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Publié : 30 mars 2008
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L’avenir des énergies renouvelables

Des énergies vertes qui couvriraient la quasi-totalité de nos besoins énergétiques ? II ne faut pas y compter ! Car les renouvelables affichent bien trop de handicaps pour relever le défi. Démonstration, chiffres à l’appui.

Tout devrait pourtant aller pour le mieux dans le meilleur des mondes énergétiques possibles : (…) D’autant que le gisement est colossal : la surface de la Terre reçoit du Soleil, en flux continu, 8000 fois plus d’énergie que l’ensemble de l’humanité actuelle n’en consomme ! Cette énergie se convertit ensuite en vents, courants marins, rivières, matière végétale, qui sont autant de sources aussi abondantes qu’intarissables. (…)

Science & Vie n°1086 Mars 2008 p.59

Hélas, en dépit de leurs qualités souvent vantées, les renouvelables souffrent de sérieux défauts.

Le premier : elles ne sont pas « vertes » à 100 % [1]. Le second, véritable péché originel, et qui les caractérise toutes, c’est leur faible densité énergétique (voir figure 1). Autrement dit, le fait que, par unité de surface, les renouvelables ne peuvent fournir que de très faibles puissances, du moins en comparaison de l’uranium et des hydrocarbures. Ainsi, alors qu’il faut 10 hectares à une centrale nucléaire pour concentrer une puissance de 1,5 GW, la même puissance d’éoliennes consomme 18 700 hectares ! Certes, leur potentiel planétaire est colossal ; mais localement, sur une surface donnée, la quantité d’énergie que l’on peut prélever est relativement faible, et seulement indirectement accessible : il faut des dispositifs de captation relativement coûteux, qu’il s’agisse de barrages, de panneaux solaires ou d’éoliennes. (…)

Quelle équation énergétique ?

Selon le Giec, l’autorité internationale en matière climatique, pour rester hors de la zone de danger, assimilée à un réchauffement de plus de 2 °C, il faut que la concentration atmosphérique en équivalent CO2 reste sous les 450 ppm (partie par million). Concrètement, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime que cet objectif nécessiterait une décroissance des émissions dès 2015. Emissions qu’il faudrait ramener sous la barre de 23 gigatonnes (Gt) d’équivalent CO2 avant 2030, soit 4 de moins qu’aujourd’hui. Mais dans le même temps, la croissance de la demande en énergie, portée par l’amélioration du niveau de vie notamment des pays Sud, devrait continuer à progresser au rythme actuel de 1,8 % par an, estime l’AIE ! Qui en conclut qu’il faudra donc, à l’horizon 2030, produire 17 700 MTep (milIions de tonnes équivalent pétrole ) contre 11 400 MTep aujour-d’hui. En bref, la feuille de route de l’humanité consiste, en l’espace d’une génération, à produire 60 % d’énergie en plus … tout en émettant 15 % de carbone en moins. (…)

La biomasse, presque tout le monde en convient, ne peut raisonnablement faire plus que doubler d’ici à 2030. Car ce dont il est question ici, c’est de biomasse renouvelable, c’est-à-dire provenant de forêts qui se régénèrent. La biomasse issue de la déforestation n’est nullement renouvelable, au contraire : elle émet plus de CO2 que le charbon ! (…)

Et quid des biocarburants, qui sont un cas particulier de l’utilisation de la biomasse ? Fondamentalement, la biomasse souffre du faible rendement de la photosynthèse des plantes, qui convertit l’énergie solaire en énergie chimique avec un rendement d’environ 1 %. (…)
L’Institut français du pétrole (IFP) croit davantage aux carburants de seconde génération, qui seront faits à partir de plantes entières (et non seulement des graines ou des tubercules). Mais la présence de lignine, d’hémicellulose et de cellulose, des molécules végétales très résistantes, pose de redoutables problèmes : pour casser ces longues chaînes carbonées en sucres élémentaires, il faut trouver des stratégies (par exemple, développer des enzymes novatrices) qui évitent de dépenser trop d’énergie. Des problèmes dont il est impossible de garantir qu’ils seront résolus, selon Olivier Appert, qui avertit que de toute façon, « cette seconde génération n’aura pas de poids significatif avant 2015/2020 ». Au final, selon Global Chance [2], tout ce que l’humanité peut espérer à l’horizon 2030, c’est de gagner chaque année au maximum 95 Mtep pour le total biomasse + biocarburants.

Passons maintenant à l’hydroélectricité, le second poids lourd des renouvelables. Eh bien, même son doublement paraît irréaliste à l’horizon 2030. (…) Ainsi, la plupart des experts doutent qu’il soit possible d’augmenter la production hydroélectrique de plus de 30 % d’ici à 2030, ce que Global Chance chiffre à environ 15 Mtep.

La géothermie, avec 0,4% de l’énergie mondiale, est la troisième renouvelable pour l’énergie produite. Or, pour elle aussi, des limites hypothèquent son développement. Tout d’abord, les bons sites, généralement associés au volcanisme, ne sont pas légion : la situation de l’Islande (70 % d’énergie géothermique) est en fait quasiment unique.
Quant à la géothermie profonde, qui va chercher la chaleur dans les roches sèches à quelques milliers de mètres de profondeur, elle aura du mal à trouver un équilibre économique vu l’importance des forages associés. Au final, Global Chance gratifie l’ensemble de la filière d’un potentiel mondial de seulement 2 Mtep.

