois enfants. Il publiera plusieurs journaux de voyage, à la suite de nombreuses pérégrinations à travers le monde. Mais il tombe malade en 1960, sans doute de la tuberculose. Sa foi dans le pouvoir de guérison de la poésie était telle qu’il se rétablit graduellement. Il est mort à Tokyo à l’âge de 88 ans.

J’écrase une fourmi
Et c’est moi que mes trois enfants
Regardent.

Ce qui va à mes enfants
Ne me va plus
Nouveau calendrier.

Un temple dans la bise
Une pièce tinte
Dans un tronc.

Sur ce tableau de bombe atomique
Comme moi, les morts ouvrent la bouche
J’ai froid.

Que j’ôte mon chapeau
Et se déploie la nuit bleue
Du ciel d’hiver.

Dans le feu finira
Cette fourmi
Qui marche qui marche.

Mouettes d’hiver
Sans toit pour les vivantes
Sans tombe pour les mortes.

Insecte endormi
J’aimerais que la mort
Ait ce visage.

Le percepteur en nage
L’instituteur sans le sou
S’esclaffent ensemble.

Malade au lit
C’est un arbre d’hiver
Qui accroche mon regard.

La lumière des arbres

Sur les talus de février

Si fragile.

Poulets d’accourir

Plus un cheval dans l’écurie 

Douceur du printemps.

Rien ne bouge

Que le ciel d’été

Lichen sur les pins.

Mains jointes sous l’ondée

Du village on entend

Trois heures sonner au temple.

J’aperçois un renard

Un jour c’est moi qui de lui 

Serai vu.

L’orfraie

Serres grandes ouvertes

À vouloir tout arracher.

Pêcheurs d’allonger

Un requin 

Dans la neige.

Yamaguchi SODO (1642 - 1716)

Yamaguchi SODO Monument

Il est né dans la province de Kai (aujourd’hui Yamanashi). À l’âge de 20 ans il se rend à Edo (Tokyo) pour se consacrer à des études de chinois à l’école Hayashi. Autour de 1685, il était devenu un disciple de Basho. C’est un samurai qui pratique différents arts : cérémonie du thé, calligraphie, récitations de poésie. Il a vécu une vie tranquille et mourut en 1716 à l’âge de 74 ans.

Qui se soucie de regarder

La fleur de la carotte sauvage

Au temps des cerisiers ?

Après avoir contemplé la lune
Mon ombre avec moi
Revint à la maison.

Plaine enneigée
A l’ombre de laquelle
Un aigle descend.

Ce printemps dans ma cabane -

Absolument rien

Absolument tout !

Un aigle descend

Sur les plaines blanches

De l’année qui monte.

Non, non, pas même les fleurs de cerisier, 

Ne peuvent égaler
La lune de ce soir.

Le vert des feuilles pour les yeux
Coucous dans les montagnes

D’abord la bonite. [24]

Yamazaki SOKAN (1465-1553)

Yamazaki SOKAN

De son vrai nom Shina Norishige, il est né dans la province Omi. Au début il est calligraphe à la cour du shogun Ashikaga, puis il devient un moine bouddhiste itinérant après la mort du shogun en 1489. Il voyage puis il finit par s’installer dans un endroit appelé Yamazaki pour y établir son ermitage. Il quitte Yamazaki en 1523, et s’installe cinq ans plus tard dans la ville de Kan’onji (Sanuki). Précurseur du haïku, il développa le haïkaï-renga (« renga comique »), forme antérieure plus triviale.

Même
Lorsque mon père se mourait
Je pétais.

S’il pleut,
Venez avec votre parapluie,
Lune de minuit.

Sirotez votre reniflement -
Avec rien pour se moucher
Dans ce mois athée.

Si quelqu’un demande où Sokan a disparu,
Simplement dire,
« Il avait à faire dans l’autre monde."

Comment je veux tuer ! 

Comme je voudrais 

Ne pas tuer !

Le voleur,
J’ai pris 

Est-ce mon propre fils.

