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Publié : 15 octobre 2010
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Louis DUBOST, « Un merle siffle et persifle »

Louis DUBOST

LA PART DU MERLE
(Élucubrations potagères)

« …tu préfères maintenant écrire des poèmes sur tes légumes, tu aimes manger les mots, les faire rouler dans ta bouche comme une fraise une cerise ou un noyau de pêche ou d’abricot, tu aimes aussi les découper les charcuter et les coller ensemble pour fabriquer des monstres mots maux… »
Lucien Suel, Mort d’un jardinier, éd. Folio/Gallimard

«  Si vous possédez une bibliothèque et un jardin, vous avez tout ce qu’il faut ».
Cicéron

« Tout le bizarre de l’homme, et ce qu’il a en lui de vagabond et d’égaré, sans doute pourrait tenir dans ces deux syllabes : jardin ».
Louis Aragon, Le paysan de Paris

« Va dans le vert jardin, bois-y du vin clairet :
Bien longtemps après nous, revivra la verdure
 »
Omar Khayyam

« … tu aimes l’idée de Wittgenstein, que la solution au problème de la vie est de vivre de façon à supprimer le problème, tu crois avoir trouvé la bonne méthode en cultivant ton jardin… »
Lucien Suel, Mort d’un jardinier, éd. Folio/Gallimard

Cul du jardinier

Accueil,

dès l’entrée du jardin, on aperçoit, devant l’épouvantail, un chapeau posé sur un pantalon rebondi avec de chaque côté des manches — chemise et sarclette — à ras de terre qui s’agitent. On reconnaît bien là le jardinier à la familiarité de son bonjour :
il vous montre son cul.

Les abeilles

à la mi-juin vrombissent dans le tilleul. A qui mieux mieux les « avettes pillotent », comme les appelait Ronsard, et transportent le pollen, fabriquent le nectar, font miel de la vie en fleurs. Et pourvu que ça dure ! En effet, comment ne pas songer à la malédiction d’Albert Einstein annonçant la disparition de l’humanité cinq années seulement après celle de l’abeille [1].

Des abeilles

s’envolent, d’autres se posent sur les mains et les bras nus de l’enfant accroupi contre la ruche. Il se tient immobile, seuls ses yeux suivent la sarabande compliquée et mélodieuse des insectes A cinq ans, il communie avec l’innocence du monde. La grand-mère se garde bien d’approcher, elle l’appelle d’une voix inquiète. Alors, il se lève tout doucement et à regret. L’enfant n’a pas une seule piqûre d’abeille. Mais la grand-mère pique une colère et lui flanque une cinglante fessée. Je m’en souviens encore.

L’abricot

provoque la dent qui croque ses « fesses d’ange », comme écrit Francis Ponge. Et si l’ange met le diable au corps, j’aime ça. Voilà.

L’ail

serait bien plus efficace que l’EPO pour stimuler les performances de nos athlètes, et surtout il ne laisse pas de trace dans les urines. Ah ! Contador l’asthmatique, Bousquet l’hémorroïdaire et consorts diversement patraques, si vous l’aviez su !

L’ail

aurait été à l’origine de la première grêve générale dans l’histoire de l’humanité : les esclaves égyptiens ont refusé de bosser à la construction des pyramides parce que le Medef de l’époque leur avait sucré la quotidienne ration d’ail. Aujourd’hui, les mangeurs d’ail sont trois millions dans la rue.

L’ail,

dit-on, est la cocaïne des pauvres. Toutefois, est-ce bien un condiment ordinairement consommé au Fouquet’s ? sur le yacht de Bolloré ? au Cap Nègre ? Tu m’emmerdes avec ces questions, casse-toi pue-de-la-gueule !

L’ail

barre la route aux danseurs de slow, c’est du moins l’alibi qui prétend disculper les vieux garçons et les jeunes veufs dans notre bocage. Ce n’est pas l’avis des Fabulous Trobadores qui chantent que, du côté de Lautrec, les jolies filles « ne se sentent pas gênées / De fleurer l’ail aborigène / Même quand elles vont flirter ! » Allons, debout les gars et faites voltiger les jupes et le mauvais sort !

L’ail éléphant,

l’ail géant qu’on trouve notamment au Québec, fait rêver le jardinier. Cette variété, cousine du poireau, aurait une tête de presque 500 g et des caîeux gros comme des œufs de poule. Gaston, qui s’est longtemps occupé d’éditer des poètes à Trois-Rivières, a chargé Maryse de m’en dénicher quelques bulbilles à semer d’ici fin octobre.

L’amarante

pourpre, elle nargue le ciel de ses quelque deux mètres, mais reste plus près de la terre lorsqu’elle est réfléchie. Chaque printemps, des milliers de plantules rouges violacées à sarcler pour n’en laisser que quatre ou cinq qui encadrent l’épouvantail. A l’automne, on coupe les plumets qu’on laisse sécher pour récolter les graines noires et scintillantes, incorporées ensuite dans le pain fait maison. Plante sacrée des Incas, elle est réfractaire au Round-up : cultiver sa colère écarlate, c’est faire assurément un doigt d’honneur à Monsanto. 

« Un arrosoir

voltairien », bien jolie formule de Robert Pinget dans Monsieur Songe. Comme un paradigme approché de la condition humaine : Candide et Pangloss, « après avoir résolu de ne plus être heureux » dans un Eldorado insupportable d’ennui, se consacrent désormais au bonheur difficile de cultiver leur jardin.

L’artichaut

fait le désespoir d’un cœur amoureux. C’est sans doute à cause que Zeus, très vert galant, après avoir fait de la nymphe Io une vache, a métamorphosé la frivole Cynara en artichaut. De là vient cette impression pas déplaisante du tout qu’en effeuillant le légume dans l’assiette on prend part à une savoureuse partie de strip-tease.

