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Publié : 22 mars 2007
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Sortir du nucléaire ?

Yves Sciama, Un seul challenger, le nucléaire

(…) sur le grand ring mondial de l’énergie, il faut de sacrés atouts pour tenir face au charbon (voir Sortir du charbon ?). Pas question de miser sur le pétrole, déjà condamné par le manque de ressources. Sur ce plan, le gaz apparaît mieux placé ; oui, mais avec des réserves à peine deux fois plus importantes, il ne peut finalement espérer tenir que quelques rounds de plus… Insuffisant. Reste l’association des énergies dites « renouvelables » : vent, soleil, géothermie et autres minicentrales hydroélectriques. Par définition, le problème du manque de ressources ne se pose pas ici. En revanche, cette association est bien jeune, qui ne fournit actuellement que 0,4 % de l’énergie primaire mondiale. (…). Et même si la Commission européenne vient de se fixer pour objectif de tirer 20 % de son énergie de sources renouvelables d’ici à 2020, celles-ci coûtent cher et peinent à assurer une production régulière.

(…) L’hydroélectricité (les grands barrages) et la biomasse ? Las, la première plafonne à 2,2 % des besoins énergétiques mondiaux (16,1 % de l’électricité) et n’a qu’une faible marge de progression, faute de sites à équiper. Quant à la biomasse, elle entre en jeu avec de grandes ambitions : en 2030, selon l’agence européenne pour l’environnement, plus de 15 % de l’énergie européenne pourrait en être issue ! Sauf que la biomasse a, elle aussi, le bras un peu court : les terres qu’on peut lui consacrer ne sont pas infinies, les hommes ayant besoin de manger. Et si cette production est envisageable en Europe, elle équivaut souvent, ailleurs, à une déforestation catastrophique… (voir Des agrocarburants contre de la nourriture)

En définitive, un seul challenger (…) c’est l’atome. Le nucléaire est même un poids lourd de premier plan.

Côté effet de serre, d’abord : pour chaque kilowattheure (kWh) produit, l’atome émet près de cinquante fois moins de CO2 que le charbon ! Et il peut aussi se targuer d’être la seule énergie, dans l’état actuel de la technologie, capable de dispenser une forte puissance électrique en continu, à un niveau d’émission de CO2 aussi faible.

Ce n’est pas tout. (…) A commencer par la faible part du combusfible dans le coût de la filière. « Avec le nucléaire, environ 5 % du prix du kWh provient de l’uranium, plaide ainsi Bertrand Barré, directeur de la communication scienfifique d’Areva . Si, pour une raison ou une autre, ce prix est multiplié par trois, le résultat reste encore supportable. » Vu l’instabilité géopolitique actuelle et les incertitudes liées aux approvisionnements, l’argument est de poids.

(…) Enfin, le nucléaire a pour lui sa formidable endurance : alors qu’au prix du marché, on pensait jusqu’ici que les réserves d’uranium extractibles se limitaient à 85 années de consommation actuelle, soit à peine de quoi rivaliser avec le gaz, une étude récente de l’Agence pour l’Energie Nucléaire (AEN), se basant sur le renouveau mondial de la prospection, vient de multiplier ce chiffre par … 7 ! Une véritable fontaine d’abondance, d’autant mieux venue que se profilent à l’horizon 2020 des prototypes de centrales dits de « 4ème génération » : celles-ci s’annoncent capables non seulement de mieux recycler les déchets, mais d’extraire cinquante fois plus d’électricité de l’uranium disponible. Leur secret ? Elles reposent sur le principe des surgénérateurs, c’est-à-dire des réacteurs qui produisent plus de conibusfible qu’ils n’en consomment. Certes, l’échec retentissant de Superphénix (voir Article Superphénix dans l’Encyclopédie Wikipédia ) incite ici à la prudence.

Dans ces conditions, on comprend que l’atome intéresse de plus en plus. A commencer par l’Asie, où malgré la montée en puissance du charbon, la tendance est à l’accélération du nucléaire. La Chine, qui a neuf tranches nucléaires en fonctionnement, s’est ainsi fixée pour objectif d’en construire une trentaine d’ici à 2020, pour atteindre 40 gigawatts (GW). Et l’Inde, qui dispose d’environ 2,5 mégawatts (MW), construit actuellement neuf tranches, visant les 20 GW en 2020. Côté Russie, on s’y met également : « Tous les chantiers gelés depuis Tchernobyl ont été relancés, note Bertrand Barré, et le gouvernement annonce la construction de deux réacteurs par an à partir de 2010. » En Occident, le vent tourne également : certains (France, Finlande) construisent des centrales, d’autres (Pays-Bas, Slovénie … ) les prolongent ou pensent sérieusement à relancer leur effort, comme au Royaume-Uni et même en Allemagne, malgré sa décision d’abandonner le nucléaire prise en 2000.

