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Publié : 6 novembre 2009
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Un système fiscal de plus en plus injuste

Depuis dix ans, le poids des impôts progressifs a beaucoup reculé. La suprématie du discours libéral et la concurrence fiscale ont amené les États à limiter fortement la progressivité de leurs systèmes fiscaux.

Les trois types de fiscalité : On distingue trois façons d’asseoir un impôt, reflets de choix sociaux différents .

La capitation

ou poll tax.

Le montant des impôts à acquitter est le même pour tous les assujettis quels que soient leurs revenus. Une injustice manifeste. Dans le système fiscal français, la redevance audiovisuelle s’y apparente cependant. En décidant de rétablir en 1990 un impôt de ce type comme base de la fiscalité locale au Royaume-Uni, Margaret Thatcher, ex-Premier Ministre ultralibéral, a précipité sa chute.

L’impôt proportionnel

ou flat tax.

Les assujettis sont taxés proportionnellement à leurs revenus ou à leurs dépenses. La taxe à la valeur ajoutée (TVA), les cotisations sociales ou la contribution sociale généralisée (CSG) sont des prélèvements de ce type. Certains États ont transformé l’impôt sur le revenu en flat tax à taux unique, supprimant toute progressivité. C’est le cas de la Bulgarie, de la Roumanie, de la République tchèque et de la Slovaquie.

Le système fiscal français se caractérisait déjà par une domination écrasante des impôts proportionnels, comme la TVA [1], la contribution sociale généralisée (CSG) et les cotisations sociales. Les mesures adoptées sous le gouvernement de Jospin ont ouvert la voie à la remise en cause des impôts progressifs. Brèche dans laquelle s’engouffre en particulier de Villepin, avec la refonte en 2005 du barème de l’impôt sur le revenu. D’apparence très technique, cette réforme a eu en réalité un effet redistributif massif : (…) Globalement, les 10 % des Français dont les revenus sont les plus élevés se sont partagés 40 % des baisses d’impôts …

Parallèlement, cette réforme a institué le fameux bouclier fiscal [2], que Sarkozy a renforcé en 2007 en l’abaissant de 60 % à 50 %. Un bouclier qui a permis à 834 contribuables parmi les plus riches (leur patrimoine est supérieur à 15,5 millions d’euros) de recevoir chacun un chèque de 368 261 euros en moyenne de leur percepteur en 2008 … (…)

http://www.pelerin.info/article/index.jsp ?docId=2327157&rubId=9198

Au-delà, les niches fiscales [3] sont un véritable sport national. Il n’est pas en soi illégitime que la puissance publique cherche à orienter les comportements des citoyens à l’aide d’incitations fiscales, comme par exemple la possibilité de déduire de ses revenus les travaux réalisés pour mieux isoler les logements, mais leur multiplication tous azimuts leur fait perdre tout sens. Au bout du compte, le système fiscal français se caractérise en effet par la cohabitation de taux d’imposition théoriques relativement élevés et d’une foule d’exemptions. Ce qui aboutit à ce que certains - peu nombreux - paient « plein pot », tandis que nombre d’autres, aux revenus pourtant souvent plus élevés que les premiers, ne paient pas grand-chose. Pas de quoi faciliter le « consentement à l’impôt », essentiel dans une démocratie … (…)

Et il ne s’agit pas uniquement de bricoles : les 100 contribuables qui profitaient le plus de l’existence de ces niches ont économisé en moyenne 1,13 million d’impôts chacun en 2007 ! Avec ce résultat absurde que certains des Français qui ont touché les revenus les plus élevés parviennent à ne payer strictement aucun impôt sur le revenu ! Devant ce scandale (et sous la pression d’une situation budgétaire dégradée), les députés ont adopté l’an dernier un plafonnement de ces niches : chaque contribuable n’aura plus droit qu’à un maximum de 25 000 euros + 10 % de son revenu comme réduction d’impôt. Un retour à la sagesse qui ne demande qu’à être accentué.

http://www.pagesdegauche.ch/index.php ?option=com_myblog&category=socialisme&Itemid=44

L’impôt progressif

Plus les revenus sont élevés, plus la part de l’impôt l’est également. Cette manière de procéder est évidemment la plus juste : moins les revenus sont importants, plus le prélèvement - même minime - menace la satisfaction de besoins fondamentaux. L’impôt progressif est cependant récent : il ne s’est imposé véritablement qu’après la Seconde Guerre mondiale. Il est mis en œuvre en France à travers l’impôt sur le revenu, l’impôt de solidarité sur la fortune et l’impôt sur les successions.

Au-delà des difficultés croissantes pour équilibrer les finances de l’État et assurer les actions publiques indispensables, quel effet a eu le recul de l’impôt progressif ? Il entretient un lien étroit avec la remontée spectaculaire des inégalités mise en évidence par l’économiste Camille Landais : entre 1998 et 2006, les 90 % de Français « ordinaires » ont vu leurs revenus s’accroître de 4,6 % seulement, inflation déduite, tandis que le millième le plus riche gagnait 32 % de pouvoir d’achat !

Or, faciliter l’accumulation puis la transmission de patrimoines fabuleux contribue à figer les positions sociales. Cela empêche en effet les véritables innovateurs de se faire une place au soleil. Alors que les héritiers possèdent rarement les qualités qui ont fait de leurs ancêtres des entrepreneurs à succès. Pour cette raison, les vrais libéraux sont toujours partisans d’un impôt sur les successions élevé … De plus, la possibilité de conserver des revenus colossaux faute d’imposition suffisante a joué un rôle majeur dans les dérives qui ont conduit à la crise actuelle, à cause des risques inconsidérés pris par les dirigeants dans les grandes entreprises ou par les investisseurs sur les marchés financiers.

Et maintenant ? Va-t-on enfin réhabiliter l’impôt progressif ? Il existe manifestement une volonté de s’attaquer au maquis des niches fiscales. Reste à voir si elle se traduira réellement en actes. Mais il faudrait aller bien au-delà : supprimer le bouclier fiscal, créer de nouvelles tranches pour rehausser fortement les taux marginaux de l’impôt sur le revenu, rendre à l’impôt sur les successions sa fonction de redistribution des patrimoines … , tout cela, au besoin, en échange de l’abandon d’un ISF qui, faute d’assiette suffisamment large, n’a jamais trouvé de véritable légitimité.

D’après Guillaume Duval, Un système fiscal de plus en plus injuste, Alternatives Économiques, n°284, octobre 2009, p. 8, 3,80 €.

Voir aussi : L’indispensable justice fiscale, selon un ancien PDG, Manifeste d’économistes atterrés et Pour une révolution fiscale.

Notes

[1] Contrairement à une idée reçue, la France est en réalité l’un des Etats européens qui taxent le moins la consommation. Dans ce contexte, la baisse de la TVA sur la restauration, appliquée depuis juillet dernier, apparaît comme un gâchis majeur s’agissant d’une activité qui n’est pas délocalisable.

[2] Bouclier fiscal : mécanisme plafonnant le pourcentage total des revenus d’un ménage qui peut être perçu au titre de l’impôt.

[3] Niches fiscales : allégements fiscaux ciblés sur certaines catégories de contribuables.