L’aubergine

ronde ou allongée, violette ou albinos, affable et ferme, elle passe l’éponge sur l’infraction d’un merle bien étourdi. Tout ça, parce que c’est elle qui règle en été la pendule de la cuisine à l’heure orientale : caviar, moussaka, ratatouille, baba ganousch, pakoras… Et les préliminaires d’une sieste coquine n’ont cure de l’horodateur : les seins de la merlette s’accordent à la langue aventureuse, « délicieusement / longs comme des aubergines » (James Sacré).

Le basilic

trône en altesse royale et pacifie la cour des grands : choux, courges, haricots, tomates. Dieu n’est peut-être pas son cousin, encore qu’il ait ses habitudes chez Vichnou et Krishna et que l’Achéron lui ouvre un gué vers les repaires infernaux. Ce que le musicien Orphée sut habilement mettre à profit pour rejoindre son Eurydice après avoir avalé en guise de viatique un fameux plat de spaghettis au pistou.

Le blues du jardinier

même un jardin, ça attrape des maladies. Un jour, Papy, s’est foutu en colère en pissant sur le tas de compost. Je l’avais jamais vu comme ça, peut-être même qu’il était un peu bourré, après la visite de son copain Benoist avec qui il avait descendu une bouteille de rouge. Il gueulait contre ces saloperies de bestioleries, je sais pas trop quoi au juste, aleurodes, altises, anguillules, anthonomes, bruches, cécidomyies, chrysomèles, ollemboles, criocères, doryphores, forficules, mouches blanches, grises, jaunes…, noctuelles, otiorrhynques, phytoptes, piérides, pucerons noirs, gris, blancs…, punaises, tarsonèmes, teignes, tenthrèdes, tétranyques, tipules, tordeuses, et ces cochonneries de thrips qui sucent la sève, le sang, l’élan vital… des aubergines, choux, laitues, pois, haricots, fraisiers, groseilliers, oignons, betteraves, pommes de terre, oseille, melons, poivrons, tomates, rhubarbe… et toutes sortes d’acariens, aptères, asticots, charançons, chenilles, coléoptères, hyménoptères, puces de terre et autres vers et vermines… malgré des marmites de décoctions, des barriques de macérations, des hectolitres de purins… d’ortie, presle, consoude (de Russie !), rhubarbe, camomille, et même de… tabac à pipe ! Tout ça pour rien de rien !
(extrait de : On a mis Papy dans le coffre de la voiture, éd. Le bruit des autres, 2009)

Le cannabis,

un vététiste met pied à terre et aboie, inquisiteur :
« — C’est interdit, ce que vous avez là !
— T’es flic peut-être, sûrement pas jardinier ! Viens voir ! »
Je lui désigne cinq grands seaux remplis de purins : ortie, consoude,prêle, rhubarbe et cannabis.
« — Ça pue la merde, fait-il en désignant le dernier.
— Ça envoie les pucerons dans le grand trip, ils n’en reviennent pas ! Et tu fumerais ça ? Pas moi ! »

La carotte

n’est pas seulement l’un des sex-toys préféré de jeunes moniales encanaillées sous le soleil de Satan, c’est d’abord un légume qui s’enracine dans la plupart des potagers de la planète, comme une sorte de nostalgie universelle de l’Eden originel de l’humanité, un peu avant qu’Eve n’entreprit de cultiver la carotte d’Adam. Cela n’étonnera donc personne si les chinois en produisent presque dix millions de tonnes par an, sans que pour autant il faille induire hâtivement une quelconque influence du carotène sur la couleur de leur peau (ont-ils les fesses roses ? ) ni sur leur légendaire amabilité. Ces considérations n’éprouvent guère la patience quasi taoiste du jardinier agenouillé en train d’éclaircir et désherber deux rangs de ce légume escortés de poireaux, tout en rêvant de bœuf-carottes et de beaujolais compagnon plutôt que de fadasses racines râpées. 

Le céleri

est un ami qui ne veut pas que du bien aux exquises top-models : il consomme certes plus de calories qu’il n’en apporte, c’est bon pour la ligne. Or, c’est non sans risque pour ces demoiselles adeptes de la bronzette prolongée sur la plage : la rave en rémoulade ou les branches grignotées à l’apéro convertissent parfois le hâle escompté des cuisses en cuissots rescapés d’un méchoui. Lesquels toutefois, servis accompagnés de côtes de céleri braisé et d’un côtes-du-rhône long en bouche, se laissent entreprendre plutôt gentiment.

Les cerises,

napoléons et burlats, on s’en est goinfré jusqu’à en avoir mal au ventre. Et mis en réserve pour l’hiver : confitures ou bien dénoyautées et congelées. Le merle a eu sa part, pas la plus mince.

Des chenilles

de toutes les tailles, de toutes les couleurs, et toutes très trop voraces. J’ai cependant ma préférée, qui sévit dans les carottes, aux anneaux d’un lumineux vert pomme constellé de petites taches oranges et noires ; sacrifier quelques fanes de carottes se justifie sans réserve : elle prépare son envol de machaon. Mais les autres qui infestent les choux, par exemple ? J’applique (et là, sans remords aucun) la recommandation que Paul Chaulot [2] adressait au jeune poète que j’ai été : « Echenillez ! Echenillez ! ». Au fond, les choux et les poèmes, ça se cultive un peu pareil.

Des choux,

jeunes plants de tête-de-pierre dans leur motte de terreau, je les repique avec une poignée de compost bien mûr, puis après les avoir arrosés les calfeutre d’un paillage de consoude. Et, dans la tête, le rythme lancinant de La Chanson de Prévert, de Gainsbourg alias Tête-de-chou, qui me le prend pour la journée.

La citrouille

fait la fête au Potager extraordinaire de La Mothe-Achard. Cette année, le record à battre est un potiron de 553 kg, sachant que le recordman d’Europe, Medhi Daho, a déjà produit un spécimen de 719 kg ! C’est assurément un confortable et coquet carosse pour espérer draguer Cendrillon.

