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Publié : 6 décembre 2009
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Féminin - Masculin

La rumeur dit que la question qui a été posée à propos des Indiens l’a aussi été pour les femmes : Ont-elles une âme ?

Éditions de la Chronique Sociale

On peut apporter une explication psychologique à cette question masculine délirante. Puisque dans la vie, alors souvent brève et pressée par l’angoisse de la mort et de l’enfer, la croyance que le salut de l’âme et sa place au Paradis dépendaient de la domination des désirs charnels, la femme représentée par Ève, la tentatrice mythique, apparaissait comme l’envoyée de Satan, celle à laquelle il fallait résister. La mécompréhension du langage symbolique a fait des ravages au point de vue religieux (images et récits symboliques pris à la lettre, dogmatisation, disputes théologiques, croisades, guerres de Religion, etc.). Elle a aussi eu une influence historique indéniable sur la représentation de la femme. A-t-elle une âme ? N’est-elle pas une sorcière ? Ève, à elle seule, a plus fait pour nuire à la représentation de la femme que toutes les figures masculines négatives du mythe biblique, Satan compris, ne l’ont fait pour l’homme. Car l’Être suprême dans les trois religions du Livre est représenté au masculin. Quelque effort qu’ait fait l’Église catholique pour la diviniser, Marie n’a pas rétabli la balance ! Le clivage masculin-féminin est manifeste dans le mythe biblique : ses inspirateurs, ses prophètes, ses apôtres, tout comme les exégètes de la tradition, étaient des hommes dont la préférence masculine, patriarcale, se lit dans l’énumération de la généalogie du Christ où n’apparaît, dans l’Évangile de Luc, le nom d’aucune ancêtre-mère, et quatre noms sur quarante dans celui de Matthieu …

Dans cette optique, l’interprétation littérale des symboles bibliques fait apparaître Ève comme celle par qui le chuchotement du serpent a le plus de chance d’être entendu : ce qui porte à plaindre Adam, l’homme qui s’interroge, hésite, et qu’Ève, la femme, fourvoie.

Une telle interprétation a pu durer des siècles tant que le créationnisme biblique semblait aller de soi et que la répression des désirs charnels constituait un idéal imposé par un dieu réel pour assurer le Salut. Cette culture s’entretenait avec plus ou moins de conviction dans les monastères où l’extrême sobriété et l’absolue chasteté étaient de règle.

Payot & Rivages

La mécompréhension du langage symbolique, son interprétation littérale a fait d’Ève une femme réelle, alors qu’elle est un symbole d’une fonction commune aux hommes et aux femmes : l’imagination, qui peut être inventive et créatrice ou devenir « la folle du logis ». Encouragée par le serpent, symbole de l’esprit trompeur, l’ imagination se laisse aller à exalter les désirs - symbolisés par la pomme - et s’en justifie (« Tu seras pareil à Dieu ! »). (…)

Ce choix d’une figure féminine pour symboliser l’exaltation imaginative des désirs démontre donc que ces récits mythiques ont été inspirés, ou transmis et interprétés, par des hommes. On peut imaginer qu’en d’autres cultures, matriarcales, Adam aurait pu être présenté comme le tentateur… (…)

Le mérite de la Psychologie de la motivation [1] est de sauver le récit biblique de l’interprétation littérale qui en déforme le sens profond. Elle nous recentre sur l’universalité de la signification des récits symboliques. Adam n’est plus l’image de l’homme réel, ni Ève de la femme réelle. Adam est le symbole de l’être humain, homme ou femme, que l’imagination, Ève, peut abuser, surtout si elle écoute le serpent, symbole de la tendance à la fausse justification qui peut nous enfoncer dans la croyance, par exemple, que nous sommes supérieurs parce que nous sommes nés hommes ou supérieures parce que nées femmes. (…)

La virilité

Payot & Rivages

La psychologie diélienne nous fait comprendre que toute vraie qualité peut se décomposer en deux contre-qualités : l’acceptation se décompose en résignation pseudosublime ou en indignation exaltée, l’amour en hypersentimentalité ou en haine.

Ainsi en va-t-il de la virilité dont on sait qu’elle est facilement assimilée à l’agressivité ou à la brutalité : on lui oppose la douceur, qualité réputée féminine, que l’on confond souvent avec la passivité ou la soumission. Ces représentations stéréotypées constituent en réalité un double piège où les femmes comme les hommes peuvent se laisser prendre.

Un dictionnaire ordinaire peut nous aider à le déjouer, pour peu qu’on le lise avec un regard critique. On peut y lire : « Virilité, qui a les caractères moraux qu’on attribue à l’homme : courageux, énergique, actif » .

Question au Petit Larousse : ces caractères moraux ne conviennentils pas également à la femme ? Ne fût-ce que pour supporter l’homme dont l’arrogance infantile, ou plutôt pubère, est prise pour virilité ! Cette pseudovirilité s’élabore en effet à l’âge où le sujet est porté à se valoriser à partir de ses muscles, de la vanité qu’il greffe sur la différence de force physique, sur sa capacité de l’emporter sur l’autre.

La vraie virilité, la maturité, se caractérise par une puissance plus fondamentale : non celle du muscle mais celle de l’âme et de l’esprit. La virilité, ainsi comprise, trouve à s’exercer dans les situations difficiles de la vie. Mais elle peut être aussi, quotidiennement, la force de nous guider nous-mêmes, sans soumission ni domination, dans les difficultés « minimes » de la vie relationnelle. (…)

« La virilité n’a rien à voir avec la différence des sexes. Elle est accessible autant à la femme qu’à l’homme. Elle dépend de l’esprit valorisateur capable de s’opposer aux fausses valorisations conventionnelles. » (…)

Des étiquetages comme « sexe fort » ou « sexe faible » apparaissent alors dans toute leur inanité. Il n’y a pas de sexe fort ou faible. Il n’y a que la force ou la faiblesse avec laquelle chaque individu, homme ou femme, mobilise ses potentialités humaines et tente d’assumer lucidement et courageusement la condition humaine.

Il a fallu aux féministes être courageuses, énergiques et actives, pour retrouver la juste estimation d’elles-mêmes, leur liberté de sujets et de citoyennes. Pour affirmer l’universel et assumer le spécifique. L’anatomie ne décide pas du destin, elle le colore. Le destin est commun : homme ou femme, chacun est individuellement responsable de ce qu’il devient et de ce qu’il fait pour le devenir commun. La virilité c’est la force qui permet d’avancer sur ce chemin. (…)

Il faut, pour conclure, reconnaître que le terme féminisme garde une connotation de rivalité avec l’homme (il existe beaucoup de courants féministes). Aussi, certaines femmes, fidèles à une émancipation authentique où l’universel et le spécifique se fécondent mutuellement, se démarquent du féminisme rivalitaire qu’elles nomment hyperféminisme. (…)

Il y a deux sexes, mais il n’y a qu’une humanité.

Extraits de Armen TARPINIAN, Vivre s’apprend…, Éditions de la Chronique Sociale, 2009, p. 71, 15,90 €.

Voir aussi La fin des religions et Femmes : deux siècles de bagarres.

Notes

[1] Paul DIEL, Psychologie de la motivation, Payot & Rivages, Petite Bibliothèque Payot, N° 66, 2002, 10,50 €.