Reste les deux emblèmes des renouvelables : l’éolien et le solaire, qui connaissent actuellement une croissance fulgurante, mais en partant de très bas puisqu’ils sont les poids plume du secteur. Or, c’est une règle industrielle connue que les croissances exponentielles, passé un certain volume, finissent nécessairement par ralentir : déjà, les éoliennes connaissent des retards de livraison importants, tandis que les difficultés de disponibilité de silicium pour les panneaux solaires augmentent dangereusement les coûts.

Science & Vie n°1086 Mars 2008 p.59

Mais surtout, le problème avec ces énergies est qu’elles ont la fâcheuse propriété de ne pas pouvoir garantir une puissance régulière (voir figure 2). Or, on ne sait toujours pas stocker d’importantes quantités d’électricité de façon acceptable. Si, par suite d’un caprice météorologique, des milliers d’éoliennes cessent de produire simultanément, c’est tout le réseau qui risque d’être déstabilisé. Même problème, d’ailleurs, si elles entrent soudain en production en même temps : (…) Pour Jean-Louis Bal, directeur des énergies renouvelables à l’Ademe, il serait possible « d’aller jusqu’à 15 %, puis 20% de pénétration en énergie éolienne ». Mais l’expert avertit qu’il faudra « de la matière grise, de la bonne volonté réciproque des producteurs éoliens et des gestionnaires de réseaux, et un peu de dépense et de gestion sur le reste des systèmes électriques ». Toutefois même en prenant ce chiffre optimiste au pied de la lettre, dans I’état actuel de la technologie, il ne parait guère possible de dépasser 20% d’énergie éolienne sur un réseau. C’est peu …

Reste le solaire. Or, s’il s’agit de l’incorporer au réseau. il souffre exactement des mêmes travers que l’éolien… mais coûte de 5 à 10 fois plus cher ! Ce qui est sûr, souligne Patrick Jourde (CEA), c’est que cette technologie « a toute sa place dans des applications hors réseau », soit pour faire fonctionner des appareils de petite puissance, soit, surtout, « à destination des 1,6 milliard d’habitants de la planète qui n’ont accès à aucun réseau et qui sont situés principalement sous les tropiques ». La chose serait néanmoins de peu d’utilité dans les pays industrialisés, où le réseau dessert à peu près toute la population. Alors qu’ils sont les principaux émetteurs à effet de serre…
L’autre potentiel majeur du solaire, selon tous les spécialistes, c’est le thermique, autrement dit la production d’eau chaude sanitaire, et sa contribution potentielle au chauffage.

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Figure 3 : Les énergies renouvelables ne changeront pas le paysage énergétique mondial [3].

Au final GIobal Chance estime que l’éolien pourrait fournir environ 20 Mtep, le solaire thermique 10 Mtep, et le photovoltaïque entre 2 et 19 Mtep selon I’évolution technologique. Soit un total général, pour toutes ces énergies (en ajoutant les 95 Mtep de biomasse, les 15 Mtep d’hydro et 2 Mtep de géothermie ), d’environ 150 Mtep par an … là où il en fallait 400 ! (…) les énergies renouvelables sont parties trop tard et de trop loin pour fournir plus du tiers de la solution au problème climatique d’ici à 2030.

Certes dans un avenir plus lointain, sous l’effet du progrès des connaissances et de la technologie [4], elles se mettront à peser de plus en plus lourd. Sauf que nous n’avons malheureusement pas un siècle devant nous : la course contre la montre climatique fait que le compte n’y est tout simplement pas. Alors, dans les maigres décennies qui nous restent, d’où peuvent venir les deux derniers tiers de la solution ? Du côté de l’offre d’énergie, il y a bien sûr le nucléaire, même si sa marge de progression n’est pas illimitée et qu’il pose des problèmes de sécurité et de déchets. Et puis il y a la captation et le stockage souterrain du CO2, qui permettrait de continuer à utiliser charbon et gaz ; oui, mais le procédé ne sortira pas de la marginalité avant une bonne vingtaine d’années, .. s’il en sort un jour,

Reste donc la réduction de la demande, autrement dit les économies d’énergie : de l’avis général (depuis l’AIE jusqu’à Greenpeace, en passant par Global Chance), c’est le poste où les progrès les plus importants et les moins chers sont possibles : il est aujourd’hui nettement moins coûteux d’économiser l’énergie que de la fabriquer - et c’est aussi plus propre.(…) Ce qui en tout cas fait consensus, c’est qu’aucun miracle énergétique ne parviendra à faire surgir 60 % de Mtep supplémentaires en une génération sans dégoupiller la grenade climatique. Même en obtenant le maxinmm possible des énergies renouvelables - ce qui est une nécessité -, une demande qui croît de 1,8 % par an rend l’équation énergétique … tout simplement insoluble. Voir Association négaWatt : sortir de la boulimie énergivore .

Yves Sciama et Nicolas Chevassus, Renouvelables : le compte n’y sera pas, Le dossier noir des énergies vertes, Science & Vie, n° 1086, mars 2008, p.56, 3,95 €

Notes

[1] Toutes les énergies renouvelables sont émettrices de CO2 par leurs dispositifs de production : Biomasse : 55g de CO2 par kWh ; Hydroélectricité : 8g de CO2 par kWh ; Éolien : 9 à 25 g de CO2 par kWh ; Photovoltaïque : 60g de CO2 par kWh. À comparer aux 400g de CO2 par kWh du gaz naturel et aux 7g du nucléaire. Voir : Yves Sciama, Des renouvelables pas si « vertes », Science & Vie, n° 1086, mars 2008, p.64.

[2] Voir : Global Chance

[3] PJ/an = Pétajoule par an = 1015 Joules par an = 1000 000 000 000 000 Joules par an.

[4] Voir : Yves Sciama, L’avenir des énergies renouvelables passe par l’innovation, Science & Vie, n° 1086, mars 2008, p.70