Natsume SÔSEKI (1867 - 1916)

Natsume SÔSEKI

Il est né dans le quartier de Shinjuku à Edo (aujourd’hui Tōkyō). C’est un enfant non désiré, d’une mère âgée qui le rejette. À deux ans, il est confié à un couple de serviteurs jusqu’à l’âge de neuf ans. De retour dans son foyer, il continue à être rejeté par son père et sa mère meurt en 1881, alors qu’il vient d’avoir 14 ans. Au collège, il se passionne pour la littérature chinoise et se destine à l’écriture. Mais quand il entre à l’université de Tōkyō en 1884, il est obligé d’étudier l’architecture et l’anglais. En 1887, il rencontre Masaoka Shiki qui le pousse à écrire des romans et des nouvelles et l’initie au haïku. Le gouvernement japonais l’envoie en Angleterre, de 1900 à 1903. Le second voyage, d’agrément celui-là, le mène en Mandchourie, puis en Corée. À partir de 45 ans, sa santé se dégrade rapidement. Il meurt d’un ulcère à l’estomac à Tokyo à l’âge de 49 ans.

Sans savoir pourquoi

J’aime ce monde

Où nous venons pour mourir.

Ombre des fleurs

Ombre de la femme

Mêlées sous la lune voilée.

En ce monde flottant

Devenez bonze en chef

Et vous ferez la sieste !

Frappé le gong

Exhale dans l’air recueilli

Un moustique assoupi.

Courbettes et risettes—

Du chignon

Glisse un grêlon.

Froid perçant. Je baise

Une fleur de prunier

En rêve.

Elle s’est posée sur mon épaule

Elle cherche une compagnie

La libellule rouge.

Les hommes meurent
Et les grues naissent
Translucides et glacés.

Si j’étais souverain
D’une île déserte
Ce serait rafraîchissant !

Tous les chrysanthèmes
Jetez-les donc
Dans son cercueil.

Pour ceux qui sont partis
Pour ceux qui sont restés
Les oies reviennent.

Arraché à la mort
Le mince fil de ma vie
Roseaux jaunissant de l’automne.

Quand on lui tape dessus
La cloche de bois à prières
Vomit les moustiques du jour.

Semblable à la violette
Homme de rien
J’aurais voulu naître.

Même alité il vient me voir
Par le store de bambou
Papillon d’automne.

Vent gris d’automne
Gerçures à l’intérieur
De mon estomac.

Monstre

Il montre son cul rond

Le potiron.

Vent d’automne colore les feuilles

Est-ce lui qui pose sur ma tête

Le premier cheveu blanc.

Quatre murs nus

Seule une lampe

Pour adoucir la chambre glacée.

Entre les feuilles du volubilis

Un reflet

Les prunelles du chat.

Les fleurs sont tombées

Des pétales déchirés le courant a emporté

Jusqu’à l’ombre.

Ombre sur l’herbe douce

Le rêve du chien endormi s’élève
Comme une brume légère.

Jeunes pousses de fougère
Ouvrant leurs petits poings
Enfin le printemps.

Combien aimée
L’odeur de la terre
L’automne avec ses pins.

Takano SUJU (1893 - 1976)

Takano SUJU

Il est né à Fujishiro. Pendant ses études médicales à l’Université de Tokyo, il commence à composer des haïkus et se met à fréquenter Shuoshi Mizuhara. Devenu professeur de médecine, il continue à écrire de la poésie et, peu à peu, se rapproche de l’école de Kyoshi Takahama, dont il devient un fidèle héritier spirituel. Cette école prône une « description objective de la réalité » dans des poèmes dont chacun doit être une allusion à la nature. Il est mort à Sagamihara à 83 ans.

Du sang paysan
Dans mes veines
Moisson bleue.

Du grand auvent
Du temple
Un papillon surgit.

Elle sombre
Dans les flots de la nuit
La grande pivoine.

Fendue en deux ailes
La coccinelle
S’envole.

