Ôªø Sornettes - La Sécurité sociale amputée

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Publié : 24 octobre 2008
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La Sécurité sociale amputée

Une fois de plus la politique de Gribouille aura prévalu : face à un déficit de l’assurance maladie plus élevé que prévu les gouvernants se défaussent de leurs responsabilités directes (augmentation des recettes, maîtrise des dépenses) et font payer à autrui les défaillances qui sont les leurs.

Jean-Michel LAXALT, Président de la MGEN

(…) Il y a quatre ans, les plus hautes autorités publiques affirmaient avoir sauvé l’assurance maladie solidaire, grâce à la loi de 2004 refondant l’assurance maladie obligatoire et le système de santé. Depuis, malgré la mise en place des forfaits de 1 € et de 18 € et des franchises multiples qui sanctionnent les malades qui se font soigner, la dette s’est alourdie. Aujourd’hui, les artifices comptables ne trompent plus, au point que la Cour des Comptes refuse de certifier les comptes de 2007 ! Elle critique « le montage financier auquel il a été recouru pour régler une partie des dettes de l’État envers la Sécurité sociale ». Elle dénonce une sous-estimation du déficit 2007 qui, selon elle, « ne reflète pas fidèlement la réalité ». Elle estime enfin que les comptes ne sont pas suffisamment « sincères » ! Fin mai, le Comité d’alerte constatait même un dépassement des dépenses d’assurance maladie « très proche du seuil d’alerte », entre 500 et 900 millions d’euros. En automne dernier, le président de la République donnait le ton : la dépendance doit mobiliser « l’assurance individuelle … et les investisseurs privés », l’assurance maladie «  n’a pas vocation à tout prendre en charge ». La clarification est annoncée : il faut établir « ce qui doit relever de la responsabilité individuelle à travers une couverture complémentaire ». Recevant les responsables de la Mutualité française, le chef de l’Etat a engagé le débat sur « la place respective de la solidarité, de l’assurance et de la responsabilité individuelle ». « Toutes les solutions sont examinées pour le nouveau partage des coûts : le transfert par blocs aux complémentaires, le co-paiement des dépenses pour les ALD, le bouclier sanitaire, la franchise universelle … ». Il ouvre un front nouveau : « Les assurés ont besoin d’une meilleure concurrence entre les complémentaires … et les assureurs ont besoin de plus de liberté. » C’est ainsi que l’on va traiter de l’avenir de l’assurance maladie !

Mais comment peuvent-ils penser que les Français seront dupes ? Le partage entre solidarité/assurance/responsabilité individuelle : ils connaissent. Pour 152 milliards d’euros de dépenses d’assurance maladie, 35 milliards sont financés par les ménages. Idem avec le partage pour le dentaire : un tiers pour l’assurance maladie, un tiers pour les couvertures complémentaires, un tiers de reste à charge personnel. Pire, le partage pour l’optique : 5% pour l’assurance maladie et 95% pour les complémentaires et les ménages. Quelle sera alors la clé de répartition généralisée ?

Jean-Michel Laxalt

Le pouvoir peut-il ignorer à ce point la réalité sociale, humaine, de l’aléa en santé ? Si la moitié de la population ne représente que 5% des dépenses d’assurance maladie, les 14% de malades en ALD (affection de longue durée) concentrent 64% de la dépense. Plus concentré encore, le coût de 0,7% des assurés sociaux dépasse 26% de la dépense de la population totale. Comment oser parler d’assurance et de responsabilité personnelle face à un aléa que seule la solidarité nationale permet d’affronter ? C’est pourtant justement pour ces malades en ALD que le directeur de la Cnam a proposé la diminution du remboursement pharmaceutique. Si des médicaments sont vraiment inutiles ou de peu d’effet, c’est aux prescripteurs qu’il faut s’en prendre, pas aux malades ! Ce sont les prescripteurs qu’il faut responsabiliser, pas les malades qu’il faut pénaliser !

En fait, la rupture projetée est une rupture à double détente : un déversement de dépenses sur les complémentaires et un développement du marché en substitution d’une Sécurité sociale amputée. Qui veut noyer la Sécu la plonge dans le déficit et l’accuse de faillite. En ne contraignant pas la médecine libérale dont les intérêts et pratiques divergent durablement de l’efficience de l’assurance maladie, en élargissant toujours les exonérations de cotisations sociales (pour un montant estimé à 41 milliards d’euros), on asphyxie le régime général de la Sécurité sociale et on décrète l’impuissance de l’assurance maladie. La finalité est idéologique. Le but est la revanche sur ce fondement politique établi à la Libération (voir : La fin des beaux jours), fait de volontarisme étatiste, de services publics forts et entreprenants, de structures collectives intermédiaires reconnues, de garanties collectives au travail et dans la société, de solidarité nationale pour les grands risques sociaux.

Extraits de Jean-Michel LAXALT [1], Défendre un avenir solidaire, Valeurs mutualistes n°257 septembre/octobre 2008.

Voir aussi La sécu américaine comme modèle et Le privé prétend « sauver la Sécu » .

Notes

[1] Jean-Michel LAXALT, Président de la MGEN, Et si demain… la Sécurité Sociale éclatait ? Éditions Jacob-Duvernet, 2009, 20 €.