Des citrouilles

font la renommée d’une région de l’Autriche où l’on récolte les graines (j’ai oublié de quelle variété il s’agit) pour faire de l’huile, comme je l’ai appris par un reportage à la télé. Tandis que sa fort accorte épouse prépare un gâteau, le mari tout en mâchant des graines séchées chuchote en aparté à l’oreille du journaliste : « C’est bien mieux que le viagra ! »

Une année à coccinelles,

c’est l’aubaine d’une année sans pucerons, pour peu que les syrphes, les chrysopes et autres lions des pucerons accourent à la rescousse et profitent de la curée. Le grand ménage du printemps ! La mécréance affichée du jardinier manifeste une faiblesse dévôte, que je reconnais bien volontiers !, à l’égard de la bête à bon Dieu aux élytres écarlates piquetées de sept points noirs. Faiblesse momentanée, vite rejetée aux orties, lorsque radios et télés font leurs choux gras des nuages de coccinelles qui assaillent les estivants sur les plages, et franchement rigolarde lorsque ces médias évoquent les tétons des rombières bécotés par les mandibules voraces et les jolies fesses des nymphettes harcelées par les coléoptères taquins. Pour les écolo-bobos gavés au bio de chez bio, les coccinelles virent alors à la bête noire, tout comme les « auvergnats » du ministre Hortefeux : une ça va, deux ça va encore, mais trois bonjour les dégâts ! 

Le compost,

son tas est comme une sorte de chaudron métaphysique. On y accumule avec précaution le rebut du jardin : tontes de la pelouse, feuilles mortes, cosses de petits pois, queues de cerises et de haricots, fanes de radis, pieds secs de choux, salades montées en graines, adventices diverses, les cendres funéraires de Papy…, bref ! tout ce qui traîne moribond, mort, déchu dans le presque-rien. Pourtant reléguer le rien n’est pas rien, c’est aussi alléguer ce rien, le recycler en quelque chose d’autre : la mort mitonne tout doucement de la vie à venir.

Le compost,

ça fait râler les déménageurs qui s’en coltinent trois grandes et lourdes poubelles remplies à ras bord. Le poète quitte une maison pour une autre, il va inventer un nouveau jardin de la même façon qu’il écrit son prochain livre. Cet enchanteur vit en forêt de Brocéliande.

Le compost

c’est comme une sorte de Caisse d’Epargne au ras des mottes, à faible taux d’intérêts mais au rendement régulier et durable. Bon an mal an, je rends à mes cinq ares de terre ce que j’ai emprunté à la planète, environ deux mètres cube de terreau, depuis quarante années. C’est pas grand chose, à peine quinze centimètres par mètre carré, mais c’est déjà ça : un désir d’humus, d’humanité. Faire un emprunt, c’est s’obliger à rembourser des intérêts. Comment supporter alors les jérémiades des chasseurs de primes productivistes qui gémissent à propos de l’érosion des sols épuisés par la boulimie céréalière. La chimie a ses limites, elle ne donne que ce qu’elle peut : une prothèse artificielle et provisoire. Un peu comme le viagra dont l’efficacité est défaillante si le désir n’est pas là.

Le concombre

est un proche parent du cornichon. Si ce dernier offre à quelques penseurs existentialistes un support métaphysique, le premier relève davantage de la pataphysique lorsqu’il se fait concombre masqué. Et, à notre « époque opaque », c’est à n’en pas douter une aventure peu commune que de « glabougner dans le non-être » en compagnie de la cucurbitacée philosophe célébrée par Nikita Mandryka [3].

Le cornichon

peut servir efficacememt, mieux que la fleur-soleil du tournesol, de logo au slogan « Nucléaire, non merci ! ». Parce qu’il aurait, ainsi que les cucurbitacées de même acabit, la particularité de n’absorber aucune radioactivité. Comme bien entendu chacun le sait depuis que la progression du nuage de Tchernobyl a été victorieusement stoppé par le génie français à la ligne Maginot. Voilà qui est rassurant pour les lendemains d’Apocalypse : on pourra au moins faire ripaille avec du cornichon à tous les repas, à toutes les sauces et sans péril. 

(P.S. - À propos, comment prononce-t-on cornichon en japonais ?)

Les cornichons

sert d’étai à la construction d’une succulente démonstration de la théorie existentialiste développée par Jean-Louis Curtis dans Les justes causes (pages 384 à 386) à l’aide du concept de cornichon-en-soi. Pour le cornichon « l’essence précède l’existence » puisque sa croissance obéit à une idée préétablie se référant au cornichon idéal, alors que le jardinier existe d’abord avant de définir son essence. Très franchement, je m’en fous. Pour mon propre compte, je m’en tiens au pour-soi vinaigré et fort goûteux à chaque bouchée d’un pot-au-feu ou d’une terrine de queue de bœuf.

Les courgettes

bizarrement amènent l’image d’une actrice bien connue, entrevue hier soir sur France 2. Il doit y avoir un air de famille (cucurbitacée : est-elle d’ascendance cucu plutôt que bite assez ?) tant la coucourgite de l’actrice frise l’impudence et Saint-Augustin en a fait les frais : la pétasse et le philosophe ! Pourtant, son conseiller com’ a cru bien faire.

Des courgettes,

aux flamboyantes fleurs lancéolées jaune orange vif, annoncent une belle récolte pour la semaine prochaine. Laurette aime les fleurs. Elle les cueille délicatement une à une, les réunit en une brassée de jeune mariée et, juste avant que l’orage n’éclate, lâche un argument sans réplique : « C’est pour Maman ! ».

Le crapaud,

n’est pas « seulement beau pour la crapaude », comme ironisait méchamment Voltaire. Clown honteux, pataud et pustuleux, il donne sens à l’amour du prochain. Le jardinier, mémoire rageuse et gorge nouée, se rappelle l’apostrophe désespérée : « Heureux crapaud, tu n’as pas d’étoile jaune » du poète Max Jacob mort à Drancy dans un jardin barbare cerné de barbelés.