Je retourne
La grosse bûche
Dont l’envers est en feu.

Sous une feuille morte
La neige
S’affaisse un peu.

Au ciel s’en vont
Les pétales de cerisiers
D’une seule envolée.

Limaces virent
Les unes à gauche
Les autres à droite.

Fourmis-lions.

On n’entend que le vent

Souffler dans les pins.



Germe de plantain,

Trois feuilles

De différentes grosseurs.



Face à la colline d’été

On marche

Dans le jardin.



De la neige du printemps

Comme des vagues

Franchit la clôture.



Des grêlons du soir 
_ Battent des rameaux.

Et leur branche.

Cette pêche est verte. 
_ Mais elle tient un peu de rouge.

Un fil d’araignée

Se tend

Devant un lis.



Séparément

S’envolent là-bas

Des corbeaux au nouvel an.

Modeste spirale
De l’escargot
Tout près de la lune.

Kakimoto TAE (née en 1928)

Kakimoto TAE (née en 1928)

Tae Kakimoto est née en 1928 à Otsu et elle y habite toujours. Elle a grandi dans le grand temple historique Miidera où son père était bonze. Collégienne, sous l’influence des tankas d’Akiko Yosano, elle s’est intéressée à cette forme poétique pendant quatre ans ; en 1947, elle a publié ses propres tankas. Puis, pendant plusieurs années, elle a cessé d’écrire pour s’occuper de sa famille. En 1976, elle a participé à l’atelier de haïku parrainé par le magasin Seibu, et elle a commencé à écrire et à publier des haïkus.

L’été passe.
Je soulève un store
Je ne regarde rien.

Un drapeau rouge
Dans une ruelle de Nara
Et la lune de jour.

Au milieu des chrysanthèmes
Je passe la main sur mes pommettes.
Qu’elles sont dures.

Mal de dents.
Évidemment les poireaux sont verts
Dans le champ.

J’ai ramassé la dépouille d’une cigale.
De l’eau en est tombée.

Les lotus ont fleuri.
Je suis à côté d’un éléphant
Aux oreilles usées.

Blancheur
De pieds maculés de boue.
Rivière du printemps.

Les graminées se multiplient toujours.
Pend la mue d’un serpent.

Un papillon d’hiver près de moi.
La grosse cloche du temple
Bouge légèrement.

Bruits du creusage d’une fosse
De derrière les camélias.

Nakamura TEIJO (1900 - 1988)

Nakamura TEIJO (1900 - 1988)

Teijo Nakamura est née en 1900 à Kumamoto, Kyûshû. En 1920, elle a écrit et publié ses premiers haïkus dans la revue Hototogisu (Le coucou). Mariée puis mère de trois enfants, elle a cessé d’écrire jusqu’en 1932 où, encouragée par Kyoshi Takahama et par sa fille Tatsuko Hoshino, elle s’est remise à l’écriture. Teijo a créé un style clair et simple, utilisé des rythmes et sonorités souples. Elle est morte à Tôkyô en 1988.

Rizière du printemps !
Une femme était dehors
Et la regardait sereinement.

Allons dehors
Là, la douce lune printanière
Sa lumière nous couvre.

Cet homme
Et sa suivante
Étaient dans l’air frais au temps des fleurs
Du cerisier.

Une pelote de laine reste loin de moi
Ça me rend triste
Je tricote en tirant sur le fil près de moi.

L’enfant qui toussote
Joue aux devinettes avec moi
Ça n’en finit pas.

Jacinthe
Le chien m’écoute
Il semble qu’il me comprend bien.

De trois côtés
Les papillons sont partis en volant
Rose trémière.

Je cueillais des fleurs de manjushage à pleins bras
Pourtant
Je songeais à ma mère lointaine.

Quand j’ai arrêté mes pas
Des libellules sont venues et ont rempli
L’air autour de moi.

J’écale un oeuf dur
L’éclat
Cerisiers en fleur sous le ciel brumeux.

