Ôªø Sornettes - Quelques idées reçues sur le réchauffement climatique

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Publié : 10 janvier 2010
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Quelques idées reçues sur le réchauffement climatique

Fausses conceptions, contre-vérités et autres déclarations péremptoires polluent le débat sur le réchauffement climatique. Quelques exemples.

N° spécial 994

“Les scientifiques sont divisés”

Pas du tout.

(…) Même si certains aspects des prévisions restent à préciser, le doute n’est plus permis sur ce que l’avenir nous réserve. Les académies des sciences de tous les pays, de longues listes de Prix Nobel et même les conseillers scientifiques du président George W. Bush ont reconnu que les activités humaines étaient responsables du réchauffement de la planète. Aucun sujet ou presque n’a fait l’objet d’une démarche scientifique aussi rigoureuse. Il y a vingt ans, les Nations unies ont formé le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), chargé de faire la synthèse des travaux les plus sérieux sur le réchauffement climatique et de rendre compte des différents points de vue. Or, depuis 1995, les rapports du GIEC disent que le réchauffement est dangereux et qu’il est causé par l’homme. Le dernier de ces rapports, qui date de 2007, juge “très probable” (soit “certain” à plus de 90 %, autrement dit : aussi certain qu’on puisse l’être en science) que les gaz à effet de serre produits par les activités humaines aient provoqué “la plus grande partie de l’augmentation des températures moyennes observée depuis le milieu du xxe siècle”.

“Nous avons le temps”

Non.

Le temps est sans doute l’élément le plus contraignant de l’équation. La fonte des glaciers de l’Arctique est inquiétante non seulement parce qu’elle prouve que la planète se réchauffe rapidement, mais aussi parce qu’elle va contribuer à accélérer le réchauffement. La glace blanche renvoyait 80 % des rayons du soleil dans l’espace. L’étendue d’eau bleue qui la remplace absorbe 80 % de ce rayonnement. Ce processus va en s’amplifiant. Et il y a beaucoup d’autres phénomènes du même genre. Pour citer un autre exemple, le dégel du permafrost dans les régions arctiques a déclenché la libération dans l’atmosphère d’énormes quantités de méthane qui étaient retenues sous la glace depuis une éternité. Or le méthane est un gaz à effet de serre encore plus puissant que le CO2. Les exemples de ce type sont la principale raison pour laquelle beaucoup d’experts revoient leurs estimations et annoncent que nous allons devoir renoncer aux énergies fossiles beaucoup plus tôt que prévu.

La Documentation Française

“Le changement climatique a autant d’effets bénéfiques dans certaines régions que d’effets négatifs dans d’autres”

C’est un vœu pieux.

(…) les modèles commencent à montrer que, au bout d’un moment, presque toute la planète souffrira. Les plantes pousseront peut-être plus facilement dans certaines régions pendant quelques décennies parce qu’il y aura moins de risques de gelées, mais il est presque certain que la menace de stress thermique et de sécheresse augmentera.

Selon un rapport commandé par le Pentagone et publié en 2003, nous risquons de voir de violentes tempêtes balayer l’Europe, de terribles sécheresses sévir dans le sud-ouest des Etats-Unis et au Mexique, et un dérèglement des moussons provoquer des pénuries alimentaires en Chine.

Certes, il restera quelques endroits considérés comme “gagnants”, principalement dans le Grand Nord, où le Canada et la Russie pourront théoriquement produire davantage de céréales parce que les saisons de croissance seront plus longues, ou encore chercher du pétrole sous l’ancienne calotte glaciaire de l’Arctique, qui aura fondu. Mais ces régions devront aussi faire face à des conséquences coûteuses, comme une rude compétition pour la possession militaire du haut Arctique.

Les mauvaises nouvelles ne s’arrêtent pas là. Voici le scénario prévu par le rapport remis au Pentagone : au fur et à mesure que la capacité de la planète à supporter les activités humaines [“carrying capacity”] diminuera, l’ancien schéma de guerres désespérées pour la nourriture, l’eau et l’énergie réapparaîtra. Les auteurs renvoient aux études de Steven LeBlanc, archéologue à Harvard, qui signale que les guerres pour le contrôle des ressources étaient la norme jusqu’à il y a environ trois siècles. Généralement, lorsqu’un conflit éclatait, 25 % de la population masculine mourait. Lorsque le changement climatique nous tombera sur la tête, la guerre risque fort de revenir dicter la vie des hommes.

“C’est la faute de la Chine”

Pas tant que ça.

