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Publié : 3 mai 2009
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La pub pour enfant

En France, un enfant sur six est obèse ou en surpoids et a 80 % de risques de le demeurer à l’âge adulte.
L’alimentation représente 25 % des revenus publicitaires des chaînes jeunesse.
Le budget actuel de l’Inpes pour sensibiliser les Français à la nutrition est de 3 millions d’euros. A comparer à l’investissement publicitaire de l’industrie alimentaire en France : 1,9 milliard d’euros, dont 76 % en télévision.
44 % des Français adultes pensent qu’une pub pour un yaourt aux fruits accompagnée du message « mangez au moins cinq fruits et légumes par jour » signifie que ce yaourt fournit une portion de fruits pour la journée.

Dessin de Lécroart

Au royaume enchanté de la publicité, le chien Pico de Chocapic, les abeilles Miel Pops et leurs joyeux camarades s’amusent comme des fous. Les enfants les adorent. Ils ne savent pas (…) que 87 % des spots diffusés dans les programmes jeunesse font la promotion de produits trop gras ou trop sucrés. Alors, en février 2008, la ministre de la Santé [Roselyne Bachelot] tape du poing sur la table. Terminé, les pubs pour les produits déséquilibrés entre deux dessins animés, annonce-t-elle solennellement. (…) Pas question pour Danone, Nestlé et Kellogg’s, les trois géants de l’alimentaire enracinés dans les émissions jeunesse, d’être privés de ce contact direct avec les jeunes prescripteurs. Les chaînes de télé, les agences de pub et les producteurs de films d’animation montent aussi au créneau. « On va nous couper les ailes ! » clame Emmanuelle Guilbart, la directrice de Gulli, dont 20 % du chiffre d’affaires provient des spots alimentaires. Au terme de ce lobbying tous azimuts, Roselyne Bachelot est dessaisie du dossier (de santé publique, rappelons-le) en faveur de la ministre de la Culture et de la communication, Christine Albanel, qui soutient avec zèle l’audiovisuel… (…)

Selon l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes), 62 % des 8-14 ans demandent à leurs parents d’acheter les aliments vus à la télé, et 91 % d’entre eux les obtiennent. « Quantité de travaux scientifiques, notamment anglo-saxons, prouvent s’il le fallait que l’on mange ce que l’on regarde », assure le nutritionniste Claude Ricour. (…) Aux Etats-Unis, l’obésité prend un tour cauchemardesque. Près d’un jeune Américain sur trois est obèse. Les risques sanitaires explosent : diabète, maladies cardio-vasculaires, cancers … Au point que, pour la première fois dans l’histoire des USA, l’espérance de vie pourrait reculer. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a lancé un cri d’alarme dès 1998. Et pour enrayer ce que l’on nomme « l’épidémie d’obésité » les experts multiplient les recommandations : renforcer l’éducation alimentaire, promouvoir l’activité physique, améliorer la restauration collective et … réduire l’incitation permanente à consommer. (…) En France, cette mesure est préconisée par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) depuis 2000, par l’Agence français de sécurité sanitaire des aliment (Afssa) depuis 2004, par le Conseil national de l’alimentation (CNA) depuis 2006. (…)

Pour écarter l’adoption de mesures trop contraignante le Bureau de vérification de la publicité (BVP), un organisme interprofessionnel d’« autodiscipline publicitaire » [1], s’est décidé à fournir des gages de bonne volonté : en octobre 2003, il recommande aux agences de pub de ne plus « encourager des comportements qui seraient contraires aux principes alimentaires couramment admis en matière d’hygiène de vie ». (…)

L’année suivante (2004), le décret sur les messages sanitaires est voté - il ne sera appliqué qu’en 2007. Les annonceurs, s’ils ne veulent pas s’acquitter d’une taxe de 1,5 % du montant de leurs investissements publicitaires au profit de l’Inpes, doivent parer leurs pubs de bandeaux invitant à « mange[r] au moins cinq fruits et légumes par jour ». (…) « Le consommateur ne risque-t-il pas d’être perdu dans la multiplication des messages parfois contradictoires ? » s’interroge l’Association nationale des industries alimentaires (Ania). On ne le lui fait pas dire. 54 % des personnes sondées l’an passé par l’institut BVA mélangent le sens du message sanitaire et le produit promu dans la publicité. ( …)

Les industriels se décident-ils enfin à agir ? Quelques-uns s’emploient réellement à bonifier leurs recettes. « Mais ces efforts sont très insuffisants, affirme Olivier Andrault, chargé de la nutrition à l’UFC Que Choisir. Surtout quand il s’agit de baisser les taux de sucre et de graisse. » Une dizaine de marques (CocaCola, Mars, Ferrero … ) font même savoir qu’elles quittent les écrans jeunesse, voire clament qu’elles ne cibleront plus les moins de 12 ans à la télé. « Il y a d’autres moyens de communiquer moins polémiques et moins contraignants en terme d’image », précise Jean-René Buisson, le président de l’Ania. Par exemple investir les sites Internet consacrés aux gamins, sponsoriser les fédérations sportives ou organiser des opérations promotionnelles dans les magasins …

