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Publié : 9 août 2009
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Les Mots de la crise

(…) L’objectif est de raconter la crise autrement. En prenant de la distance. En déconstruisant les discours de ceux qui nous dirigent, de ceux qui nous informent et de tous ceux qui nous prennent trop souvent pour des naïfs, voire franchement pour des cons. (…)

Philippe Frémeaux, dessins de Gérard Mathieu - Editions Les Petits Matins

ACTIFS

En finance, désigne tout ce dans quoi on peut investir son épargne : actions, obligations, immobilier… Celui qui a beaucoup d’actifs peut rester inactif.

BANQUE CENTRALE EUROPÉENNE (BCE)

N’a pas fait tellement moins de bêtises que son homologue américaine. A la décharge de Jean-Claude Trichet, avouons qu’il était difficile de faire une politique monétaire permettant de soutenir la croissance en Allemagne tout en évitant la formation d’une bulle immobilière en Espagne … Pour le reste, l’anti-inflationniste psychorigide qu’est Jean-Claude Trichet a su dépasser sa nature quand le feu était à la maison ; il est venu au secours des banques autant que nécessaire en créant de la monnaie par wagons entiers. Même Sarkozy (mention « Passable » au bac ES) a fini par s’en rendre compte.

Dessin de Gérard Mathieu (http://www.alternatives-economiques.fr/)

BOUTON (Daniel)

Ancien patron de la Société générale, et donc employeur de Jérôme Kerviel. Après s’être gavé durant des années et des années sans que personne n’y trouve à redire, compte tenu des excellents résultats de sa banque, Daniel Bouton était parvenu à survivre à l’affaire Kerviel et aux pertes astronomiques de sa banque sur les marchés. Il a été bêtement débarqué par son conseil, au motif qu’il s’était accordé des dizaines de milliers de stock-options alors que le cours de l’action Société générale était au plus bas. Daniel Bouton n’aurait pas compris que l’éthique était désormais de retour dans la République sarkozienne.
Reste que, dans ces conditions, on ne comprend pas comment son ancien adjoint Frédéric Oudéa a pu lui succéder, puisque ce même Oudéa s’était accordé pratiquement autant de stock-options que son patron ? Serait-ce que le second est mieux en cours à l’Elysée que ne l’était le premier ? On frémit à l’idée que l’éthique n’aurait au final pas grand-chose à voir là-dedans. En attendant, le Bouton a sauté sans parachute doré, mais rassurez-vous, avec de solides économies et une copieuse retraite.

CHINE

Grand pays d’Asie qui vit en dessous de ses moyens, ce qui lui permet d’accumuler d’important excédents commerciaux. Les réserves financières ainsi obtenues sont prêtées aux Etats-Unis, ce qui a longtemps permis à ce pays de vivre au-dessus de ses moyens.

CRISE

La crise, dans la nosologie médicale, c’est-à-dire l’art de classer les maladies, décrit le plus souvent un état paroxystique peu durable, quelle qu’en soit l’issue : crise d’épilepsie, crise cardiaque. Quant à la fameuse crise de foie - sans rapport au demeurant avec cet organe -, qui résulte de l’ingestion excessive de nourritures grasses et de boissons fortes, elle se tasse généralement après un ou deux jours d’abstinence. En revanche, en économie, la crise est à durée indéterminée. Certaines sont brutales mais limitées dans leurs effets, d’autres durent longtemps et provoquent des conséquences dramatiques, comme ce fut le cas avec la dernière grande crise du capitalisme, celle de 1929.

DÉFLATION

La déflation, c’est l’ennemi public numéro un. Le mot trompe son monde. Sachant qu’on nous serine depuis des années que l’inflation est un cancer qui ronge l’économie et qu’il faut donc à tout prix lutter contre, déflation sonne à l’oreille comme l’inverse de l’inflation, elle semble être un truc super. Eh bien non. La déflation est un mal pire encore que l’inflation. Car ce mot ne décrit pas une situation où l’économie voit l’inflation se réduire- ça, c’est la désinflation -, mais celle où les prix et les revenus baissent, sous l’effet d’une chute de la demande, de l’activité et de l’emploi,
La déflation, quand elle s’enclenche, a des conséquences redoutables : pourquoi acheter aujourd’hui, si cela risque d’être moins cher demain ? Du coup, la demande baisse, et avec elle l’activité, engendrant une montée du chômage, la chute du pouvoir d’achat et une nouvelle baisse de la demande. Autant dire qu’il faut agir résolument quand un tel cercle vicieux menace.

ÉTATS-UNIS

Grand pays d’Amérique du Nord qui vit au-dessus de ses moyens. Les importants déficits commerciaux et budgétaires sont financés grâce à des emprunts souscrits par la Chine, pays qui vit quant à lui au-dessous de ses moyens. La Chine a donc accumulé des milliers de milliards de dollars, qu’il lui faut bien recycler quelque part.

EURO

A évité que la crise ne déstabilise encore plus les économies européennes. Au point que de nombreux autres pays aimeraient aujourd’hui faire partie de la zone euro. Il a aussi permis à certains pays de vivre durablement au-dessus de leurs moyens en s’endettant à bas prix. Plus dure est aujourd’hui leur chute. Moralité : le fameux pacte de stabilité et de croissance n’a apporté ni croissance ni stabilité !