Matsuyama TEITOKU (1571 - 1653)

Né à Kyoto, fils d’un poète renga professionnel, il a reçu une excellente éducation de quelques-uns des meilleurs poètes de l’époque. Il a fondé l’école de la poésie haïkaï, vers un style poétique populaire. Il est mort à Kyoto à l’âge de 82 ans.

Quand elle fond,

La glace avec l’eau

Se raccommode.

On voudrait couper
On voudrait ne pas couper le rameau fleuri
Qui cache à ma vue la lune.

Pourquoi tout le monde fait

La sieste ?

Lune d’automne.

Même la brume
S’élève par taches
Année du tigre.

Par les champs d’automne

Je vais 

Une cage à grillon à la main.

Moppo TOMITA (1897 - 1923)

Moppo TOMITA

Né dans un quartier populaire de Tokyo, Moppo Tomita, c’est-à-dire « Tomita jambe de bois », se voit privé de l’usage de ses jambes dès l’âge de deux ans. Ce handicap et la pauvreté l’empêchent de fréquenter même l’école élémentaire. Il apprend à lire tout seul. À partir de 1914, il envoie des haïkus à différente revues. Un frère sourd-muet et des soeurs prostituées meurent de la tuberculose, maladie qui le frappe aussi. C’est en luttant contre ce mal qui le ronge et la misère qui le harcèle que Moppo Tomita consacre une existence difficile à la « voie du haïku ». Il exerce plusieurs petits métiers et développe parallèlement un grand talent de poète. Il meurt brûlé lors du grand tremblement de terre de Tokyo en 1923 à l’âge de 26 ans.

Un enfant qui prend le frais
Me regarde veiller
Ma soeur dans son cercueil.

Début de l’été
Grain de sable dans une algue
Du petit déjeuner.

Toute la famille est malade
Et la cigale chante
Aux portes de la nuit.

Sur du papier à pharmacie
Je jette des poèmes
Nuit glacée.

Je ne suis plus un homme
Mais pas encore une anguille
Pluies de juin.

Froid de la nuit
D’un souffle je cloue sur place
Un cafard.

Du chagrin plein la gorge
Je fredonne soudain
Soir d’automne.

L’arrière-train de chaque fourmi
Étincelle
Soleil de printemps.

En rêve je les revois
La mort sera plus familière
Dans les arbres la bise.

Pareil à de l’eau
Le jour à travers les nuages
Iris en fleurs.

Endormi sous la moustiquaire
Au sifflement des trains
J’ai des envies de départ en vacances.

Kaneko TŌTA (né en 1919)

Kaneko TŌTA

Il est né en 1919 à Chichibu, la région montagneuse de la préfecture de Saitama et commença à écrire des haïku à l’âge de 18 ans. Diplômé de l’Université de Tokyo, il a commencé à travailler pour la Banque du Japon en 1943. Après la guerre, il apparut comme un porte-drapeau du haïku d’avant-garde et a fondé le groupe haïku « Kaitei » (« Distance de la mer ») en 1962 à l’âge de 43 ans. Pour « la pratique moderne de la grandeur de l’ancien" est son slogan actuel. Depuis 2000 à aujourd’hui, il a été président honoraire de l’Association Haïku moderne..

Nuages au-dessus de l’océan, 

Déterminé à vivre, sans demander 

« Mourir ou vivre ? »

Collines de palmiers

Ce furent des jours avec un ciel en force

Rouge à l’aube.

Ossements 

Doivent être déversées dans la mer ! 

Je mâche un morceau de Takuan [25] .

Le cimetière est si brûlé ; 

Cigales, comme des morceaux de chair, 

Sur les arbres.

Prunier en fleur
Des requins sont venus
Et ont rempli le jardin.

Je dormirais bien –

Jusqu’à ce que reverdisse

La lande de mes rêves.

Une akébia [26]
Si légère mais trop lourde
Pour être lancée très loin.

Une toupie tourne
Sur la terre sous un épais feuillage
Ma femme va bientôt accoucher.