Les industriels prétendent désormais œuvrer pour un « meilleur équilibre alimentaire ». (…) « On est passé du « plaisir-plaisir » au « plaisir santé », commente Gabriel Gaultier, directeur de l’agence Leg. On ne vend plus une crème dessert au chocolat, mais une crème dessert avec 4,5 % de lait, parce que c’est bon pour la croissance. » Ainsi Danone a fait du « plus-santé » son choix stratégique de communication. « Quand on utilise la nutrition comme faire-valoir, sans aucune légitimité, j’explose ! s’emporte la nutritionniste Béatrice de Reynal. Prenez le slogan de la pub Nutella, « c’est plein de noisettes et de bon lait pour le petit déjeuner ». Dans un pot de Nutella il y a 13 % de noisettes et 6 % de lait. Le reste, c’est de la graisse saturée et du sucre ! Quant à Chocapic et compagnie, les gens du marketing font croire qu’il s’agit de céréales. En fait, ce sont des croquettes ! L’amidon de la céréale a été industriellement transformé en sucre. Certains poussent le bouchon plus loin en clamant que leurs « céréales » sont riches en vitamines et en minéraux. Mais ce n’est pas en ajoutant des vitamines C dans vos cigarettes qu’elles seront bonnes pour la santé ! » La nutritionniste Dominique Lanzmann-Petithory, douze ans chez Lu avant de claquer la porte, n’a jamais digéré une campagne de promotion pour la barquette abricot. « La pub disait qu’en les mangeant on se nourrit d’abricots. Mais on ingurgite surtout 60 % de sucre ! » (…)

Pourquoi les pouvoirs publics ne piquent-ils pas une grosse colère ? A Bruxelles, la Commission européenne planche sur une loi visant à réglementer les allégations nutritionnelles. Dès juillet prochain, une tablette de chocolat grasse et sucrée ne devrait plus pouvoir proclamer qu’elle est « riche en magnésium ». (…) Le 10 mars dernier, le député UMP Yves Bur, saisissant la loi sur l’hôpital débattue à l’Assemblée nationale, tente à son tour de bouter hors des émissions jeunesse les réclames pour les aliments trop caloriques. Son amendement est rejeté, court-circuité par une simple charte de bonne conduite. Pas inutile - les chaînes s’engagent à créer des programmes pour promouvoir auprès des enfants « une alimentation et une activité physique favorables à la santé » -, mais qui laisse les annonceurs libres de faire ce qu’ils veulent.

« Moralité, en France les intérêts économiques priment sur la santé publique », râle Jean-Marie Le Guen, député PS et médecin. N’empêche, les rapports de force pourraient changer. (…) Car la prise en charge de l’obésité coûte cher à l’Etat (10 à 15 milliards par an). « Seuls les pays qui auront su maîtriser l’épidémie d’obésité préserveront leur système de santé », prédit Laurent Degos, le président de la Haute autorité de santé. (…) Ailleurs, des États agissent, parfois depuis longtemps. Le Québec ne tolère pas que la publicité s’adresse aux enfants de moins de 13 ans depuis 1980, et la Suède aux moins de 12 ans depuis 1991. Le Royaume-Uni a mis en place un cadre législatif en avril 2007. Depuis le 1er janvier dernier, l’Ofcom (l’équivalent de notre CSA) interdit la promotion d’aliments trop riches en matières grasses, en sucre ou en sel sur les chaînes jeunesse ou dans les programmes regardés par les 4-15 ans. Suite à ces mesures, le jeune public verrait 34 % de spots en moins pour des produits déséquilibrés. (…)

Le modèle britannique serait-il l’exemple à suivre ? En France, son adoption reviendrait à bannir l’essentiel des spots alimentaires des écrans jeunesse et au-delà, pendant les tranches horaires où les enfants sont installés en masse devant le petit écran. Trop radical ? Une voie plus progressive est possible. Elle consiste à confier aux pouvoirs publics la charge d’établir, par catégories de produits, des taux de sucre, de gras, de sel au-delà desquels la promotion à la télé serait interdite. Et réduire graduellement les seuils, pour laisser le temps au goût des marmots de s’adapter … et aux entreprises de modifier leurs recettes. Autrement dit, agiter la carotte de la publicité télévisée pour encourager l’agroalimentaire à fabriquer de la nourriture plus saine. (…)

Extraits de Marc BELPOIS, La pub pour les enfants à la télé, Un problème de poids, Télérama, N° 3092, 15 avril 2009, p. 36, 2,30 €.

Voir aussi Entraves scandaleuses à la libre publicité des produits...

Notes

[1] En 2008, le SVP s’est autorebaptisé Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP). Ce n’est pas une autorité administrative mais une association, dont les membres sont des professionnels de la pub et des médias.