Les doryphores

illustrent le syndrome de l’envahisseur. Tout ce qui pullule, selon quelques indigènes indignés (qui sous-entendent : pollue), est doryphores : les Bordelais dans la Vallée d’Aspe, les estivants sur les plages vendéennes, jadis les nazis en zone occupée. Le merle de nature pacifique laisse déferler l’invasion sur les huit rangs de patates ; et du même coup, bien qu’il soit omnivore, cela dénote sans conteste de sa part une complicité latente, objectivement collaborationniste. Tout comme les hébergeurs pyrénéens, les commerçants de la côte ou encore les tondues de la Libération. La résistance, quand est-ce que ça commence ?

Les échalotes,

qu’en Vendée on appelle des couilles-de-pape, je les ai déchaussées et mis à sécher mi-juillet. Il semblerait cette année que même le pape a chopé une sarkozite aiguë : petites couilles, vraiment très petites.

Les épinards

c’est tout une affaire que de convaincre les petits-enfants de goûter ce délice des dieux. On a beau argumenter tous azimuts : leur famille porte un joli nom, les chénopodiacées ; ils sont d’origine Persane comme les tapis volants ou les « Lettres » de Montesquieu ; la Chine fournit 85 % de la production mondiale et, comme on sait, les Chinois sont plus forts que les Américains, excepté Popeye bien sûr qui en avale des boîtes à tire-larigot… « Délice des vieux, ouais ! » rétorque Alix, un rien décontenancé, qui, après s’être tâté en catimini les biceps, en catapulte mollement une fourchettée vers la bouche. Merci Popeye !

L’escargot

n’a aucune accointance avec « le sage bourgeois des sentiers » dont s’émerveillait Frederico Garcia Lorca. Bien au contraire, il colle entêté au sentier et ne recule jamais : son existence est résistance. Nombre d’indignés de par le monde en font l’emblème de la lutte anticapitaliste, à l’instar du Parti pour la Décroissance et des sous-commandentes zapatistes, convertis aux vertus de la stratégie spiraloïde qui tourne sans cesse et jamais en rond, s’ouvre du dedans vers le dehors, brise patiemment l’encerclement du cercle vicieux que les maîtres du marché mondialisé voudraient nous vendre pour modèle incontournable. N’en veuillez donc pas au paisible jardinier s’il se rêve parfois, cagoulé de noir et fumant la pipe, parcourant les caracoles du Chiapas en prosélyte tranquille d’une révolution citoyenne qui ronge et rogne petit à petit les salades mercantiles des puissants de ce monde. 

Les escargots 

ne sont pas de chauds lapins. Quand ils baisent, le coït se prolonge de douze à quatorze heures, d’un érotisme torride qui prend son temps et son pied comme le montrent les superbes images du film Microcosmos. Ça, c’est du jouir brut de coffrage, DSK peut bien aller se rhabiller ! Au milieu de l’allée qui mène à la serre, deux petits-gris soudés l’un à l’autre laissent le jardinier songeur quant à la façon dont batifole le monde des hommes et ses environs affairistes.

La fève,

voilà un légume (la plus sympa des légumineuses) qui n’a pas d’ego. On le sème en février et il se laisse pousser en vous fichant la paix. Mais en mai, les pucerons lui courent effrontément sur la gousse. Le purin de fougère-aigle les calme à peine, en attendant que les coccinelles se parachutent pour le grand nettoyage.

Des fraises,

un merlot de trois ans aide à la cueillette, « Alix, ne ramasse pas les vertes, il faut qu’elles restent sur le pied pour mûrir ! » En fin de matinée, il revient du jardin en claudiquant avec précaution. Sur les orteils du pied droit, une fraise verte vacille en équilibre précaire : « C’est pour la faire mûrir plus vite ».

Les framboises,

en mai, première cueillette. Celles de septembre ont le désagrément d’être colonisées par les punaises vertes ou grises dont l’odeur tenace tient le merle à distance. Et ramène à la mémoire la moue dégoûtée de mon beau-père qui qualifiait le whisky d’eau-de-vie de punaises.

Les gendarmes,

dont la carapace rouge et noire ressemble à un masque africain, intriguent fort Lilian qui me fait remarquer que deux Pyrrhocoris apterus sont soudés par leur derrière, « ils font des enfants ? » demande-t-il. Sans doute. Mais, deux gendarmes qui s’enculent, ça me fait rigoler. Allez savoir pourquoi.

La glycine,

difficile de parler de l’exubérante aux grappes fleuries bleu discret quand on a lu les poèmes d’Antoine Emaz [4]. Faites comme le merle qui en oublie de jaser : lisez-les.

Les groseilles,

à belle maturité s’invitent pour une tournée de confitures, avant d’alimenter la cantine des oiseaux. Nahel, enroulé dans sa cape de Zorro, se met à plat ventre et pose la tête dans sa main droite. De la gauche, il grappille grain à grain, en merle boudeur.

La grosse blonde paresseuse

s’abandonne un peu trop docile au rut de gastéropodes adolescents, on ne sait plus très bien qui de l’une ou des autres bavent le plus. Effeuiller la laitue anticipe le plaisir de la croquer, nappée d’une légère vinaigrette à l’huile de noix et piquetée de quelques étoiles bleues cueillies sur la bourrache. Baver n’est pas forcément l’apanage des escargots.

Des haricots

reçoivent la visite d’un papillon aux ailes blanches tachetées de noir, une piéride tout juste éclose dans un chou voisin. « Tu crois, Papy, qu’il papillonne assez ? », chuchote Lou-Ann, imperturbable.

De l’hélicide,

je n’use qu’avec grande parcimonie et la mort dans l’âme. Il est vrai que limaces et escargots exagèrent au printemps un trop plein d’affectivité herbivore. Et que l’écuelle de Kronenbourg n’étanche guère l’enthousiasme de leurs assauts voraces et répétés. Alors, les petits grains, bleus comme du viagra, crispent à tous les coups le gastéropode dans une raideur… létale, et transforme l’escargote en une bien jolie veuve.