Quant aux Etats-Unis, premier parc mondial avec 103 réacteurs, ils ont voté en 2005 une loi de relance accoinpagnée de mesures volontaristes pour lever les craintes des investisseurs (…) « le problème numéro 1 du siècle à venir, c’est celui de l’énergie et du réchauffement climatique, énonce ainsi Philippe Pradel. Pour le résoudre, il faudra donc économiser l’énergie, mais aussi faire de l’électricité non-émettrice de CO2, c’est-àdire avec un mélange nucléaire, hydraulique et énergies renouvelables : un »mix« qui, pour l’instant, n’est que celui de cinq pays au monde : France, Suisse, Suède, Norvège et Brésil. Mais une fois ce »mix« en place - ce qui prendra du temps - on pourra s’attaquer au domaine résiduel des énergies fossiles, comme les transports, en cherchant à y faire évoluer l’électricité, par exemple en développant le ferroutage ou les véhicules à hydrogène. »

(…) Tout dépend de deux paramètres : le prix du kW issu de la houille et l’impératif de piégeage du CO2. En Europe, où l’essentiel du charbon est importé , générant des frais de transport importants, l’électricité nucléaire est d’ores et déjà la moins chère et le restera d’autant plus que la Commission européenne affiche sa volonté d’imposer pour 2020 la capture du CO2 dans les centrales au charbon et au gaz, soit un surcoût de 25 à 30 % sur le kW. En revanche, et notamment chez ces énormes producteurs de houille que sont la Chine, l’Inde et les Etats-Unis, le charbon est meilleur marché sans piégeage du CO2. Or, rien ne prouve aujourd’hui à l’échelon mondial que cette contrainte sera acceptée, ni à quelle échéance.

(…) la compétitivité économique de l’atome souffre d’un défaut de base : si l’uranium n’occupe qu’une place marginale dans le prix du kW, cet avantage est contrebalancé par des investissements de départ bien supérieurs, en raison de la technicité demandée et, surtout, des deux gros handicaps récurrents du nucléaire.

La sécurité, d’abord : toute répétition d’un Tchernobyl, tout attentat terroriste contre une centrale (aucune n’est capable d’encaisser l’impact d’un avion de ligne … ) serait un coup mortel pour l’atome, et les industriels le savent bien. Or, les équipements sophistiqués destinés à limiter les risques au maximum (enceintes et cuves de réacteurs renforcées, par exemple, sur la future centrale EPR française) coûtent forcément cher, sachant qu’une centrale nucléaire est déjà au moins 25 % plus coûteuse qu’une centrale à charbon performante, et 50% plus cher qu’une centrale à gaz, avec des délais de construction plus longs : environ six ans pour le nucléaire contre quatre pour le charbon et deux pour le gaz. Autant dire que pour certains pays, pris à la gorge par la montée de leurs besoins énergétiques, les énormes investissements liés au nucléaire rebutent.

Le deuxième boulet au pied du nucléaire est, classiqueinent, celui des déchets et aussi du démantèlement, dont nul ne sait aujourd’hui prédire le coût réel. Certes,les installations de 4ème génération devraient être plus « propres », mais pas avant 2040 ! Or, c’est avant cette date qu’il faudra décider des investissements à faire pour l’avenir énergétique.

(…) Autre défaut, en particulier dans les pays du Sud : le manque de formation (le nucléaire requiert un personnel hautement qualifié) et la vétusté des infrastructures. « Il y a une taille minimum du réacteur pour que le nucléaire soit économique, souligne ici Bertrand Barré. On ne peut pas descendre en dessous de 1000 MW, et pour accueillir une telle puissance, il faut un grand réseau bien interconnecté. »

Au final, qui du charbon ou de l’atome va l’emporter ? (…) Plus vraisemblable reste un partage (…) en fonction de facteurs locaux (la France restera à coup sûr un bastion nucléaire, la Chine un bastion du charbon) et de paramètres politiques et techniques variés. L’action politique contre le réchauffement climatique sera aussi décisive : plus elle sera radicale, plus le nucléaire gagnera des points. (…) Est-ce à dire que notre espèce est condamnée à errer entre risque climatique et risque nucléaire ? On peut espérer que non. (…)

Lire l’intégralité de l’article d’Yves Sciama, Un seul challenger, le nucléaire, Science & Vie, Mars 2007, n°1074, p.60.

Voir aussi Association négaWatt : sortir de la boulimie énergivore , Jean-Marc Jancovici : Le nucléaire ? Oui merci ! et Global Chance.