FONDS DE PENSION

Où sont-ils passés tous ces banquiers et tous ces assureurs qui nous expliquaient hier que les fonds de pension (le mot chic pour dire retraite par capitalisation) avaient un meilleur rendement à long terme que la retraite par répartition ? Réponse : ils sont partis avec vos économies.

IMMOBILIER

« L’immobilier, ça ne peut pas baisser. » Conviction collective partagée par le café du commerce et Wall Street jusqu’en 2007.

INCITATION

Les économistes ont leur part de responsabilité dans l’explosion des hauts revenus observée ces dernières décennies. (…) Mais, nous expliquent-ils, les inégalités sont un mal nécessaire quand on veut une économie efficace, car il faut bien récompenser l’innovation, le travail et le talent. (…)
Il faut donc in-ci-ter ! C’est au nom de cette exigence que l’impôt progressif a été constamment réduit au cours des dernières décennies, aux Etats-Unis d’abord, puis en Europe. Une baisse qui a facilité la progression inouïe des rémunérations les plus élevées, l’Etat ayant levé les freins qui dissuadaient les puissants de se sucrer sans limite. C’est ainsi qu’en 2007, John A. Thain, PDG de la banque Merril Lynch, s’est servi une rémunération de 60 millions d’euros, record mondial de l’époque. A ce prix-là, on aurait pu s’attendre à ce qu’il soit fortement incité à gérer sa banque avec talent et à enrichir ses actionnaires. Eh bien, non. Au bord de la faillite, Merril Lynch a été rachetée pour une bouchée de pain par Bank of America en septembre 2008, après la chute de Lehman Brothers, faisant perdre des milliards de dollars à ses actionnaires… Il n’y a aucune justification économique aux plus hauts revenus. (…) Les rémunérations des dirigeants sont fixées par leurs pairs, au sein d’obscurs « comités des rémunérations », dont les membres ont intérêt à se montrer d’autant plus généreux qu’on leur renverra l’ascenseur.
Le niveau des rémunérations les plus élevées n’a rien à voir avec le travail ou le talent. Ceux qui les perçoivent font croire que les flux d’argent qui leur sont liés n’existeraient pas sans leur apport irremplaçable. Les PDG justifient ainsi leurs stock-options mirifiques, les traders, leurs bonus colossaux, et l’élite du foot-ball, ses primes fantastiques … Nous avons vu exploser les inégalités et avec elles la norme morale qui voulait que les revenus des uns et des autres - ouvriers et patrons, caissières et traders - demeurent comparables. (…) La démocratie est menacée quand on laisse s’installer une telle distance entre le revenu du pauvre et celui du riche.
Voir aussi Les revenus fous des PDG

INCITATION (bis)

Question : comment se fait-il que l’immense majorité des cuisiniers, infirmières, enseignants, mécaniciens, conducteurs de bus, aiguilleurs du ciel et même de nombreux chefs d’entreprise font leur travail correctement sans avoir besoin d’être incités à coup de millions ? Et si c’était tout simplement parce que c’est pour eux une condition pour conquérir l’estime de soi et celle des autres.

JARGON

Ce qui est bien dans les mots de la finance, c’est qu’il y a plein de termes abscons. Quand on est journaliste, ça permet de prendre un air docte et donner l’illusion de dominer la question en parlant de hedge funds, d’ABS (Asset-Backed Securities), de CDO (Colletarized Debt Obligations), de CDS (Credit Default Swap) et autres SPV (Special Purpose Vehicles). Allez, je suis sympa, je vous explique ce qu’est un SPV : c’est le « véhicule » (la structure) ad hoc à durée de vie déterminée qui, dans un montage de titrisation, a pour objet de détenir le portefeuille d’actifs sous-jacents et d’émettre des titres représentatifs de ce portefeuille. Ça va ? C’est plus clair comme ça ?

MARX

Karl Marx avait raison : le communisme est l’avenir du capitalisme. Ce n’est pas Hun Jintao, secrétaire général du Parti communiste chinois et président du seul pays dont la croissance est demeurée supérieure à 5 % en 2009, qui me contredira !

Dessin de Gérard Mathieu (http://www.alternatives-economiques.fr/)

PARADIS FISCAL

Le paradis fiscal n’a pas bonne presse. Certains l’accusent de favoriser le blanchiment d’argent sale, de permettre aux banques de développer des activités à haut risque en échappant à tout contrôle, aux multinationales d’y faire transiter l’argent de la corruption et une partie des revenus de leurs dirigeants. Tout cela n’est-il pas un peu excessif ? Pour en avoir le cœur net, nous sommes allés interroger un spécialiste des paradis fiscaux qui a préféré garder l’anonymat : « Ah que le paradis fiscal, c’est indispensable à la liberté du créateur, de l’artiste. Ah que, si vous interdisez les paradis fiscaux, est-ce que ça vaudrait encore le coup de travailler plus pour gagner plus ? De chanter au Stade de France pour ma première tournée d’adieux ? Ah que, quand j’étais jeune, j’ai goûté aux paradis artificiels, ah que maintenant, vraiment, je préfère les paradis fiscaux. »

Extraits de Philippe Frémeaux, Les MOTS de la crise, Alternatives Économiques, n° 282, juillet-août 2009, p. 47, 4,50 €.

ou de Philippe Frémeaux,dessins de Gérard Mathieu Petit dictionnaire des mots de la crise, Editions Les Petits Matins, 12 €.