Le hérisson,

gros comme le poing, a échappé de justesse à la lame de la tondeuse. Je l’ai caressé jusqu’à ce qu’il replie sa toison de piquants. Et tout l’hiver je l’ai nourri de croquettes pour chat. Mais un beau matin, à la saison des amours (simple conjecture), il a disparu. Peut-être, mussé sous un pied de consoude en fleurs, déguste-il en grognant de plaisir un escargot tout chaud.

Insociable sociabilité,

constatait Kant. La fève déteste l’ail qui déteste le pois qui déteste l’échalote qui déteste le haricot qui déteste le poireau qui déteste la betterave qui déteste la tomate qui déteste la pomme de terre (conflit familial entre solanacées !) qui déteste le concombre qui déteste le melon qui déteste la courge qui déteste etc. On se croirait à l’université d’été des socialistes ou des écologistes ! La friche politique devrait en prendre de la graine : plutôt qu’à un énarque, il serait davantage pertinent de confier la gestion de l’État à un jardinier.

Installations

à Chaumont, on ne parvient pas vraiment à distinguer qui fait quoi, si c’est l’artiste qui installe le jardin ou le jardin qui implante l’artiste. On déambule dans de la beauté qui vit : couleurs, parfums, affinités insolites, intimités déroutantes. Une œuvre d’art qui de saison en saison diversifie ses points de vue, se questionne à vif chaque matin, s’endort un peu plus mature le soir. Comme le potager qui se satisfait d’en offrir un bien médiocre simulacre.

Juillet

que la République fait commencer en Girofle le 13 Messidor et se terminer en Abricot le 13 Thermidor. Moissons et chaleurs, on récolte ce qu’on a semé : Robespierre en a jadis perdu la tête, alors que le jardinier chiffre son bonheur en poussant la brouette remplie à ras bord.

Le kiwi

avec un bec et des pattes pourrait ressembler à son homonyme l’aptéryx, un oiseau sans ailes d’Océanie. Juste avant les gelées, on cueille les grappes de fruits pour les laisser mûrir à l’abri non loin des pommes. « On dirait des roustons d’orang-outan » criaille la voix désaccordée de l’ado qui plastronne en piquant un fard. Tant de poésie désarçonne le jardinier.

Les lauriers

à cueillir pour en couronner l’auguste front en sueur du jardinier. Cependant, pas trop n’en faut : ça inclinerait le lauréat à se reposer, il a encore et beaucoup mieux à faire.

Le liseron,

si on n’y prend garde, recouvre le jardin à l’infini de ses pavillons de phonographe blanc ou rose pâle. On a beau couper ou arracher (par petits bouts) les racines, il repousse sans se lasser. Et on remet ça, moi et lui chacun de son côté , tous les huit jours, il pousse je coupe. À jamais complémentaires et indissociables, comme Sisyphe et son rocher. Sauf que le jardinier est un sisyphe qui trouve l’éternité particulièrement chiante.

Le liseron

encore, avec le poète Raymond Queneau : « C’est en lisant, qu’on devient liseron ». Peut-être que c’est ça qui rend Sisyphe heureux ? Et le jardinier complice. Malgré tout.

Le maïs,

avec le haricot, la courge et le tabac est l’une des plantes sacrées des Navajos comme le rappelle Tony Hillerman [5] dans chacun de ses romans. J’ai dans l’idée d’installer l’an prochain un « carré sacré » dans le potager : une dizaine de plants de maïs (pour les poules de Louisette), un ou deux plants de tabac (les feuilles en décoction donnent une tisane insecticide à manipuler avec précaution à cause des coccinelles), des haricots espagnols enrouleraient leurs fleurs colorées sur les tiges de maïs et au ras du sol des potimarrons et des courgettes-spaghettis pourraient courir à travers. Une façon d’harmoniser éthique potagère et esthétique horticole. Qui devrait, la pipe métamorphosée en calumet, me permettre d’approcher au plus près le hozho qui est une sorte de zen navajo.

Le melon d’eau

que j’aime écrire avec un O, tant sa rondeur est parfaite, quasi érotique. Il ne fait pas d’histoires, lui. Ses confitures n’en sont que plus voluptueuses, oserais-je dire : aphrodisiaques.

Les mirabelles

sont étymologiquement si « belles à voir » ! Et à déguster sans chi-chis ni simagrées tout juste tombées de l’arbre encore fraîches de pruine, ou bien dans une tarte toute simple : de la pâte feuilletée sur laquelle on serre les uns contre les autres les fruits dénoyautés, une demi-heure au four, thermostat 7. Et c’est comme du miel qui fond sur la langue. Virgile, dans Les Bucoliques, ne dit pas autre chose lorsqu’il chante la cerea pruna, la prune couleur de cire : c’est un fruit de poètes. Pour une part de tarte et un petit verre d’eau-de-vie de mirabelles, le jardinier se fait volontiers porter poète. 

Les mogettes

frelassent dans leurs cosses sèches, le vent d’Est dirige à bon rythme le concert des maracas du potager. Bientôt, les haricots blancs seront mis en sac avec des gousses d’ail pour décourager les bruches. Et cet hiver, après dégustation d’un jambon-mogettes ou de grillées frottées à l’ail et tartinées de beurre salé, le ventre fera lui aussi entendre de la musique.

Le myosotis

dresse au printemps ses petites fleurs bleutées comme des sourires de libellules. Vergiessmeinnicht, murmure à l’oreille le premier agrion avant de regagner son îlot de roseaux dans la mare toute proche.

De la neige

ce jeudi matin 2 décembre 2010. Date quasi historique, il y a plusieurs années qu’on n’en avait pas vu autant. Le potager ne s’en plaint pas, assoupi sous la couette qui rassure. Le vieux monde à la chevelure blanchie rêve d’un lendemain printanier, de révolution tranquille et fructifère. Les pattes du merle en écrivent déjà la préface, reluqué par le chat scotché dans les starting-blocks. Désorienté par l’aubaine, à l’instar du jardinier.