En voyage pour me gaver
De saumon, le soleil du soir
Devient l’anus du ciel.

Dans le brouillard un cygne vient
Peut-être devrais-je dire
Que le brouillard se jette sur un cygne.

Respirer
C’est aspirer
Tant de voix claires de cigales du soir.

Froide journée de printemps
Est-ce que le vieux moine
N’arrêtera jamais de rapetisser.

Le matin commence
La mort d’une mouette
Qui plonge dans l’océan.

Le devant de la locomotive à vapeur

Arrive le premier et après

Le conducteur en sueur.

Chaque bouche
Est si belle - un groupe de jazz
Fin de l’été.

Les carpes se bousculent
Sauvages avec extase nocturne
Dans le flux de la vallée.


Un sanglier
Vient manger de l’air
Au miliieu du printemps.

Aucun bruit de respiration
Si ce n’est d’une vipère
En hibernation.

Dois-je arrêter de boire ?
Et à quel instinct
Vais-je me livrer ? 


Yokoi YAYU (1701 - 1783)

Yokoi YAYU

Né Yokoi Tokitsura à Nagoya, c’était un Samurai, premier fils de Yokoi Tokitsura. Il a hérité du patrimoine de son père à vingt-six ans et a occupé des postes importants du domaine d’Owari : directeur des affaires générales, chef de la garde et directeur des affaires religieuses. En 1754, à l’âge de 53 ans, il se retire pour des raisons de santé, déménage à Maezu, et vit dans un hermitage. C’était un compositeur prolifique, poète satirique, et un adepte de la cérémonie du thé japonaise. Il a également excellé dans les arts martiaux japonais , a étudié le confucianisme et a appris le haïkaï de Muto Hajaku. Il est mort à 82 ans.

J’éternue

Et perds de vue

L’alouette.


Occupé à transplanter les pousses

Il va pisser dans la rizière

Du voisin.

En montagne, averses hivernales

En plaine, on arrache les radis énormes

C’est la vie.

La vie est-elle courte ?
Il m’a semblé bien long,
Le rêve que j’ai fait.

À ses pieds
On vole les haricots
Ah ! l’épouvantail.

Pris dans une douche soudaine
Moineaux de se blottir
Et lutter pour atteindre les feuilles.

Première neige de la saison - 

Jusqu’à ce qu’il se familiarise avec elle 

Le bambou n’est pas couché.

Rompre le parfum 

Des ténèbres, elle est blanche - 

La fleur du prunier.

Sugawa YOKO (née en 1938)

Sugawa YOKO (née en 1938)

Yoko Sugawa est née à Tokyo en 1938 et elle y habite toujours. Elle est diplômée en littérature japonaise de l’Université Rikkyo. En 1972, elle s’est jointe au groupe Kanrai (Tonnerre d’hiver) fondé par Shuson Kato ; elle est également membre du Gendai haiku kyôkai (Association du haïku contemporain).

Le jour où nous avons perdu la guerre
Même pas un coin d’ombre
Pour me reposer donc je marche.

À la finale
Avec un abandon désespéré toutes à la fois
Les fusées du feu d’artifice.

À travers les feuilles d’automne
Même si la route monte sans cesse
Ici un tournant qui descend.

Fleurs d’hortensia…
Étalé sur le tatami
Un plan des rues de Paris.

À la cuisine
Des poireaux sont lavés
Nouvelle bru.

D’un mouvement brusque
Le bonnet à poil du hallebardier
Chasse le taon ennuyeux.

Quelqu’un tousse je me retourne
Un des cavaliers de la garde devant moi
Est une femme.

Jusqu’à l’équinoxe
Ma soeur cadette jouit de la saison
Ma soeur aînée aussi.

Grasse matinée interrompue
J’ai été réveillée par le rire
D’un kookaburra [27].

Bergeronnette…
Le ciel d’hiver
Comme un hoquet. 


Voir : Le petit haïku illustré et haïku.


