Ôªø Sornettes - De la crise à la guerre ?

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Publié : 30 septembre 2009
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De la crise à la guerre ?

S’imaginer que la majorité de la planète va se contenter de regarder la vitrine du magasin de la globalisation sans vouloir y entrer, si nécessaire par la vitrine, est une aimable utopie.

G.M.B. Akash - Panos/Réa

Pendant que les économistes disputent de la sortie de crise, les géopoliticiens s’interrogent, précédents historiques à l’appui, sur son rapport à la guerre. Ils ont un peu de temps devant eux. Car, si l’on accepte l’idée d’une relation de causalité entre la récession des années 1870 et la Première Guerre mondiale, ou entre 1929 et la Seconde, il faut prendre acte d’une latence d’une à trois décennies dans son actualisation. Se poser une telle question a l’avantage de montrer qu’elle n’est pas simple.

De quelle crise parle-t-on ? Si c’est de celle du néolibéralisme, elle n’a pas éclaté l’année dernière, mais, au moins en Afrique, dès les années 1980-1990 avec l’échec des programmes d’ajustement structurel. Son lien avec la guerre est alors assez clair. Mais de quelle guerre parle-t-on ? Des conflits de « basse intensité » qui tuent des centaines de milliers de victimes civiles sans déranger ou d’un nouvel embrasement interétatique généralisé ?

Trois cas de figure se présentent. Des historiens économistes ont dégagé la responsabilité des politiques anti-migratoires des Etats-Unis, à partir des années 1880, dans la préparation de la Première Guerre mondiale. S’ils ont raison, nous y sommes. La disjonction entre l’intégration des marchés internationaux des biens et des capitaux, d’une part, et le cloisonnement policier et militaire du marché international de la force de travail, de l’autre, nous conduit dans le mur. S’imaginer que la majorité de la planète va se contenter de regarder la vitrine du magasin de la globalisation sans vouloir y entrer, si nécessaire par la vitrine, est une aimable utopie. Cette guerre a peut-être déjà commencé en Afghanistan, car l’une des bases sociales et financières des talibans est la diaspora pachtoune et baloutche dans le Golfe. Or l’Otan l’a déjà perdue.

Autre hypothèse : une guerre classique entre des Etats. Le recul des cours du gaz et du pétrole rendrait plus agressive encore la Russie de Vladimir Poutine, déjà aux abois. Si la Chine tombe à son tour dans la récession, face à un Japon qui y végète, les vieux démons du nationalisme se réveilleront. Et la Corée du Sud, qui moins que jamais ne sera pas prête à payer le prix exorbitant de la réunification, sera livrée au chantage atomique de Pyongyang. Enfin, précisément, y a-t-il un rapport entre la crise et la prolifération ? Dans le cas iranien, non. Mais si Téhéran se dote de la bombe et si l’Europe, en proie au chômage, ferme définitivement la porte à la Turquie, cette dernière n’aura d’autre choix que la stratégie du chevalier seul, dans son armure nucléaire.

Reste que la question laisse dans l’ombre un problème autrement immédiat : celui de la banalisation d’un Etat policier qui, au nom d’une définition de la « sécurité » aussi élusive que totalitaire, nous enserre dans les mailles de la surveillance et répond par la prison à la pauvreté.

Jean-François BAYART, [1], De la crise à la guerre ?, Alternatives Économiques, n°283, septembre 2009, p. 28, 3,80 €.

Notes

[1] Jean-François Bayart, chercheur au CNRS (Science Po-Ceri)