Ôªø Sornettes - Le Touriste

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Publié : 17 octobre 2009
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Le Touriste

On ne trouve le Touriste dans aucune autre espèce. (Sauf chez certains chiens abandonnés - parfois, d’ailleurs, abandonnés par le Touriste lui-même.) C’est donc un animal typiquement humain qu’il convient de ne pas confondre avec l’oiseau migrateur.

Editions Julliard, Paris, 2009

(…) Longtemps, le Touriste fut un simple nomade. Il ne voyageait pas du tout pour le plaisir. Se déplaçant à pied avec un bâton, à dos d’âne, de mulet ou de cheval barbu et minuscule (Prjevalski [1]), il ne s’intéressait nullement au paysage. Il pâturait.

Ce n’est qu’avec l’apparition, tardive, du dilettantisme, de la réduction du temps de travail et de l’élevage en batterie qu’il commença à s’ennuyer et décida d’aller régulièrement « faire un tour ». Ailleurs.

Le Touriste est allemand, français, suédois, hollandais, italien, japonais, chinois, belge ou luxembourgeois, mais, quelle que soit sa nationalité, il est essentiellement étranger.

Observons l’espèce dans la nature.
Le Touriste est spécialement insupportable en groupe. Il rit très fort à de mauvaises plaisanteries. Il méprise l’autochtone dont il dénigre la nourriture « de sauvage ». Il a grand tort. L’autochtone rit sous cape et rajoute du piment dans les plats : le Touriste en groupe attrape la tourista.

Le Touriste en groupe a généralement tout vu. Au moins à la télévision. Le Grand Canyon du Colorado, la Grande Muraille de Chine ou le désert du Kalahari ne l’impressionnent pas plus que ça. Il est même vaguement déçu par les chutes du Niagara et par le mont Fuji. La tour Eiffel, le pont du Gard, Windsor ou la porte de Brandebourg, c’est tout de même autre chose. « Restons français (anglais, allemands, italiens, espagnols … ) » est son principe de base.

(…)Le Touriste en solo déteste le Touriste en groupe, qu’il fait semblant de ne pas comprendre quand il parle la même langue que lui. Le Touriste en solo est profondément humilié de tomber sur la gardienne de son immeuble à l’île Maurice.

Les progrès du commerce et de l’industrie du tourisme font que le Touriste est de plus en plus nombreux et qu’on le retrouve dans les endroits les plus surprenants. Il passe par une agence, qui l’oriente vers un « tour-opérateur », qui lui promet un bungalow à six ou sept étoiles sur une île déserte. Les prestations prévues par contrat ne sont pas toujours honorées. La compagnie de charters dépose son bilan. Le Touriste arrive en retard à l’usine.

Le Touriste voyage en avion, en train, en paquebot, en car, en pousse-pousse. Le Voyageur se déplace en Land Rover. Le Voyageur déplie d’imposantes cartes d’état-major sur le capot de son 4 x 4 et rédige un journal de voyage. Le Touriste recopie ses « meilleures pensées des tropiques » sur dix cartes postales, au comptoir de la réception de l’hôtel, et feuillette un guide touristique. On voit bien la différence.

(…)L’industrie du guide est florissante car le Touriste est friand de bonnes adresses et tient à avoir l’air de savoir où il va, à défaut de réussir à se faire passer pour un Voyageur.
Il y aura bientôt autant de guides que de touristes. Il ne manque plus qu’un guide des guides, une sorte de guide suprême. Quoique chacun tienne pour le meilleur son guide préféré. On adhère à un guide comme à une secte.
(…)Le Routard proprement dit est un touriste jeune augmenté d’un sac à dos, qui n’a presque plus de thune, attend un mandat de sa maman qui tient une mercerie dans le Puy-de-Dôme, et va rater la rentrée universitaire.

Le Touriste Organisé est nettement plus âgé. Devant le Colisée, il s’inquiète du repas de midi. Encore des pâtes !

(…) Le Touriste Littéraire - autrement nommé Écrivain Voyageur - rédige la plupart de ses ouvrages à l’abri des coups de mer, dans un bistrot de Saint-Malo.

Le Touriste Uniforme, ou Touriste Grand Ordinaire, déboucle sa ceinture avant l’arrêt complet de l’avion, rallume son téléphone mobile, retire son chandail et enfile une chemise hawaïenne.

Naturellement, il ne faudrait pas croire, sur cette planète nous sommes tous d’une façon ou d’une autre des touristes. Des types de passage.
Et vous aurez sûrement remarqué comme moi que certains d’entre nous, sans même user jamais du moindre titre de transport, ont l’air de ne faire que passer. De se promener en touristes dans leur propre vie.

Si au moins ils ramassaient leurs emballages, leurs canettes vides et leurs cartouches !

Extrait de Jacques A. BERTRAND, Les autres, c’est rien que des sales types, Éditions Julliard, 2009, p.15, 15 €.

Autre extrait de Jacques A. Bertrand, Mariages blancs.

Jacques A. BERTRAND est complice de la célèbre émission « Les Papous dans la tête », le dimanche de 12h45 à 13h58" sur France Culture.

Notes

[1] Le cheval de Prjevalski serait l’un des précurseurs du cheval domestiqué.