Il est facile de dire que la Chine est coupable de la crise climatique. La Chine, en pleine révolution industrielle, a ravi aux Etats-Unis le titre de premier producteur mondial de dioxyde de carbone. (…) Mais ces chiffres sont trompeurs. Et pas seulement parce qu’une grande part du CO2 émis sert à fabriquer des produits que l’Occident réclame… Il faut aussi retenir que la Chine compte quatre fois plus d’habitants que les Etats-Unis. Et si l’on calcule les émissions par habitant, ce qui est réellement la meilleure façon de faire, on voit que chaque Chinois émet nettement moins de CO2 que chaque Américain. Il ne faut pas oublier, par ailleurs, que la durée du cycle du CO2 dans la nature est de l’ordre de cent ans et qu’il reste donc longtemps dans l’atmosphère. Comme la Chine a commencé à en émettre en grandes quantités depuis moins de vingt ans, il faudra de nombreuses années avant que les Chinois participent autant au réchauffement planétaire que les Américains.

De plus, à la différence de leurs homologues des Etats-Unis, les dirigeants chinois ont entamé, en pleine période de croissance, un effort concerté pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. La Chine est aujourd’hui numéro un mondial dans le secteur des énergies renouvelables, et rares sont les voitures fabriquées aux Etats-Unis qui satisfont aux normes chinoises, beaucoup plus strictes en matière de consommation de carburant.

“Le changement climatique est un problème écologique”

Pas seulement.

Les écologistes ont été les premiers à donner l’alerte. Mais le CO2 n’est pas un polluant classique. Aucune loi sur la lutte contre la pollution atmosphérique ne pourra régler le problème. Nous devons opérer un changement radical de nos bases économiques et passer des énergies fossiles à un autre type d’énergie. Pour les Etats-Unis, cela signifie que les ministères du Commerce et des Finances doivent s’attaquer au problème au moins autant que l’Agence de protection de l’environnement.

“Résoudre le problème sera douloureux”

Cela dépend de ce que l’on entend par “douloureux”…

Transformer les bases du système industriel et consumériste mondial coûtera certainement de l’argent. Mais pensez aux économies gigantesques qui pourront être réalisées si l’on parvient à convertir une grande partie du système à l’énergie solaire ou éolienne.

A peine les scientifiques se sont-ils penchés sur le problème du dérèglement climatique que des gens ont essayé de calculer combien cela coûterait d’y faire face. Une somme tellement énorme qu’elle est presque impossible à estimer… Et combien coûterait-il de ne rien faire ? Selon le célèbre économiste Nicholas Stern, chargé par le gouvernement britannique de répondre à cette question, le coût du dérèglement climatique pourrait alors égaler les coûts combinés des deux guerres mondiales et de la Grande Dépression.

“On peut inverser le changement climatique”

Si seulement c’était possible !

Résoudre cette crise n’est plus envisageable. Les activités humaines ont déjà fait monter la température de la planète d’environ 0,5 °C. Lorsque les gens ont commencé à s’intéresser au dérèglement climatique (c’est-à-dire, rappelons-le, il y a vingt ans seulement), l’opinion générale était qu’on ne faisait que commencer à observer les conséquences du réchauffement, qu’on ne pourrait parler de grands changements qu’à partir de 1 °C ou 2 °C supplémentaires et que cela ne se produirait pas avant plusieurs décennies. Mais les scientifiques semblent avoir systématiquement sous-évalué la fragilité de l’équilibre des systèmes naturels de la planète.

Le réchauffement est plus rapide que prévu, et ses conséquences sont plus nombreuses et plus inquiétantes. La hausse d’environ 0,8 °C constatée a déjà sérieusement perturbé le cycle de l’eau : l’air chaud contenant davantage de vapeur d’eau que l’air froid, on assiste à une augmentation considérable non seulement des périodes de sécheresse, mais aussi des inondations. Et ces phénomènes ne vont pas cesser, même si nous faisons tout ce qu’il faut à partir de maintenant. Vu le temps qui s’écoule entre le moment où nous émettons du CO2 et celui où la température de l’air augmente, nous allons avoir droit au moins à 1 °C de plus. La seule question qui se pose maintenant est : pourrons-nous éviter la catastrophe ? Ce ne sera pas facile.

Extraits de Bill Mckibben, Non aux idées reçues ! , Courrier International, N° spécial 994, 19 nov. 2009, p. 22, 7,5 €, (traduit de la revue bimestrielle Foreign Policy, Washington USA).