Les oignons

ronds, trapus et tuilés comme les poèmes de Norge [6] : des rouges violacés pour la confiture, des jaunes paille pour la cuisine. Ils ont séché pendant une semaine à mi-ombre. J’aime les tresser pour les assembler. Leur peau crisse sous les doigts, douce, pas très épaisse. L’hiver sera clément.

L’otiorrhynque

n’a rien à voir avec l’ornithorynque, un mammifère monotrème australien. Mais j’aime en rouler le nom dans la bouche, c’est à peu près tout ce qu’il a de sympathique. Sa larve, semblable à celle du hanneton mais sans les pattes, grignote les racines des fraisiers ; l’adulte, maraudeur nocturne gros comme une cacahouète, attaque à coups de poinçons les feuilles du lilas. Des petits trous, toujours des petits trous, ce poinçonneur des lilas n’enchante à dire vrai que le sexagénaire qui se fantasme poète en mal de rime riche .

Le pâtisson,

comme une grosse fleur blanche ou verdâtre, bien en chair, crénelée de cornes arrondies tout en douceur, la cucurbitacée travaille du chapeau dans le fouillis volumineux de ses feuilles qui prend ses aises sur un bon mètre de terrain. Le pâtisson est bien supérieur par son goût d’artichaut à la cervelle d’évêque, n’en déplaise aux ecclésiastophages impénitents Boris Vian, Luis Bunuel ou Pierre Autin-Grenier. Et, tout en évoquant la révolution à venir, je régalerai d’une « barrette de prêtre » farcie mon pote Pablo, fils d’anarchiste andalou et grand bouffeur de curé devant l’Eternel.

Le persil

souligne une absence tapageuse, un néant insupportable : les semis de printemps n’ont pas levé. A la mi-août, nouvelle tentative. Au préalable, les graines ont été délicatement frottées sur du papier de verre pour élimer sans dommage leur enveloppe coriace, suivant ainsi le conseil d’un lecteur glané dans un n° des « 4 saisons du jardinage ». Depuis, j’arrose tous les soirs. On verra bien.

Les petits pois

cuisinés avec des petites carottes nouvelles, les premiers haricots verts, quelques oignons blancs tout frais, un bouquet de persil, ils donnent de la rondeur à la jardinière. Ce qui n’est pas pour déplaire au jardinier.

Les petits pois

avec un seul grain, plaisantait Coluche, tu ouvres un super-marché en Ethiopie. Les Restos du cœur n’ont jamais compté autant de clients que cette année. Petit merlot bien nourri, ne tire pas la gueule devant ton assiettée de mangetouts.

Un petit pois

d’une espèce à grains ridés, le sénateur, arrange le potager en annexe du jardin qui jouxte le Palais du Luxembourg. D’emblée, il requiert un palissage minimal sans quoi il flageole fâcheusement de la guibole. Comparable aux vieilles tiges décaties qui siestent sous les ors de la République, ces « grosses légumes » de jadis et naguère qui se touillent et chatouillent avec des airs d’importance mais dont la biodiversité citoyenne ne doit hélas ! attendre que minestrones et ratatouilles fadasses. À quand un référendum pour écosser la Constitution ?

La phacélie

a mis crosses en l’air, serties de petites fleurs rose bleuté. Abeilles et syrphes butinent et vezounent un rap peinard qui invite le jardinier à la banturle, à l’instar de Jean-Louis, Christian et Pierrot au Bistrot d’Olivier à Limoges. Ce matin, le monde fait la paix avec lui-même.

Le physalis

n’abuse pas le jardinier même s’il prend la vessie grecque pour une lanterne japonaise. La tomatille du Mexique (dont l’arrière-goût rappelle celui de sa grosse cousine solanacée), qui aime voyager autour du monde, se plaît à maquiller son passeport de divers pseudonymes : alkékenge, coqueret du Pérou, cerise de Jérusalem ou encore mirabelle de Corse. Qu’on ne s’y trompe pas : cela ne dédouane en rien le potager où ses rhizomes ont les coudées franches.

Le poireau

n’apprécie guère de se faire astiquer par la mineuse et la teigne. Encore moins par le poète Néron, ci-devant empereur porrophage, qui déclamait jadis ses vers de mirliton sous des lampadaires humains. Il ne manque pas pourtant de savoir-vivre lorsque, asperge du pauvre il s’accommode au solo d’une vinaigrette toute simple ou bien orchestre sa propre partition dans le pot-au-feu d’un dimanche d’hiver en famille. 

Des pommes de terre,

sous le regard interrogateur du petit garçon, les dents de la bêche fouillent la butte, soulèvent une grosse chérie rose lie de vin : « une patate, Mamie, t’as vu ? Une patate ! ». Ethan est bouleversé. Il croyait que, comme pour les poissons rectangulaires jaunes et panés, les patates poussaient dans des barquettes blanches chez Leclerc.

Les pommes de terre,

Agata, Aïda, Aloha, Amandine, Anaïs, Ariane, Béa, la Belle de Fontenay (tendrement câlinée par un vieil anar espagnol sourd-muet et poète, dans le roman éponyme de Jibé Pouy), Catarina, Charlotte, Christa, Claudia, Cynthia, Daisy, Désirée, Elodie, Emeraude, Fanette, Fanny, Fausta, Florette, Floriane, Gloria, Hermine, Isabel, Jenny, Juliette, Justine, Lady Christl, Lady Rosetta, Léna, Liseta, Lola, Manon, Mariana, Marine, Mélissa, Monalisa, Morgane, Ondine, Paméla, Pénélope, Pépita, Rosa, Rosabelle, Rosalie, Rosanna, Rosine, Sandy, Saskia, Stella, Sylvia, Victoria, Violette, Yesmina... sans oublier Chérie (que j’aime), Chipie (la friponne), la Pompadour (pour les nostalgiques d’Antoinette Poisson), Danae (et son tonneau percé) ou Cérès (le délice des dieux), toute une ribambelle de Starlettes et d’Escort girls où il ne manque que Zahia, une précoce, exellente sautée ou en robe des champs, bien des footballeurs fin gourmets vous en détailleront les charmes mieux que moi.