HAÏKUS DES SAMOURAÏS (POÈMES DE MORT) :

Samouraï est un mot japonais désignant un membre de la classe guerrière qui a dirigé le Japon féodal durant près de 700 ans.

Le suicide du samouraï (Seppuku, signifiant littéralement « coupure au ventre » est plus connu en Occident sous le terme erroné de Hara-kiri.) est la dernière manière d’assumer un échec. Ainsi on éteint la dette contractée par la faute commise. Le Seppuku se commettait en public, mais devant une assemblée restreinte. Le guerrier précédait son geste d’un discours et si possible d’un poème d’adieu (poème de mort).

Ujimasa HÔJÔ (1538-1590)

Ujimasa HÔJÔ (1538-1590)

Ce grand seigneur Japonais est le fils présumé de Hojo Ujiyasu, dont il hérite le pouvoir à la mort de ce dernier. Son domaine, alors, est vaste ( provinces du Kantô, de Musashi et de Sagami ). Mais Toyotomi Hideyoshi ne peut laisser autonome le clan Hôjô dans un Japon unifié qu’il dirige.N’ayant pas compris combien la puissance de Hideyoshi était devenue irrésistible, Hôjô Ujimasa est battu et contraint de faire Seppuku à l’âge de 52 ans.

Vent d’automne d’hier,
Chasse les nuages qui cachent le pur clair de lune,
Et les brumes qui couvrent notre esprit, chasse-les aussi !

Yorimasa MINAMOTO (1104-1180)

Tombe de Yorimasa MINAMOTO

Arrière petit-fils de Yorimitsu Minamoto (944 - 1021)

Telle une souche pourrie
À moitié fichée en terre,
Ma vie n’a pas eu le temps de fleurir
Et elle finit tristement.

Dokan OTA (1432-1486)

Dokan OTA (1432-1486)

Ota Dokan, né Ota Sukenaga était un samouraï du Japon . Né dans une famille féodale de daimyo (seigneur), descendant de Minamoto no Yorimasa . Il a servi en tant que vassal de la branche de la famille Ōgigayatsu Uesugi. Ota Dokan est réputé avoir été un grand stratège militaire. Il a été exécuté après avoir été accusé de déloyauté envers la famille Uesugi. Il est reconnu pour avoir construit le château d’Edo en 1457.

N’aurais-je pas su que j’étais déjà mort,
J’aurais pleuré
D’avoir perdu la vie.

Yoshitaka ÔUCHI (1507-1551)

Yoshitaka ÔUCHI, http://www.twcenter.net/

Ouchi Yoshitaka était un daimyo (seigneur) de la province Suo et un fils de Ouchi Yoshioki. Deux clans s’opposent à lui et annoncent le déclin de la famille Ôuchi. Il a été contraint de commettre le seppuku , après avoir composé son poème de mort.

Vainqueur et vaincu
Ne sont que gouttes d’eau, éclairs furtifs :
Voilà comment va la vie.

Nyûdo SHIAKU (mort en 1333)

L’épée brandie
Je partage le vide
Au milieu du grand feu
Voici un courant de brise fraîche !

Hideshige TAKEMATA ( ? - ?)

Ashura [28] soumettra-t-il un homme tel que moi ?
Je vais renaître
Et je décapiterai Katsuie… [29]

Ieyasu TOKUGAWA (1542-1616)

Ieyasu TOKUGAWA (estampe du XIXème siècle)

Tokugawa Ieyasu est le fondateur de la dynastie shogunale des Tokugawa (1603-1605). Choisi en 1598 comme tuteur du jeune Hideyori, fils de Toyotomi Hideyoshi, Ieyasu commence à gouverner en maître, malgré une violente opposition des grands daimyo (seigneurs).

Mourir ou non : pas de différence,
Ou bien une seule : ne pouvoir emmener personne avec soi !
Curieux non ?