La pomme de terre

de mon enfance brionnaise, c’est « la treuffe ». Parce qu’elle s’est imposée dans les campagnes bourguignonnes comme la truffe du pauvre, selon la jolie formule attribuée à Buffon. Et aujourd’hui encore, c’est un repas de fête, un demi-siècle après, lorsque la Tatan Guiguite fait rôtir au four des treuffes accompagnées de fromage blanc (fromage frais mélangé à de la crême avec ail, échalotte, persil, ciboulette, poivre et sel) tandis que le Tonton Dédé débouche une bouteille de beaujolais en l’honneur du neveu. La pauvreté partage des richesses que les riches ignorent.

Le pourpier,

cette engeance prend ses aises après la mi-juin, occupe planches et allées. Difficile de s’en débarrasser, un peu comme les rimailleurs de la Place Saint-Sulpice. Certains le mangent en salade, il aurait un goût de noisettes. Quant à moi, il me les casse.

Le procustre chagriné,

les ogres se font rares de nos jours. Et si l’un de ces « gros insectes noirs avec leurs élytres grenus » s’est égaré dans les contre-allées, c’est qu’il a dressé son lit de « dépeceur d’espèces molles » : chenilles, vers, larves, limaces, lumas, cagouilles… Hélas ! On ne rencontre plus guère ce bienfaiteur du potager que dans les poèmes de James Sacré.

Les prunes,

je ne parle pas des mirabelles, mais des petites bleu noir et des grosses or rougeâtre. Elles me font penser à la CGT, à cause du drapeau dans les manifs ou peut-être parce que Thibaud les prend pour des prunes et baise sans vergogne les camarades prolos. Moi, je préfère les prunes, à pleine bouche en veux-tu en voilà.

Le radis

est-il un suppositoire ? On pourrait, si je puis dire, le supposer. Du moins à en croire Jean-Claude Carrière, scénariste du film Le retour de Casanova. Je cite : « Il était si petit qu’avec un radis dans le cul les feuilles traînaient par terre ». Serait-ce une allusion (bien malveillante !) à qui vous savez ? Désolé, il n’en est rien. Le scenario est tiré d’une nouvelle d’Arthur Schnitzler qui date de 1918… A moins que le pornographe autrichien n’ait pris un malin plaisir à chahuter Napoléon le Petit (jadis, objet des sarcasmes hugoliens) ou bien encore (considération peu crédible) l’image pipole d’Alain Delon interprète de Casanova.

Les radis

ne se sèment jamais seuls. On les associe aux graines de carottes, de laitues, de betteraves rouges ou de persil parce qu’ils lèvent les premiers et marquent ainsi le rang,. On surveille la naissance plus tardive des autres graines : récolter les radis donne aussi l’occasion d’éclaircir les plants compagnons. D’avril à mi-octobre, j’en sème tous les quinze jours pour être assuré de ne pas rester sans un.

Les radis

semés à l’ombre à cause de la canicule se la jouent top-model. Ils ont poussé longilignes, filiformes, anorexiques. Trop d’ombre et temps de chien. « Ils montent tout en orgueil », déclare Louisette. Coup de blues du jardinier.

La rhubarbe

dodeline de ses oreilles d’éléphant, lourde et paisible. Les feuilles fermenteront en un purin propre à degoûter à jamais limaces et pucerons, les pétioles mijoteront doucement pour des tartes et de la confiture. Son agréable acidité titille la paresse des transits intestinaux.. Chaque matin, le jardinier entreprend avec son voisin, comme au temps du Roi-Soleil, des salamalecs courtois et déconstipés : « Comment ça va ? — Ça va ! »

La roquette

on l’a rapportée de Grèce, du moins l’envie d’en semer dans le jardin. À Athènes, elle est de tous les repas, ou presque, chez Marie-Laure et Xeno. Et le jardin aujourd’hui n’en manque pas, elle se ressème d’une année à la suivante au gré du vent un peu partout. Si bien que chaque été, à l’ombre du cerisier, on se met à table avec, dans la tête, une vue imprenable sur le mont Hymette.

La sarriette

arbore l’avenant sobriquet de poivre d’âne peut-être parce qu’elle rend vive l’intelligence critique et réveille les ardeurs libertines. Diabolique donc, elle n’était guère en odeur de sainteté dans les couvents, mais beaucoup plus prisée dans le jardin de curés égrillards. C’est pourquoi je l’associe volontiers au philosophe Abélard qui enseigna si aimablement l’art de l’infusion de poivre d’âne et de l’effusion du dérèglement des sens à la belle Héloïse, ce qui lui valut de la part d’enfroqués jaloux et pervers, selon la chronique, « d’être chastré puis fut moyne ». 

Les syrphes

avec leur abdomen jaune et noir ne sont pas des guêpes, mais des diptères entomophages qui bouffent les pucerons. C’est dire combien ils sont choyés, bêtes à bon dieu tout autant que les coccinelles. De phacélies en ombelles de carottes (qu’on laisse exprès monter en graines), le mirage des syrphes me rend benaise autant qu’un pape à Lourdes.

Le tamier

vraiment pas désiré dans le potager, il se glisse en douce sous les noisetiers. On appliquait naguère cette « herbe aux femmes battues » sur les plaies des victimes de violence : femmes, enfants, voire lycéens matraqués par les CRS. Pas sûr qu’elle remédie pour autant aux affres de l’ego d’un politicien étrillé aux élections ou d’un poète recalé par un éditeur. 

La tétragone cornue

que les Anglais ont troquée avec les indigènes des îles du Pacifique Sud contre des missionnaires, des escargots et des leçons de rugby. Depuis, les Fidgiens, Tongiens, Samoans, Maoris et autres All Blacks ont mangé les missionnaires, laissent les escargots courir les libellules et flanquent régulièrement la piquette aux rugbymen anglais. Quant au légume, c’est un excellent zépinard (comme disent les Réunionnais) qui ne dépare pas le pounti auvergnat ou le farcis poitevin.

Le thym

est très vivement conseillé aux débiles. J’en connais qui hyperagités feraient bien de permuter le rail de coke avec la tisane de thym. D’autant qu’il soigne également les enflures des chevilles et de l’ego. De temps en temps, l’épouse réclame un bouquet garni (thym, persil, laurier) à son jardinier-poète, avec un petit sourire au coin des lèvres, amoureux. 

Les tomates

acheminent la planète toute entière à portée de la main. Elles implantent un arc-en-ciel sur l’are de terre qui jouxte la maison. Leurs mille et une variétés couvrent les mille et une variations colorées du spectre lumineux. Il suffit de croquer l’un de ces fruits-légumes et son nom fait courir le monde sans prendre l’avion ni le TGV : ananas, banana leg, beauté blanche, black from tulu, carotina, casaque rouge, cherokee purple, délice d’or, evergreen, golden plem, grosse blanche, jaune saint-vincent, noire charbonneuse, nuits australes, orange queen, potiron écarlate, purple calabash (couleur chocolat), redskin, rose de berne, trèfle du togo, wonder light, yellow stuffer… Plein les yeux, plein les mains, plein la bouche, plein la tête, plein le cœur, les tomates vous font citoyen du monde.

Des tomates

ont le cul noir, on ne sait pas trop si la maladie est causée par un excès, ou une insuffisance ou encore l’irrégularité de l’arrosage. Sur un site internet, quelques tomatologues chevronnés recommandent de verser au pied de la plante un verre de lait… Blanche-Neige au secours de la Négresse Blonde, on imagine que ça pourrait sécréter des tomates neiges.

Le tournesol

à fleurs multiples affiche son héliotropisme en toute sérénité. Tourné vers le soleil couchant, à bonne distance des tourments intérieurs de Vincent Van Gogh, je me sens davantage emporté par le sourire canaille d’Arthur Rimbaud lorsque « je pisse vers les cieux bruns, très haut et très loin / Avec l’assentiment des grands héliotropes ». Il pleut sur les soleils : oraison du soir.


Louis DUBOST

né le 13 Avril 1945 à La Clayette, dans le Brionnais (Saône-et-Loire). A enseigné, jusqu’à fin 2005, la Philosophie à La Roche sur Yon. Vit à Chaillé-sous-les-ormeaux (Vendée) où il a exercé une activité d’éditeur, de 1974 à 2009, d’abord au sein de l’Association Le Dé bleu, puis en qualité de directeur-gérant des Éditions L’Idée bleue. Ecrivain, il est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages (poésie, jeunesse, essais, nouvelles…) dont on peut éventuellement retenir :
- La vie voilà (poésie), éd. L.-O. Four, 1981 et 1983 - réédition éd. La Bartavelle, 2000 (Prix Antonin-Artaud 1982).
- L’Ile d’elle (poésie), éd. Tarabuste, 1989 et 1991.
- L’escargot (anthologie), éd. Favre / Museum d’Histoire Naturelle, 1998.
- L’évidence qui passe précédé de L’Ile d’elle (poésie), éd. Le Castor Astral 2000 (Prix Antonio-Vicarro 2002).
- Lettre d’un éditeur de poésie à un poête en quête d’éditeur (essai), éd. Ginkgo 2006.
- Tu me libellules (anthologie), Le farfadet bleu, éd. L’Idée bleue 2007.
- On a mis Papy dans le coffre de la voiture (nouvelles), éd. Le bruit des autres 2009.
- La Demoiselle aux lumas (roman), Le Geste noir, Geste éd. 2010.
- Des Sourires et des pommes (poésie jeunesse), Le farfadet bleu, éd. Cadex 2010.
- Diogène au potager (panier AMAP politique), linogravures de Anah Merlet, préface de Lucien Suel, éd. Les Carnets du Dessert de Lune 2011.
- La Part du merle, livre d’artiste avec 10 monotypes d’Eva Demarelatrous 2011 (à commander chez l’artiste : 16 rue Voie, 85450 Puyravault — contact@evademarelatrous.com)

La collection le dé bleu est diffusée par les éditions Eclats d’encre, 14 rue Gambetta, 78600 Le Mesnil-le-Roi — 01 34 93 40 71 / eclats@free.fr

La collection Le farfadet bleu est diffusée par les éditions Cadex, 19 rue d’En Quissé-Russan, 30190 Saint-Anastasie — 04 66 22 47 74 / cadex@cadex-editions.net

Voir aussi Louis DUBOST, Derrière vos murs

Illustration de Claudine Goux éditions Le Bruit des Autres, 2009  Le Geste noir, Geste éd. 2010. Le farfadet bleu, éd. Cadex 2010. Illustrations de Anah Merlet

Notes

[1] Voir Pourquoi dit-on que l’homme serait condamné si les abeilles disparaissaient ? .

[2] Paul Chaulot est un poète et écrivain français (1914 - 1969), Soudaine écorce, Seghers, 1967.

[3] Nikita Mandryka, né le 20 octobre 1940 à Bizerte, est un auteur de bande dessinée français d’ascendance russe.

[4] Antoine Emaz, poète français né en 1955 à Paris. Dernières publications : Poèmes Pauvres, Æncrages & Co, 2010, Plaie, éd. Tarabuste, 2009, Cambouis, Seuil, collection Déplacement, 2009, Peau, Tarabuste, 2008, De l’air, Le Dé bleu, 2006.

[5] Tony Hillerman est un auteur américain de romans policiers ethnologiques sur la police tribale Navajo et d’essais (1925 - 2008).

[6] Norge, pseudonyme de Georges Mogin, est un poète belge francophone (1898 - 1990), Les Oignons, etc., Flammarion, Paris, 1971.