Hideyoshi TOYOTOMI (1536-1598)

Hideyoshi TOYOTOMI (peinture début XVIIème siècle)

Samouraï, général japonais et deuxième unificateur du Japon. Issu d’un milieu modeste, Toyotomi Hideyoshi devint un daimyo (seigneur) très puissant et atteignit le pouvoir suprême dans un Japon unifié. Le valet devenu maître du Japon…

Ma vie est apparue comme la rosée,
Elle s’évanouira comme elle :
Je ne suis qu’une suite de rêves…

Kenshin UESUGI (1530-1578)

Kenshin UESUGI (1530-1578)

Il a été l’un des plus puissants seigneurs de la période Sengoku du Japon. Bien que surtout connu pour ses prouesses sur le champ de bataille, Kenshin est également considéré comme un administrateur très habile qui a favorisé la croissance des industries locales et le commerce.

La vie la plus longue n’est qu’une coupe de saké
Une vie de pas encore cinquante ans
Passe comme un rêve.


Voir SAMOURAIS - Les Guerriers du Japon et Vincent Paul Toccoli, L’empire des songes.

Notes

[1] Écrit en Allemagne.

[2] À la mort d’Erika.

[3] New York après la destruction du World Trade Center.

[4] Peur des terroristes.

[5] Le poète est menacé de la perte de vision.

[6] Opération de la cataracte.

[7] La tipule est un insecte diptère de la famille des tipulidés dont l’aspect rappelle celui d’un moustique de très grande taille. En France et en Belgique, on l’appelle aussi cousin.

[8] « Le luffa » est une liane grimpante ou rampante, de la famille des cucurbitacées. Son fruit est une baie pendante cylindrique de 15 à 20 cm qui peut absorber jusqu’à 20 fois son poids en eau (éponge végétale).

[9] Colocase : plante tropicale de la famille des aracées, cultivée pour sa racine riche en fécule.

[10] Paulownia : arbre d’ornement originaire de Chine et de Corée.

[11] Les femmes portent, en avril, Hana-Goromo (beau kimono), pour traverser les parcs ou les temples et admirer les cerisiers.

[12] Shimano : ancien nom de la préfecture de Nagano.

[13] Obi : ceinture japonaise du kimono.

[14] Jeu de mots avec Keshi, le nom de la fleur de pavot, qui veut également dire : à effacer.

[15] Tripangs : grosse holothurie (poisson) comestible de la mer Rouge, des océans Indien et Pacifique, dont on fait usage comme aliment aphrodisiaque.

[16] Le Karakoram ou Karakorum est un massif montagneux se trouvant dans la région montagneuse du Gilgit-Baltistan, au nord du Pakistan.

[17] Kaido : sorte de pommier à petites pommes.

[18] Paulownia : arbre d’ornement originaire de Chine et de Corée.

[19] Carex : (ou laîches) plantes à feuilles souvent coupantes qui croissent dans les lieux humides et tempérés (de la famille des Cyperaceae)

[20] Les dipneustes sont des poissons pulmoneux, osseux primitifs répandus dans l’Amérique du Sud, en Afrique et en Australie.

[21] Les Trois Monts de Dewa (préfecture de Yamagata) sont, au Japon, trois monts sacrés du shintoïsme : le mont Haguro, le mont Gassan et le mont Yudono. Ils sont un lieu de pèlerinage populaire.

[22] Nogiku : petit chrysanthème sauvage, marguerite d’automne.

[23] Kabiya : cabane dans laquelle on fait du kabi (feu pour effrayer des animaux nuisibles comme les cerfs et les sangliers) en automne.

[24] Bonite : poisson de mer comestible proche du thon.

[25] Takuan : radis mariné. L’un des produits alimentaires que les japonais pouvaient obtenir au cours des années de guerre.

[26] Akebia : liane ligneuse.

[27] Kookaburra ou martin-chasseur géant est un oiseau d’Australie. Oiseau mythique dans la culture aborigène, son chant ressemble à un rire rauque. Son nom australien est d’ailleurs Laughing Kookaburra (littéralement Kookaburra rieur).

[28] Ashura, Reine des démons.

[29] Il a été vaincu par le samouraï Shibata Katsuie.